On ne saura jamais si les deux jeunes défenseurs des Bruins, Torey Krug et Dougie Hamilton, ont causé un certain étonnement dans leur propre vestiaire en déclarant qu'ils savaient maintenant ce que ça prend pour battre Carey Price. Ils n'ont pas parlé d'une faille comme telle dans l'armure du gardien vedette de la série, mais le simple fait qu'ils aient souligné une fréquence sur les buts qu'il a accordés dans la partie supérieure du filet a incité les gens du Canadien à réagir. Dans les circonstances, disons que ça fait un peu leur affaire de se sentir piqués au vif par les Bruins. C'est bon pour la motivation. Pour Boston, ça s'appelle jouer inutilement avec le feu.

Il en faut parfois si peu durant les séries éliminatoires pour réveiller l'adversaire. Même si les deux défenseurs prétendent n'avoir rien dit pour déprécier le gardien du Canadien, il ne serait pas étonnant que la haute direction des Bruins ait invité ses joueurs à plus de prudence. On ne peut pas risquer de piquer au vif un gardien qui nous cause déjà passablement de maux de tête.

Quand les deux équipes se retrouvent à égalité dans la série parce que la tenue de Price a été miraculeuse et parce qu'il a été supérieur à son vis-à-vis Tuukka Rask, le moment est très mal choisi pour analyser les quelques succès qu'on a obtenus aux dépens d'un athlète qui a encaissé une seule défaite en six matchs dans les séries.

Éviter la guerre de mots

Si jamais c'était une façon subtile pour tenter de le déstabiliser, pas sûr que c'était une tactique habile. On prétend que les deux jeunots n'en ont pas dit autant que les médias l'ont rapporté, mais on pourrait quand même hésiter un peu avant de leur donner le Bon Dieu sans confession.

Chose certaine, s'ils n'avaient pas de mauvaises intentions, leurs déclarations ont porté des fruits dans l'autre camp. Si vraiment Price a une faiblesse quelque part (ce que les deux jeunes n'ont pas dit, cependant), attendez-vous à ce que Stéphane Waite travaille là-dessus. Pas parce que les Bruins y ont fait allusion, mais bien parce que Waite lui-même l'aura remarqué.

Ce qui nous ramène à une situation du même genre vécue par le Canadien, il y a un peu plus de 21 ans. Cette fois, c'était Patrick Roy, un gardien qui comptait déjà une coupe Stanley et un trophée Conn-Smythe dans son curriculum vitae, qu'on avait tenté de faire mal paraître. Krug, qui avait deux ans à l'époque, et Hamilton, qui est né 57 jours après l'évènement, ignorent évidemment les dommages que le conseiller des gardiens de but des Nordiques, Daniel Bouchard, avait causés en déclarant avoir noté une faiblesse dans le style de Roy.

C'était le 21 avril 1993. Les Nordiques venaient de remporter les deux premiers matchs de leur série contre le Canadien. Pendant que tout se passait fort bien à l'autre extrémité de l'autoroute, Bouchard, dans un élan d'enthousiasme, avait commis l'imprudence d'en rajouter.

La déclaration de l'ancienne vedette de l'équipe avait eu un effet boomerang sur son équipe. Elle avait frappé aussi fort que le poing brandi par Pierre-Karl Péladeau qui a couché le Parti québécois pour le compte. Le Canadien avait gagné les quatre parties suivantes et Bouchard était parti en vacances aussi vite que les Nordiques. De son côté, Roy, malgré la « faiblesse » dans son jeu, avait ajouté une autre coupe et un autre trophée Conn-Smythe quelques semaines plus tard.

Martin Biron surpris

Le jeune retraité des Rangers de New York, le gardien Martin Biron, s'en souvient comme si c'était hier. Natif de Lac St-Charles, en banlieue de Québec, il était un fan fini des Nordiques et Bouchard était une idole. Avec des amis, il avait assisté aux deux premiers matchs de cette série, le visage barbouillé de bleu. Il avait 16 ans, mais il n'oubliera jamais l'effet que les propos de Bouchard ont eu sur Roy qui avait répliqué rageusement.

