J’admets avoir eu mes doutes sur la capacité de Marc Bergevin à bien réagir durant la dégringolade de son équipe, la saison dernière. Et encore plus sur son habileté à pouvoir gérer une situation de crise.

Bergevin avait accompli des choses intéressantes après avoir succédé à l’ineffable Pierre Gauthier. L’équipe avait régulièrement changé de visage, pas nécessairement en vertu de gestes spectaculaires, mais Bergevin laissait entrevoir qu’il était constamment à la recherche de solutions.

Quand Carey Price a subi une blessure grave, qui a limité sa saison à 12 matchs, deux facteurs en sont ressortis. Le leadership dans l’équipe, c’était lui qui l’exerçait. Le caractère du Canadien qu’on croyait fort était également le sien. Il faussait la réalité par des performances qui donnaient l’impression que l’équipe était supérieure à ce qu’elle était. Sans Price et sans cette boule d’énergie qu’est Brendan Gallagher, qui s’est absenté durant 29 matchs, le Canadien est passé du meilleur début de saison de son histoire à une formation qui pouvait facilement être battue.

Bergevin n’a pas su trouver des solutions pour stopper l’hémorragie. Peut-être avait-il commis l’erreur de surévaluer les forces de sa troupe? Peut-être s’est-il ouvert les yeux sur ses véritables besoins? Il a su avant tout le monde que la blessure de Price était sérieuse. Pourtant, sa première décision a été d’acquérir un gardien de la Ligue américaine, Ben Scrivens,  qui n’a pas mis de temps à y retourner. Scrivens avait l’unique avantage de ne pas coûter cher. Il a été obtenu une dizaine de jours après que Bergevin eut échangé Dustin Tokarksi aux Ducks d’Anaheim en croyant avoir trouvé en Mike Condon le parfait numéro deux, derrière Price. Condon a été un très bon dépanneur dans les circonstances, mais le Canadien aurait eu besoin d’une injection de talent supérieure au petit Américain dans les circonstances.

La saison s’est avérée un cafouillis complet durant lequel on a incité les amateurs à une certaine patience en leur servant des amuse-gueules comme Mark Barberio, Daniel Carr, Jacob de la Rose, Phillip Danault, Stefan Matteau, Lucas Lessio, Charlie Lindgren, Joel Hanley, Michael McCarron et même le gros et sympathique John Scott. Tous ces changements mineurs ont tenu les médias occupés sans pouvoir faire une grande différence.

Autant Bergevin a paru désorganisé, autant il a donné l’impression d’être capable de se retourner sur une pièce de 10 cents durant l’été. Il a frappé fort avec Shea Weber, Alexander Radulov, Andrew Shaw et Al Montoya. Il a aussi fait la démonstration qu’il était vraiment prêt à tout pour refaire du Canadien une organisation crédible en ouvrant la porte à un jeune attaquant, Arttturi Lehkonen, dont le talent offensif est évident. Si on n’était pas en train d’amorcer un tournant majeur pour tenter de gagner à court ou à moyen terme, on lui aurait sans doute recommandé de passer une autre saison en Suède.

Que d’émotivité!

Une bonne partie du public a crié haut et fort son mécontentement en apprenant que P.K. Subban avait été échangé. Il s’est aussi demandé si le risque de 5,75 millions $ n’était pas trop élevé dans le cas du controversé Alexander Radulov. On avait réagi plus fortement encore quand Jaroslav Halak avait été sacrifié au profit de Carey Price et quand on avait laissé partir Alexei Kovalev à Ottawa sans rien n’obtenir en retour.

On avait marché devant le Centre Bell dans un élan majeur de protestation destiné à ramener Halak. Pourtant, il y avait des signes tellement évidents qui plaidaient en faveur de Price. Dans une ère où les gardiens de grande stature étaient recherchés, Halak était le plus petit gardien numéro un de la ligue à cinq pieds et 11 pouces. En outre, de quoi le Canadien aurait-il eu l’air aux quatre coins de la ligue s’il avait échangé une cinquième choix de repêchage pour confier son avenir à un 271e choix? Même si le public a mal réagi, on sait tous que cette décision a été la bonne.

De son côté, Kovalev était un joueur de classe mondiale qui irritait coéquipiers et partisans en se présentant un soir sur trois. Après l’avoir vu répéter le même manège à Ottawa durant deux saisons, les amateurs montréalais n’ont plus jamais crié au scandale au sujet de son départ.

Par ailleurs, c’était évident qu’on monterait aux barricades et qu’on menacerait de pendre Bergevin en effigie à la suite du départ surprise de Subban. Une réaction compréhensible de la part d’un public qui ignorait les facteurs ayant motivé cette transaction. Subban était plus jeune. Il était étourdissant sur les patins et dans le vestiaire, mais il savait animer un spectacle mieux que personne. Il avait déjà un trophée Norris en banque et on lui en prédisait d’autres. Seul le temps pouvait permettre à Bergevin de justifier cette décision et de la faire mieux passer dans le coeur d’une clientèle désabusée à la suite des insuccès de l’an dernier. Le jour n’est peut-être pas si loin où ce sera chose faite.

Subban connait un bon début de saison et personne ne doute qu’il aidera les Predators à devenir une puissance dans l’Ouest. Weber, lui, a déjà fait du Canadien une équipe supérieure, simplement par son attitude générale, par la présence qu’il exerce dans le vestiaire et par l’exemple qu’il prêche devant ses nouveaux coéquipiers.

Ce qui s’est passé dans le cas de Kovalev, de Halak et de Subban est typique du très fort climat d’émotivité dans lequel le Canadien évolue année après année. On rêve à la coupe quand tout va bien et on menace d’ébranler les colonnes du temple quand on prend des décisions qui impliquent des joueurs adulés.

Il faudra se méfier de ce type de réaction quand Radulov connaîtra une baisse de régime. Il est peut-être fort comme un boeuf, mais il ne pourra pas toujours se comporter comme il le fait en ce moment. Le calendrier de 82 matchs est trop exigeant pour en espérer autant de la part de la nouvelle vedette du Centre Bell.

Certains mentionnent déjà que Radulov est le plus beau talent offensif à se produire dans cet uniforme depuis les beaux jours de Guy Lafleur. Souvenez-vous qu’on avait dit la même chose au sujet de Kovalev. Faudrait se garder une petite gêne quand même. Lafleur n’a jamais été remplacé, ce qui ne veut pas dire qu’on ne s’entichera pas de Radulov au point d’implorer Bergevin de nous le ramener l’an prochain.

J’aime beaucoup ce qu’on voit du Canadien en ce début de saison, mais la prudence est de mise. Une autre blessure à Price nous ferait réaliser que l’équipe est encore loin de posséder tous les éléments pour gagner le gros trophée. Néanmoins, même si l’avenir est directement rattaché à l’état de santé de son gardien, l’ambiance est propice au succès.

Après la victoire de lundi contre les Flyers, il n’y a pas eu de pitreries autour de Price, pas de grandes démonstrations inutiles comme on en voyait dans le passé. On défilait calmement devant le gardien pour le remercier d’avoir tenu le fort encore une fois. À ses côtés, le général Weber, pour qui ce n’était qu’une simple partie en octobre, félicitait ses coéquipiers un à un avec la mine ténébreuse qu’on lui connaît.

Il faudra peut-être attendre que le Canadien gagne la coupe Stanley pour lui voir les dents, celui-là.