Jonathan Drouin savait un peu ce qui l’attendait quand on lui a appris qu’il porterait dorénavant le chandail du Canadien. La pression dans un marché fou de hockey, la présence constante des médias, les attentes soutenues d’un public en mal de victoires et le fait de devenir une sorte de porte-étendard pour les Francophones au sein de l’organisation, tout cela représentait une mission comme il n’en avait jamais connue jusque-là.


Cette responsabilité a pris sa pleine dimension quand on a ouvert la porte du vestiaire aux médias après l’entraînement d’hier matin. Le controversé Alex Galchenyuk était assis sur sa banquette, l’air indifférent comme d’habitude. Carey Price semblait fort détendu devant la sienne pendant que cinq ou six autres joueurs retiraient lentement leur équipement sans être importunés. Les médias ont massivement marché d’un pas rapide vers Drouin qui était à quelques heures de son premier match inaugural à Montréal.
 

Je me suis souvent demandé ce qui peut trotter dans la tête d’un athlète quand pareille meute s’installe devant lui. Après tout, il ne venait pas d’éclipser un vieux record de Maurice Richard. Il ne menaçait pas une marque de Jean Béliveau. Il y avait quatre caméramen et des micros partout. J’ai compté 16 membres des médias juste pour lui. Avant de répondre à une première question, Drouin a pris un temps d’arrêt pour enfiler une casquette du Canadien, puis l’a retirée nerveusement en esquissant un sourire. Le jeune homme de 22 ans avait beau avoir l’air détendu, c’était évident qu’il ne l’était pas totalement.
 

On voulait évidemment savoir ce qu’il attendait de cette cérémonie annuelle au cours de laquelle il allait finalement recevoir une très chaleureuse réception. Il en avait déjà vu quelques-unes à la télévision. Il avait assisté à la transmission du flambeau par une légende. Il avait vu souvent la flamme qu’on laisse courir sur la glace pour allumer les spectateurs avant la mise au jeu initiale. Il disait s’attendre à vivre quelque chose d’excitant. Malheureusement, pour une rare fois, le Canadien n’a fait aucun effort pour plaire à son monde en présentant les joueurs un à un, sans plus. Le flambeau, lui, est resté dans les boules à mites. C’était peut-être mieux ainsi. Il y a six nationalités différentes dans ce vestiaire. La plupart des joueurs n’en avaient rien à foutre du flambeau. Il s’agissait d’un objet mythique quand l’équipe était guidée par des athlètes qui n’hésitaient pas à souffrir pour gagner. Pour cette génération, ce n’est rien d’autre qu’un instrument de marketing.
 

Drouin, qui a suffisamment de talent pour soulever la foule sans l’aide de tous ses artifices, a toujours prétendu qu’il avait la couenne suffisamment solide pour évoluer dans la bouilloire de sa province natale. Son attitude générale nous incite à le croire sur parole même si, avec le temps, il se fatiguera peut-être d’avoir des caméras dans la face à propos de tout et de rien. Tout cela parce qu’il est extrêmement talentueux, mais aussi parce qu’il est maintenant le visage francophone de l’organisation.
 

D’autres sont passés par là avant lui : Phillip Danault, David Desharnais, Alex Tanguay, Guillaume Latendresse et Patrice Brisebois notamment, parce qu’ils évoluaient au sein d’une formation comptant très peu de joueurs francophones. Ils avaient toujours des caméras sous le nez parce qu’ils parlaient la langue du peuple. Ce sera pire dans son cas parce que son statut de vedette montante le rendra plus visible que tous les autres. Quand on est le porte-parole en chef des Québécois dans un vestiaire comme celui-là, avec tout ce que cela implique comme responsabilités, pas sûr qu’on finit par s’habituer à toute cette attention.

 

« J’ai été chanceux de vivre les championnats du monde de hockey junior où plein de monde nous attendait pour des entrevues, dit-il. À Halifax, dans un marché de hockey junior, il y avait également beaucoup d’attention portée sur l’équipe. »
 

Son statut de vedette québécoise, au sein d’une organisation qui en a déjà comptées plusieurs, lui vaudra de voir constamment des médias défiler devant son casier. Montréal n’est pas Halifax, même s’il a beaucoup appris durant ses trois saisons avec les Mooseheads.
 

Il sourit légèrement. « Dès que l’entraînement se termine, je ne suis pas étonné de ce qui se passe, admet-il. Je vais m’y faire, comme l’ont fait tous les vétérans de l’équipe dans le passé. Disons que je ne m’attends pas à ce que deux journalistes seulement se présentent dans la chambre. »
 

Néanmoins, pour un gars de la place, ça change une vie de porter cet uniforme. La famille immédiate et la parenté ne cachent pas leur fierté de le voir patiner avec un chandail tricolore sur le dos. Un hockeyeur, qui est appelé à devenir un héros sportif dans sa propre cour, ça ne se produit pas tous les jours. Souvent, les parents deviennent des vedettes malgré eux. On les reconnaît plus facilement dans leur milieu. Dans les gradins du Centre Bell, on sait de plus en plus qui ils sont.
 

« Mes parents ne jouent pas à la vedette, ça, je peux vous le garantir. Ce sont des gens tranquilles, très terre-à-terre. Il y a peut-être plus d’attention portée sur eux, mais ça ne les change pas. Moi, ça ne m’a pas changé. Ils sont nerveux pour moi, c’est normal. Je le suis moi aussi. Quand ils visionnent un match, mon père, qui est passionné de hockey, est détendu, mais ma mère est nerveuse », précise-t-il.
 

Mardi, il a disputé un bon premier match à la maison. Grâce à ses six tirs au but, il a été le joueur le plus visible de son camp avec Charles Hudon. Même si l’attaque massive n’a encore rien produit cette saison, il l’anime grâce à la vitesse de son jeu et à la précision de ses passes. Il n’a pas encore marqué, mais on le voit toujours quand il est là. Il a déjà 17 tirs.
 

Le Canadien connaît un début de saison désastreux. Il est permis de se demander où en serait l’équipe s’il avait fallu que Marc Bergevin ne fasse pas son acquisition. Ça manquerait nettement d’étincelles dans un équipe qui n’est déjà pas explosive.