Cette série s'annonçait comme un grand duel de gardiens de but entre Carey Price et Henrik Lundqvist, respectivement médaillés d'or et d'argent aux derniers Jeux de Sotchi. À défaut de cette rencontre au sommet, nous avons droit à un prix de consolation : une confrontation entre Lundqvist et Dustin Tokarski. Un cheval, un lapin.

Ce n'est pas vraiment de la faute de Tokarski ce qui s'est passé hier. Le gardien de 24 ans, natif de la Saskatchewan, ne pouvait pas tenir tête très longtemps à un rival représentant la crème de la crème qui a quitté un jour la Suède pour venir s'établir en Amérique comme l'un des meilleurs gardiens au monde. Ce qu'il est devenu il y a un bon moment déjà.

Tokarski a reçu la plus bruyante ovation de sa carrière quand il a été présenté comme le gardien partant de ce match, une ovation comme il n'en recevra plus jamais, lui qui gagne sa vie devant 2 000 personnes dans la Ligue américaine. Il pourra se vanter un jour d'avoir été en avant dans un match des séries de la coupe Stanley. Ce beau moment a duré très exactement 17 secondes.

La foule était occupée à exprimer sa joie à la suite du but de Max Pacioretty quand un tir de Ryan McDonagh a dévié sur Josh Gorges pour surprendre Tokarski. Les Rangers n'ont plus jamais regardé derrière eux par la suite.

Le deuxième but des Rangers, celui de Rick Nash, marqué à la toute fin d'une première période dominée par le Canadien, a fait très mal. Tokarski, qui n'avait personne devant lui pour l'ennuyer, aurait dû effectuer l'arrêt. Le problème, c'est que c'était un tir de la Ligue nationale contre un gardien de la Ligue américaine.

Martin Saint-Louis, faut-il s'en étonner, a porté le coup de grâce au Canadien en profitant de l'erreur de jugement d'un arbitre qui a imposé une pénalité à Alex Galchenyuk après que Carl Hagelin eut effectué un plongeon digne d'un olympien. Le genre de gaffe qui contribue à sceller le sort d'une organisation déjà en difficulté à la suite de la perte de son meilleur joueur.

Michel Therrien n'a pas commis une erreur en préférant Tokarski à Peter Budaj. Le partenaire de Price, qui avait connu une fin de saison cahoteuse, détenait aussi une fiche affreuse en séries. Par contre, il n'y avait pas une once de négativisme dans le vestiaire au sujet de Tokarski qui avait remporté ses deux seuls matchs à vie avec le Canadien, dont un par jeu blanc. S'il y a quelqu'un qui pouvait inspirer confiance en relève de Price, c'était lui. Le Canadien aurait sans doute connu le même sort avec Budaj puisque Lundqvist a été l'homme fort de ce match, comme il fallait s'y attendre.

Les carottes sont cuites

Le gardien des Rangers a été tenu très occupé. En fait, le Canadien aurait pu connaître un meilleur sort puisqu'il a dominé deux périodes sur trois, les première et troisième. Il a aussi manqué d'opportunisme puisque 22 de ses tirs ont raté la cible. Ajoutez à cela les 41 lancers dirigés vers Lundqvist et ça représente une bonne soirée de travail.

Bien sûr, le personnel d'entraîneurs et les joueurs eux-mêmes vont tenter de bâtir là-dessus en fonction du troisième match à New York, mais le mal est déjà fait. Comment ne pas conclure que les carottes sont cuites pour le Canadien? Les Rangers, une machine bien huilée et bien dirigée, n'ont pas vraiment de faiblesses. Après avoir perdu ses deux premiers matchs à la maison, le Canadien se retrouve dans l'obligation de remporter quatre parties sur cinq pour espérer accéder à la finale de la coupe Stanley. Oubliez cela. Pas contre les Rangers. Pas contre Lundqvist. Pas sans Price.

« Le momentum peut changer vite »

Si Price, en pleine possession de ses moyens, était là, ce retard de deux parties ne serait pas aussi catastrophique parce qu'on le saurait capable de voler des matchs. Sans lui, on fait face à une montagne impossible à gravir. Si le Canadien a battu si brillamment les Bruins de Boston, c'est parce que l'équipe était en santé. C'est aussi parce que Price leur a coupé les jambes durant les deux derniers affrontements.

Les joueurs du Canadien viennent d'avoir une petite idée de ce que ceux du Lightning ont ressenti quand ils ont perdu leur plus grande source d'inspiration, le gardien Ben Bishop. Ils disaient les bonnes choses pour tenter de se convaincre qu'ils pouvaient gagner cette série, mais le défi était trop grand et ils le savaient.

Dans le sport professionnel, on ne peut pas s'en remettre à un seul athlète pour gagner, mais quand cette personne est jugée aussi essentielle à son équipe, son absence crée un vide qui peut difficilement être comblé.

Josh Gorges m'a bien fait rire quelques heures avant le match quand il a fait remarquer que la blessure à Price n'affectait pas du tout l'équipe. « Pendant toute la saison, des joueurs se blessent et d'autres les remplacent », a-t-il dit.

On peut remplacer un Gorges, un Prust, un Galchenyuk et même un Markov, mais il n'y a pas de solution de rechange pour compenser la perte du meilleur joueur de l'équipe. Comme les joueurs de Tampa, ceux du Canadien tentent de se convaincre que le défi est réalisable. Et comme pour les joueurs de Tampa, la mission est devenue impossible.

Tampa espérait éliminer le Canadien avec un gardien jouissant d'une certaine expérience dans la Ligue nationale alors que les joueurs de Therrien souhaiteraient en faire autant avec les Rangers en utilisant un gardien de la Ligue américaine.

C'est dommage car cette terrible malchance nous empêchera de savoir ce que le Canadien aurait pu réaliser contre les champions en titre de la coupe Stanley si Price les avait menés à la victoire dans la présente série. On ne pourra pas jauger avec précision le degré de progression de l'équipe cette saison, même si on se doute bien que l'organisation s'en va dans la bonne direction.

Le Canadien, qui a jusqu'ici fait vivre des moments magiques à son public, est vraisemblablement rendu au bout de la route. Comme l'a déjà dit un ex-entraîneur du Canadien, voilà une saison qui risque de se terminer en queue de cheval.

Visite du premier ministre

Le premier ministre du Canada, Stephen Harper, qui a assisté à ce match, a trouvé une façon d'éviter les huées en passant la soirée en compagnie de son sénateur le plus populaire, Jacques Demers.

Incidemment, l'exploit de Demers, le dernier entraîneur à avoir procuré une coupe Stanley à une équipe canadienne, survivra une autre année. Un grand vide de 21 ans pour le hockey au Canada.