MONTRÉAL – Si Élizabeth Giguère était un homme, la moitié des équipes professionnelles en Amérique du Nord seraient présentement à ses trousses. Son agent l’informerait régulièrement des plus récentes offres arrivées dans sa messagerie électronique et ce beau magot finirait probablement par la convaincre de quitter les bancs d’école pour ceux des plus grands amphithéâtres.

Cette réalité n’est malheureusement pas encore celles des meilleures joueuses de hockey universitaire. Sans avenue sérieuse pour monnayer son talent, Giguère n’aura d’autre choix que de retourner à l’Université Clarkson afin d’y disputer une quatrième saison l’automne prochain.

Ça tombe bien, dans son cas, puisqu’elle jure que tous les millions de la terre ne l’auraient pas convaincue de choisir une autre option.

« J’ai l’impression de vivre un rêve là-bas, s’enflamme-t-elle. Tu pratiques le sport que tu aimes le plus au monde et tu ne paies absolument rien. Tous les gens qui gravitent autour de mon équipe, je les adore. Je suis avec mes meilleures amies ici, ma famille est à cinq heures de route. Peu importe, moi je retournerais pour ma quatrième année. »

Vous ne voudriez pas vous réveiller, vous non plus, si vous aviez vécu tout ce que cette Québécoise de 22 ans a vécu dans l’uniforme vert et or des Golden Knights. Il y a deux ans, Giguère avait bouclé sa saison recrue en marquant le but vainqueur du championnat national, en prolongation s’il-vous-plaît, offrant à Clarkson son troisième titre en cinq ans. L’année suivante, elle a dominé la NCAA aux chapitres des passes décisives (47) et des points (73) et a été reconnue comme l’une des dix meilleures joueuses aux États-Unis.  

Puis cette année, cerise sur le sundae : au terme d’une saison qui l’a couronnée comme la meilleure buteuse au pays – 37 buts en autant de matchs – Giguère a remporté le trophée Patty Kazmaier, l’équivalent du Hobey Baker chez les hommes, remis à la joueuse universitaire par excellence de l’année. Elle a su vendredi dernier qu’elle avait été préférée à la Suissesse Alina Mueller et à la Canado-américaine Abby Roque.

« On nous avait envoyé un message pour nous demander de préparer une vidéo de remerciements, les trois finalistes. Il fallait l’envoyer pour le mercredi en sachant que seule celle de la gagnante serait publiée. On n’avait aucune idée qui allait gagner. Je l’ai appris en direct, en même temps que tout le monde », explique Giguère, qui est encore sur le campus pour finir sa session d’études avec des cours en ligne.  

« On l’avait sur la télé. J’étais sur un appel Zoom avec les autres joueuses et les entraîneurs de mon équipe. J’avais du monde sur mon téléphone aussi. Tout le monde écoutait. Quand ça a été annoncé, ça a éclaté. C’était le fun! Mon téléphone, c’était l’enfer. »

L’ancienne du Cégep de Limoilou a été bombardée de messages. On la félicite, on la complimente, on la demande en entrevue. Son exploit, accompli par seulement deux autres Québécoises avant elle, frappe l’imaginaire.

Giguère trouve tout ça très flatteur, mais on la sent agacée par toute cette attention. Elle esquive chaque opportunité de se mettre en avant-plan, minimise la portée de chacun de ses accomplissements personnels. Le Patty Kazmaier, elle en parle comme sa coupe Stanley : un honneur d’équipe qu’elle aurait été appelée à aller chercher.  

« Oui, s’exclame-t-elle quand on lui fait remarque. C’est exactement ça que j’essaie de dire à tout le monde! »

« C’est le fun, la reconnaissance, mais avec mon équipe cette année, c’était complètement différent de ce qu’on avait vécu les années passées. Il a fallu qu’on change plein d’affaires. On a eu des blessures au début de l’année. Des filles qui étaient supposées être dans notre alignement ont été blessées à long terme. Il y a eu des matchs où on avait seulement 16 joueuses en uniforme. Il a fallu qu’on prenne toutes les bouchées doubles. Il n’y a pas juste moi qui l’aie fait. »

« [Le trophée], je ne m’en attendais pas, mais je ne regardais pas pour ça non plus. Quand c’est arrivé, c’est arrivé. Toute l’équipe était fière de moi et j’étais fière moi aussi, mais c’est pas quelque chose que j’ai fait toute seule. Je ne peux pas marquer les buts que j’ai marqués toute seule. »  

La dernière saison n’a pas été que succès et réjouissances pour Giguère. Pour la première fois en quatre ans, les Golden Knights ont été stoppées dans leur quête de remporter le championnat de la conférence ECAC. Elles avaient néanmoins obtenu leur laissez-passer pour le tournoi final de la NCAA, mais la saison a été annulée deux jours avant leur match de quart-de-finale contre les Badgers de l’Université du Wisconsin.

Quand on lui demande ce qu’il lui restera à accomplir à sa dernière année sur les patinoires universitaires, c’est à cette occasion ratée qu’Élizabeth Giguère pense immédiatement.

« C’est sûr que gagner un autre championnat avec mon équipe, ça serait vraiment cool de m’en aller comme ça. C’était tellement le fun quand on l’a gagné à ma première année et c’est quelque chose qui est vraiment difficile à faire. Répéter l’exploit comme ‘senior’, c’est sûr que ça serait mon objectif numéro 1. »