Quelques heures avant le cinquième match à Boston, Michel Therrien avait lancé à certains de ses joueurs, les meilleurs pour la plupart, un appel qui n'avait pas été entendu. Cette invitation à en donner plus visait surtout ses deux attaquants de puissance, Max Pacioretty et Thomas Vanek, mais également les joueurs de centre Lars Eller et David Desharhais.

Avant le match d'hier, rien de semblable n'a été dit par l'entraîneur. C'était parfaitement inutile d'en rajouter. Comment pouvaient-ils tous avoir besoin d'un discours de motivation avant cet affrontement sans lendemain en cas de défaite? C'était si crucial comme enjeu que ceux qui ne se seraient pas présentés pour ce match n'auraient pas eu leur place avec le Canadien. Ne pas comprendre l'importance du moment et surtout ne rien faire pour éviter à une organisation, qui les paie fort bien pour leur talent, une fin de saison en queue de poisson, nous en aurait dit beaucoup sur le caractère des fautifs. Tout le monde a compris qu'on ne pouvait rien laisser dans le réservoir durant ce match. Tout le monde a été à la hauteur. Ils ont joué avec énormément d'émotion de la première à la dernière minute. Vraiment de la première à la dernière minute.

Ceux qui n'en avaient pas suffisamment donné durant cette série se sont reconnus. Le match était vieux d'à peine deux minutes quand Eller a placé le Canadien en avant. Puis, en deuxième période, Pacioretty a réussi une manoeuvre comme il en est capable, toute en enjambées et en puissance, en battant de vitesse Zdeno Chara, tout en utilisant sa longue portée pour protéger la rondelle, et ainsi battre Tuukka Rask avec un tir sec entre les jambières. Et Thomas Vanek, qui a marqué deux buts, dont le deuxième dans un filet désert, a porté un dur coup aux Bruins en procurant une avance de 3-0 avant la fin de l'engagement.

C'était fort bien parti. Trois joueurs identifiés comme des passagers clandestins avaient tonné comme le souhaitaient la haute direction de l'équipe, les entraîneurs et les fans qui, eux, n'ont pas encore pris un soir de congé.

Tiens, vous en voulez un quatrième? David Desharnais, qui a encaissé sa bonne part de critiques après s'être contenté d'une passe dans la série, a apporté une précieuse contribution à sa façon. Combatif durant toute la soirée, il n'a pas marqué, mais il a sauté sur une rondelle qui roulait sur la ligne rouge en troisième période pour priver les Bruins d'un but qui aurait pu les relancer et ainsi préserver le jeu blanc de Carey Price. C'est aussi lui qui a volé le disque au centre de la glace pour provoquer le but dans une cage déserte.

On en a la preuve maintenant, la fatigue ne peut pas être invoquée pour justifier le manque d'effort généralisé du Canadien dans le match précédent. On vient d'être témoin d'une démonstration très énergique au cours de laquelle le caractère et le courage (il en faut pour tenir tête à un rival aussi coriace) étaient à l'avant-plan. Une démonstration comme on n'en a pas vu au Centre Bell cette saison. On a tout vu durant ce spectacle d'une très grande qualité offert par les deux formations.  Les joueurs du Canadien, sur lesquels reposait toute la pression, ont été particulièrement tenaces. Ils n'ont pas lâché leurs rivaux d'une semelle. Avant le début de la série, on a fait allusion aux gros bras des Bruins et à l'aspect intimidant de leur style de jeu. Dans ce match, le Canadien n'a pas cessé de les frapper sans jamais tenir compte de la grosseur ou de la réplique possible de leurs victimes. Il suffisait qu'ils portent un chandail blanc et noir pour être frappés. Chara, Lucic, Bergeron et Smith ont notamment été brassés à tour de rôle. Je suis convaincu que les joueurs des Bruins n'avaient jamais imaginé dans leur plan de match pour la série qu'un soir donné les petits joueurs du Canadien allaient se transformer en « Big Bad Canadiens ». 

Alexei Emelin en a étourdi quelques-uns et Andrei Markov a servi la mise en échec la plus percutante de la soirée quand il a gelé Lucic sur la clôture. Chez les Rouges, personne n'a semblé avoir peur de qui que ce soit. Le Canadien avait connu beaucoup de succès contre Boston cette saison, mais jamais il n'avait eu à déployer autant d'efforts pour gagner.