Hier matin, en prenant connaissance des remarques du jeune duo des Bruins, Biron s'est dit : «Oh, oh, pas encore ».

« Cela m'a un peu surpris, admet-il. Habituellement, ce n'est pas quelque chose qui se dit durant les séries. »

Néanmoins, dans les circonstances, faut-il en prendre et en laisser à la suite de ce que Krug et Hamilton ont déclaré, selon lui?

« Il faut en prendre un peu, reconnaît franchement Biron qui, durant les séries, est un analyste régulier au réseau TSN. Par exemple, si j'avais le gros gabarit de Price, je regarderais au-dessus des joueurs postés devant moi pour voir ce qui se passe. Carey, lui, s'accroupit pour mieux voir entre les joueurs. Quand tu agis de la sorte, tu te rapetisses devant ton filet. Jonathan Quick fait de même. De plus en plus, les gardiens tentent de se faire le plus gros possible. Malgré tout, il ne faut pas généraliser au sujet des buts qui ont été marqués contre lui. Dans le premier match, P.K. Subban a marqué sur deux tirs hauts et voilés contre Rask. Ce serait trop facile de dire que Rask est faible sur ce genre de tir. »

Price a remporté quatre victoires consécutives durant la série précédente contre Tampa. Malgré tout, sa tenue a laissé planer des doutes. On ne sait trop s'il a été dominant ou si l'absence de Ben Bishop lui a facilité la tâche.

Biron ne croit pas que Price ait offert une performance sans reproche malgré ses quatre victoires. « Durant cette série, il était toujours super actif, précise-t-il. Il glissait parfois à l'extérieur de sa cage. Par exemple, quand Ryan Callahan se présentait du côté de son revers, Carey le suivait totalement dans son mouvement, mais si une passe était effectuée vers un coéquipier, il se faisait surprendre hors position. »

Durant les deux matchs à Boston, Biron a noté un changement. Le positionnement de Price était mieux structuré, nettement plus solide. Il n'y avait pas de mouvements inutiles. Durant le congé de huit jours, on a visiblement procédé à un ajustement technique. C'est le genre de chose qui vient de l'entraîneur des gardiens de but, selon lui.

« Un gardien qui remporte quatre matchs de suite est convaincu que tout va bien, dit-il. Toutefois, en retournant à la vidéo, le coach lui fait remarquer qu'il peut être bien meilleur que ça. D'où le changement qui a été remarqué à Boston. »

Biron classe Price parmi les cinq meilleurs gardiens de la ligue. Il n'hésite pas à donner beaucoup de crédit à Waite pour les progrès significatifs qui sont survenus chez son gardien cette saison. L'amélioration dans son jeu a été plus technique que mentale, croit-il.

« Carey est plus calme, souligne-t-il. Auparavant, son  style se situait quelque part entre la nonchalance et l'excès de confiance. Il était toujours juste sur la ligne. »Martin BironSi Price a effectivement été battu par des tirs dans la partie supérieure du filet dans cette série, Biron, qui a vu neiger durant une carrière professionnelle de 16 ans, précise qu'il ne faut pas en faire toute une histoire. Il s'agit souvent d'un cycle. Sur une période de deux ou trois matchs, c'est un phénomène qui peut se produire, mais pour une raison qu'on ignore, un gardien n'accorde plus de buts de cette façon par la suite.

C'est peut-être un détail dont son idole Daniel Bouchard aurait dû tenir compte à l'époque. La remarque le fait sourire. Au hasard d'une rencontre à Atlanta quelques années plus tard, il lui avait demandé pourquoi il avait fait cette déclaration au sujet de Patrick Roy.

« Il m'avait dit que ce n'est pas exactement ce qu'il avait voulu dire », lance-t-il dans un éclat de rire.

Si on posait la même question à Krug et Hamilton, leur réponse serait sans doute identique.