Même s’il tente de se remettre de son deuxième divorce avec le Canadien en se reposant sous le soleil floridien, Michel Therrien ne peut pas apprécier ce qu’il voit actuellement. Pas qu’il souhaite du malheur à l’organisation qui lui a accordé deux chances de gagner sa vie dans la Ligue nationale, dont sa toute première, mais il est sans doute normal qu’il se questionne sur le changement qui s’est opéré depuis qu’il n’est plus là. Un revirement spectaculaire qui ne peut pas être attribuable uniquement à la venue d’un nouvel entraîneur.

Pourquoi, par exemple, Carey Price jouait-il avec nonchalance pendant qu’il essayait par tous les moyens, avec l’aide de ses adjoints, de relancer des joueurs pas très inspirés? Pourquoi, diable, Price a-t-il retrouvé automatiquement son statut de super vedette incontestée du circuit sous les ordres de Claude Julien?

Price n’est pas l’unique responsable du fait que Therrien ait perdu son emploi. Le Canadien se défendait avec un trio et demi et sans l’aide des lignes d’attaque 3 et 4 dont la contribution offensive était nulle. C’est bien connu, un entraîneur est toujours aussi bon que l’est son gardien de but. Ken Hitchcock est passé par là, il n’y pas longtemps, à St Louis. C’était déjà entendu que Hitchcock quitterait son poste à la fin de la saison, mais ses deux gardiens ont été si mauvais qu’il n’a pu se rendre au bout de son mandat.

Therrien prend mal son congédiement, on peut le comprendre. Il avait trouvé cela tout aussi cruel quand il avait cédé sa place à Julien, la première fois. Pour un entraîneur québécois, diriger le Canadien constitue un accomplissement majeur sur le plan personnel. Dans le métier qu’il a choisi, il n’y a pas de plus haut sommet.

Ça change une vie de passer aux commandes de l’équipe à laquelle on s’associait durant son enfance, son adolescence et sa vie d’adulte. Therrien a assisté à ses défilés de la coupe Stanley. Il l’a admirée, applaudie. Un jour, quand il a eu la piqûre du coaching, il a rêvé d’y travailler. En caressant finalement cet objectif, il avait fait la promesse de gagner la coupe Stanley. La chute a été forcément brutale quand il s’est vu indiquer le chemin de la sortie.

Therrien a décliné poliment une demande d’entrevue en disant vouloir s’en tenir à son communiqué de départ. C’est correct. Ce qu’il pourrait ajouter sur ses états d’âme ne serait sans doute pas différent de ce qu’il avait raconté la première fois que cela lui était arrivé, en janvier 2003. Il avait dit partir la tête haute cette fois-là. Il l’a répété récemment. Si on l’a remercié à deux occasions, ce n’est sûrement parce qu’il ne s’est pas donné corps et âme pour le Canadien. L’entraîneur est un homme qui se présente habituellement au travail au lever du jour. Il est souvent le dernier à partir. À la maison, son cerveau ne se repose pas. Quand ça va mal, il n’est pas toujours d’un commerce agréable. Il cherche des solutions, ébauche des plans et dort rarement là-dessus.

Le quotidien de l’équipe tourne autour de lui. Il est en train de souper et son visage apparaît à la télévision. Il ouvre son téléviseur en fin de soirée et il y est encore. Le matin, en prenant son journal, c’est parfois sa photo qui meuble la première page. Après une défaite, il annule sa prochaine sortie au restaurant, de peur d’être jugé. Chez le dépanneur, on veut savoir ce qui s’est passé durant le dernier match. À l’école, pour les compagnons de ses enfants, il est aussi bon que sa dernière victoire, aussi pourri que sa plus récente défaite. Beau métier que celui-là.

Il savait déjà tout cela quand Marc Bergevin l’a choisi, il y a cinq ans. Pourtant, Therrien lui aurait baisé les pieds dans un signe de gratitude tellement il était honoré et heureux de retourner dans cette fournaise, même en sachant que cela ne pourrait se terminer que par un congédiement. Rien ne change, chaque fois, la rupture est excessivement douloureuse.

En 2003, le directeur général André Savard et lui entretenaient une excellente relation. Ces deux-là étaient devenus des amis. Malgré tout, Savard s’est vu forcer de le convoquer à son bureau pour lui annoncer son remplacement. On a appris à l’époque que cette rencontre a été très émotive. Therrien a été bouleversé d’avoir à quitter la seule organisation qui comptait pour lui. Savard a eu les larmes aux yeux en lui précisant son renvoi. La mauvaise nouvelle a été aussi difficile à communiquer qu’à encaisser, semble-t-il.

Il y a deux semaines, une autre grande amitié a été secouée quand Marc Bergevin s’est rendu chez lui, porteur de la mauvaise nouvelle. Bergevin étant un homme d’une grande sensibilité, on peut facilement imaginer que les choses se sont déroulées comme dans le cas de Savard.

Ça lui laisse quoi comme avenir, maintenant? Therrien n’a pas l’aura de Julien dans les cercles du hockey. Devra-t-il patienter un an ou deux avant que le téléphone sonne à nouveau? Ira-t-il empocher tous les millions que le Canadien lui doit dans un fauteuil de l’Antichambre? À 53 ans, l’horloge, qui régit le parcours des entraîneurs, lui rappelle que le temps est un facteur qui ne doit pas être pris à la légère dans son cas. Deux ou trois entraîneurs perdront probablement leur poste à la fin de la saison. Pensera-t-on à lui ou se tournera-t-on vers un autre nouveau visage sans expérience au niveau de la ligue? C’est la route que les Flyers de Philadelphie et l’Avalanche du Colorado ont empruntée sans grands succès avec Dave Hakstol et Jared Bednar, respectivement. On se rappelle de la tentative désolante vécue avec Dallas Eakins à Edmonton et celle pas très heureuse de Dave Cameron à Ottawa? Actuellement, on ne donne pas cher de la peau de Willie Desjardins, à Vancouver.

On analyse tous ces coups d’épée dans l’eau en se demandant pourquoi il n’y aurait pas une place quelque part dans cette ligue pour un entraîneur qui a passé huit ans derrière le banc de l’équipe la plus difficile à diriger dans le hockey.

Des « frères » sans emploi

Bob Hartley et Michel Therrien, deux entraîneurs qui sont liés comme des frères depuis l’époque du Titan de Laval, et qui ont été animés du même rêve, celui de marcher derrière un banc dans la Ligue nationale, continuent d’avoir un parcours qui ne les distance pas beaucoup, l’un de l’autre.

— Hartley a gagné la coupe Stanley au Colorado l’année où Therrien a obtenu sa première chance avec le Canadien.

— Ils ont été congédiés tous les deux durant la même saison, en 2002-2003.

— Ils ont tous les deux trouvé un job au même moment, il y a cinq ans, Therrien à Montréal et Hartley à Calgary.

— En 2015, Therrien a connu la meilleure campagne de sa carrière quand le Canadien bouclé la saison avec 110 points et une deuxième place au classement général pendant que Hartley recevait le trophée Jack-Adams chez le Flames.

— Mars 2017: Les deux sont sans boulot dans la Ligue nationale.

Hartley dirige des marginaux en Lettonie et Therrien joue au golf alors qu’il devrait être en train de préparer son équipe à participer aux séries. Ni un ni l’autre n’est à sa place. Puissent-ils retrouver la leur un jour.