«Je ne sais pas si on peut les frapper comme ça tous les soirs, mais nous avons initié toutes les confrontations, a fait remarquer le toujours acharné Dale Weise. Cette fois, nous avons trouvé une recette qui nous convient. »

Néanmoins, le match aurait pu prendre une tournure différente au début de la seconde période quand P.K. Subban a écopé d'une pénalité. Les Bruins ont tout fait pour niveler le score à 1-1 durant une séquence de cinq minutes sans arrêt de jeu. Le duo de défenseurs Gorges-Weaver n'a pu quitter la glace durant trois minutes. Trois minutes, c'est une éternité quand les Bruins les bombardent de tous les angles. Où avaient-ils tous puisé autant d'énergie? Sans doute dans la peur de perdre qui, chez les professionnels, représente toujours une très grande source de motivation.

Carey Price, le sauveur anticipé

N'allez pas tirer la conclusion que le Canadien peut maintenant mettre fin à cette série en affichant le même caractère et le même désir de ne pas disparaître avant le temps. Les Bruins sont capables à leur tour de préconiser un style de jeu désespéré. Talent et désespoir peuvent parfaitement faire l'affaire chez les équipes championnes. Il n'est pas question pour eux de se voir privés dune chance de remporter un autre coupe Stanley par un adversaire pas très costaud qui a récolté 17 points de moins cette saison.

Les Bruins, qui ressentiront une pression écrasante, savent qu'ils ne peuvent pas se contenter de menotter Pacioretty et Vanek ou de de porter toute leur attention sur Subban pour remporter le septième match. Ils ont un autre joueur en tête. Il leur faudra trouver une façon de battre Carey Price à qui ce jeu blanc donnera une dose de confiance additionnelle. Rien ne semble l'énerver. Et ça, ça énerve les Bruins.

Price sera le sauveur anticipé demain. S'il y a un joueur qui peut et qui doit faire la différence dans cette rencontre ultime, c'est lui. Il doit être plus fort que Rask, ce qu'il a fait plus d'une fois dans cette série.

Croisé après le match, son entraîneur personnel, Stéphane Waite, était tout sourire. Son élève venait d'offrir une performance sans bavure qui lui avait valu la première étoile dans le match le plus important de toute la saison.

J'imagine que Price sera prêt à Boston, lui a-t-on demandé pour la forme. « Pas de doute là-dessus. Il sera prêt comme jamais », a-t-il rétorqué sur un ton ferme et rassurant. S'il y a quelqu'un qui connaît Price sous toutes ses coutures, c'est lui. Il n'y a rien de garanti dans un septième match, mais c'est rassurant de savoir qu'on a l'arme de destruction massive dans son camp.

Tout le travail de motivation qui a été fait avec Price depuis septembre dernier, tous ces petits ajustements techniques qui ont été apportés, toutes ces séances video précédant chacune de ses prestations, c'est mercredi que ça pourrait valoir son pesant d'or.

On ne doute pas que Price recevra l'appui nécessaire de ses coéquipiers. Les athlètes professionnels rêvent tous un jour d'avoir à relever de très grands défis. Demain, ce moment privilégié sera offert aux membres des deux formations.

Ça pourrait donc se régler entre les poteaux, cette affaire-là. Price ou Rask? Faites vos jeux. Dans un peu plus de 24 heures, les lumières vont se fermer pour l'été sur la patinoire du Centre Bell ou du TD Garden. Dans l'une des deux villes, ce sera la désolation et la déprime totale. Dans l'autre, ce sera euphorique.

Le Canadien transporte sur ses épaules l'espoir d'un pays, ce qui n'est pas le cas des Bruins. C'est juste un peu plus de pression. Ce printemps, l'organisation tricolore est la seule à représenter l'orgueil et la fierté du Canada sur le plan du hockey. Elle est aussi la dernière à avoir donné au pays une coupe Stanley. Ça fait si longtemps que le dernier entraîneur à avoir réussi l'exploit est aujourd'hui sénateur.

Le bon numéro

Le petit bonhomme qui a la mission de transporter la torche au centre de la patinoire et d'enflammer le Centre Bell, dans un rituel spectaculaire des séries, porte toujours un chandail identifiant une légende. Hier, il endossait le numéro 16 représentant le plus grand gagnant dans l'histoire des séries, Henri Richard. Les Bruins auraient dû se douter que la soirée serait longue.