Ça fait plus de 20 ans que je connais Michel Therrien. L’entraîneur-chef plus que l’homme, c’est vrai, mais ça fait 20 ans quand même. Longtemps considéré comme un coach qui laissait ses émotions prendre le dessus lorsqu’elles fluctuaient dangereusement vers le haut et plus dangereusement encore lorsqu’elles plongeaient vers le bas, le Michel Therrien qui dirige actuellement le Canadien fait preuve d’un contrôle surprenant depuis deux ans. Un contrôle presque olympien. Un contrôle qui lui rend beaucoup plus service que ses élans d’antan qui satisfaisaient ses amis proches, mais lui causaient des ennuis au sein de ses vestiaires tout en minant ses qualités d’entraîneur-chef et le respect qu’elles auraient normalement dû lui valoir autour de la planète hockey.

Michel Therrien n’est pas un homme drabe. Ça non! Mais l’entraîneur-chef qui se tient debout derrière le banc du Canadien l’est devenu un brin ou deux. Et c’est une qualité bien plus qu’un défaut.

Rarement aujourd’hui le voit-on perdre les pédales derrière le banc, devant les journalistes. Bon! Il pique encore des petites crises à l’endroit des arbitres – il est humain après tout – et parfois on a l’impression que les émotions qu’il contient difficilement en public déborderont une fois en privé. Ça aussi c’est normal.

Mais dans l’ensemble, Michel Therrien a atteint un niveau de maturité qui lui permet d’éviter de narguer ses adversaires ou de lapider ouvertement un ou des joueurs dont il n’est pas satisfait. Et c’est tant mieux.

Samedi, alors que son équipe actuelle dominait son ancien club à Pittsburgh, le Michel Therrien calme, posé, sérieux d’aujourd’hui s’est permis un petit sourire que j’ai beaucoup apprécié lors du match.

Il me semble que c’était lors d’un arrêt de jeu. En troisième période, alors que le match était joué, ou presque. Un pied sur le banc, le menton appuyé sur la main droite, Michel Therrien a esquissé un sourire de satisfaction. Une satisfaction qui n’avait rien de mesquin. Qui n’avait rien de mal. Une satisfaction toute simple parce que son équipe jouait du très bon hockey aux dépens d’un club de premier plan. Oui, les Penguins sont minés par les blessures, bien plus que le Canadien qui a été divinement épargné par les oreillons et les blessures au haut et au bas du corps depuis le début de l’année, mais les Penguins comptent quand même sur Sidney Crosby, sur Evgeni Malkin, sur Marc-André Fleury. Ce n’est pas rien. Et samedi, les anciens Penguins de Michel Therrien ne faisaient pas le poids devant le Canadien de Michel Therrien.

Ajoutez à ça le fait que la victoire qui se profilait était sur le point de propulser son club au premier rang de l’Association Est, au quatrième du classement général, et vous avez là un ensemble de raisons qui justifiaient amplement le petit sourire esquissé par un entraîneur qui n’a pas souvent l’occasion de sourire.

Carey PriceGarder le rythme

Parce que Michel Therrien n’est pas le genre de gars à triompher avant le temps, je me suis demandé ce que ce sourire cachait. Ironiquement, la seule réponse qui me soit venue en tête est en fait une question. En regardant Michel Therrien savourer cette sixième victoire consécutive, dont cinq sur la route, je me suis dit qu’il devait se demander : « qu’est-ce que je dois faire pour que ça continue de même? »

Pour que ça continue de bien aller pour lui et son équipe, Michel Therrien devra bien sûr compter sur un gardien aussi solide que Carey Price l’a été lors de la première moitié de saison.

C’est évident.

Et avec un Carey Price aussi dominant, un gardien qui efface autant d’erreurs commises par la défensive un brin ou deux suspectes qui se dresse devant lui, un gardien qui est capable de permettre au Tricolore de multiplier les victoires en dépit d’une attaque timide et d’une attaque massive qui l’est plus encore, tout entraîneur-chef a des chances de sourire en fin de match.

Et quand un club est aussi épargné par les blessures que l’est le Canadien depuis le début de l’année – après Emelin, Weaver et Bournival, P.A. Parenteau est le premier joueur d’impact du Canadien à tomber au combat – un coach ne peut que se croiser les doigts et souhaiter que ça dure.

Mais il y a plus.

Il y a le travail plus discret, plus difficile, mais ô combien important de gestion des effectifs, des émotions, des egos qui entre en ligne de compte. Et à ce titre, Michel Therrien a eu la main heureuse.

Statistiques éloquentes

Oui le Canadien amorce encore trop de matchs sur les talons. Oui à Pittsburgh, le Canadien a enfilé seulement ses 13e et 14e buts en premières périodes cette saison. Ce qui est peu. Ce qui serait trop peu et se serait traduit par bien des revers, n’eût été des opérations de sauvetage, ou des vols, c’est selon, réalisés par Carey Price et à quelques occasions par Dustin Tokarski lorsqu’il lui est venu en relève.

Mais en maintenant le contrôle, Michel Therrien a su – avec la complicité de ses gardiens – pallier à ces trop nombreux mauvais débuts de matchs en ramenant son équipe dans le coup en périodes médianes et aux derniers tiers.

Les statistiques sont éloquentes :

Le Canadien a tiré de l’arrière 18 fois depuis le début de la saison après 20 minutes. Il est sur un pied d’égalité avec les Sabres de Buffalo et seuls les misérables Hurricanes de la Caroline (19 fois) ont fait pire qu’eux.

Le Tricolore partage pourtant le premier rang avec les surprenants Flames de Calgary avec sept victoires signées en dépit de ces déficits.

Après ses trois remontées victorieuses du début de saison, le Canadien est maintenant plus discret (3-10-1) lorsqu’il tire de l’arrière après 20 minutes. Mais il est aussi beaucoup plus souvent en avance au pointage qu’il ne l’était en début de campagne.

Et quand le Canadien a l’avance, il ne l’a perd pas. Ou pas souvent comme l’indique ses fiches de 16-0-0 (seul club invaincu de la LNH) lorsqu’il enfile le premier but, de 5-0-0 lorsqu’il mène (rarement) après 20 minutes et de 16-1-0 lorsqu’il domine après deux périodes. Seul le Lightning de Tampa Bay (16-0-1) qui fera escale au Centre Bell mardi, affiche un meilleur dossier que le Canadien.

Pour maintenir ce rythme, le Canadien devra éviter de se fier uniquement, ou trop, à Carey Price.

C’est d’ailleurs commencé.

Car dans la séquence de six victoires consécutives sur laquelle le Tricolore surfe présentement, Carey Price et Dustin Tokarski ont excellé. C’est vrai. Mais il n’a pas eu à multiplier les miracles comme il l’a fait si souvent depuis le début de la saison.

Si, en plus de compter sur un sinon le meilleur gardien de la LNH, le Canadien se met à mieux jouer défensivement devant lui, qu’il se met à marquer des buts et que l’attaque massive cesse d’être trop passive, Michel Therrien aura bien d’autres occasions de sourire d’ici à la fin de la saison régulière.

On verra.

Ce qui est clair, c’est que si bien des observateurs croient que les succès du Canadien au classement sont trop beaux pour être vrais, il est impossible d’effacer les points déjà à sa fiche. Il ne reste plus à Michel Therrien qu’à garder le plein contrôle de sa troupe en prenant les bonnes décisions pour éviter un relâchement, et surtout éviter que les défaites normales que son équipe encaissera ne s’accumulent anormalement.

Et ça, le Michel Therrien d’aujourd’hui semble en mesure d’y arriver.