Vous m’auriez dit qu’un jour je serais analyste aux funérailles de Jean Béliveau que je vous aurais dit d’un trait : « Voyons, c’est impossible... Je suis plus âgé que lui par un peu plus de six mois. »

De toute ma vie, je n’ai jamais été impliqué dans une célébration funèbre de cette ampleur.

Je n’ai pu faire autrement que de me remémorer la première fois que j’ai vu le Grand Jean à l’œuvre. C’était au Forum, en 1949 alors qu’il portait les couleurs des Citadelles de Québec.

C’est par l’entremise de Bernard Geoffrion qui endossait alors le chandail du National junior que j’ai vu jouer pour la première fois celui qui devait devenir le successeur éventuel de Maurice Richard.

Parfois, la vie fait drôlement les choses. J’ai vu mourir Howie Morenz, j’ai travaillé aux funérailles de Maurice Richard, Bernard Geoffrion est décédé et maintenant c’est Jean Béliveau qui nous quitte à tout jamais.

Je n’ai pu faire autrement que d’avoir une pensée toute spéciale pour celui qui m’avait engagé il y a 25 ans à RDS, mon bon ami Guy Désormeaux, décédé lui aussi. Sans lui, je n’aurais jamais connu ces moments aussi touchants.

J’avais six ans en 1937 quand mon grand-père m’a traîné par la main au vieux Forum pour aller saluer la grande vedette du temps, Howie Morenz.

Je m’en rappelle vaguement, sans plus.

Le sort a voulu qu’il devienne le beau-père de Bernard Geoffrion. Imaginez... Dans l’enceinte du Centre Bell, on peut voir hisser bien haut les fanions numéro 7 et numéro 5 de Morenz et de Geoffrion.

Il m’a été permis au cours de ma carrière de voyager avec le Canadien, surtout dans les années 70. J’ai pu apprendre à connaître un peu mieux le Grand Jean. 

Il avait une carapace impénétrable. Je n’ai jamais entendu Jean parler pour ne rien dire.

Avant de parler, il évaluait ce qu’il allait dire. Il n’était pas hésitant, même s’il parlait lentement. Chez lui, tout était bien pensé. Je ne l’ai jamais vu faire une déclaration qui aurait pu le mettre dans l’embarras. Même pas après un match alors que l’adrénaline faisait encore effet.

Un des témoignages que j’ai retenu de lui revient à sa secrétaire pendant 21 ans, Louise Richer, quand on lui a demandé si elle connaissait des défauts à son patron. Après mûre réflexion, elle a dit : « Non... je ne lui en connais pas... »

Je n’ai jamais été un ami intime de l’illustre joueur du Canadien, mais disons que je l’ai assez bien connu. Au cours des années, non seulement je l’ai admiré pour son travail sur la glace, mais aussi à l’extérieur de la patinoire, pour son implication avec différentes organisations. L’amitié s’est soudainement changée en admiration.

Combien de fois est-il venu en aide à d’ex-joueurs, d’ex-coéquipiers?

Alors qu’ils affrontaient leur fin de vie, le Grand Jean ne manquait jamais d’aller visiter et encourager son entraîneur Toe Blake et son ex-coéquipier Floyd Curry, tous deux atteints de la maladie d’Alzheimer.

Combien de fois je l’ai vu assis en compagnie de Camille Desroches au petit restaurant, dont je ne me souviens plus du nom, aux coins des rues Aylmer et Ste-Catherine. J’espère qu’il y a un petit resto semblable au paradis.

Combien de fois j’ai assisté à ses discussions en compagnie d’un autre bon ami, Claude Mouton, alors le relationniste du Canadien. « Mutt » comme l’appelaient les intimes, est aussi au paradis.

Jean et moi avions aussi un grand ami en commun, Frank Léveillé, alors directeur des relations publiques pour la brasserie Molson. Plusieurs fois on a cassé la croûte ensemble. On a jasé de tout et de rien. On a joué au golf. Frank Léveillé a lui aussi quitté cette basse terre.

Je suis obligé de vous confier un petit secret. Je m’ennuie de chacun de ces disparus qui ont fait partie intégrante de ma vie à un certain moment.

Tempus fugit memento mori.