Assis sur le rebord de la bande ceinturant la patinoire synthétique du Centre sportif Saint-Raphaël de L’Île-Bizard en 2007, Jean-François Bérubé fixe, découragé, l’affiche de Cristobal Huet accrochée au mur devant lui.

C’est ici, sous la supervision de Jocelyn Deschênes, que le gardien pas assez bon pour les rangs Midget AAA espère raviver son rêve.

« C’est quoi ton objectif? Qu’est-ce que tu veux au juste? », le questionne alors Deschênes, un entraîneur des gardiens chargé de le relancer.

« Je veux être là », répond l’adolescent de 16 ans en pointant le portier no 1 de l’époque chez le Canadien.

Là, c’est la LNH. Un défi colossal, voire impossible, ne peut s’empêcher de penser Deschênes.

« En dedans de moi, je me disais : "Ça va être tough, ça va être vraiment difficile. De Midget B à la Ligue nationale..." Mais qui étais-je pour péter la balloune de ce p’tit gars-là? »

« On dirait qu’il a ressenti que j’avais de quoi qui allait me mener loin un jour », relate Bérubé dans Tout est possible, le plus récent court-métrage de la série de documentaires 25 ans d’émotions, qui raconte l’improbable parcours du Québécois jusqu’à la LNH.

Celui-ci vous sera présenté à RDS pendant les entractes du match opposant le Canadien aux Panthers de la Floride le 29 décembre.

« Il a mangé de la marde icitte »

Pendant des semaines, Bérubé s’est donc entraîné sur la patinoire synthétique aux côtés de la fille de Deschênes.

« J’ai refait de A à Z la base », se remémore Deschênes.

« On est en 2019. Si j’avais des vidéos à te montrer, tu te dirais : "Shit, c’est pas le même gars pantoute! Il a mangé de la marde icitte. C’était tough. »

Trois mois après avoir été retranché par les Vikings de Saint-Eustache dans le Midget AAA, Bérubé trouve finalement un club Junior AA à Lachute disposé à lui offrir la chance de déployer ses ailes dans un niveau de jeu compétitif.

« Il avait toujours en tête de jouer dans la Ligue nationale, mais pour ça, il faut que tu sois vu. Dans la Ligue junior AA, ce n’est pas là qu’il y avait bien, bien des recruteurs. Quand la liste du repêchage de la LHJMQ est sortie, Jean-François [n’y figurait] pas », se désole encore Deschênes.

« J’ai essayé de le vendre quand même aux recruteurs puisque j’avais des contacts dans la LHJMQ. Tout le monde m’a dit non. Personne ne voulait lui offrir d’essai. J’ai essayé en Ontario, j’ai essayé en Saskatchewan, j’ai essayé au Manitoba, j’ai essayé à B.C.. Personne, personne ne voulait donner une chance à Jean-François. »

Opération marketing

Il aura fallu une opération marketing du Junior de Montréal pour que la chance de Bérubé tourne enfin. Achetée par Farrel Miller et déménagée de St. Johns à Verdun en 2008, la concession veut faire parler d’elle et organise donc un camp d’essai ouvert à tous.

« C’était 50 piastres, mais si ç’avait été 1000 piastres, mes parents l’auraient donné le 1000 piastres », jure Bérubé.

Plus de 90 joueurs, dont 22 gardiens, tentent leur chance.

« C’était une idée géniale parce qu’on faisait parler de nous, se souvient le directeur général et entraîneur-chef du Junior à l’époque, Pascal Vincent. On s’est dit qu’on allait essayer de trouver entre 3 et 5 joueurs à amener au camp des recrues. On se doutait bien qu’aucun de ces joueurs n’allait venir au camp d’entraînement.

« Le calibre de certains joueurs, sans leur manquer de respect, était atroce, explique Vincent. Il y avait des joueurs qui ne pouvaient pas patiner. Ils se tenaient sur leur bâton et pensaient qu’ils pouvaient jouer dans la Ligue junior majeur du Québec. Ça n’avait pas de bon sens, mais il y en avait d’autres qui étaient bons, qui pouvaient patiner et qui pouvaient jouer. On voyait leur potentiel. »

Éric Raymond, l’entraîneur des gardiens du club montréalais, ne tarde pas à remarquer les qualités athlétiques et mentales de Bérubé, si bien qu’il gagne sa place pour le camp des recrues, puis le camp d’entraînement officiel et ultimement le poste d’auxiliaire à Jake Allen.

Bérubé dispute 20 matchs à sa première campagne dans le circuit Courteau, affichant une moyenne de 2,66 et un taux d’efficacité de ,907, tout en attirant les regards des recruteurs de la LNH venus épier ses coéquipiers Jake Allen et Angelo Esposito, respectivement des espoirs des Blues de St Louis et des Penguins de Pittsburgh. Les Kings de Los Angeles le remarquent et le sélectionnent finalement en 4e ronde, 95e au total, au repêchage de 2009.

« C’était pour moi une fierté incroyable de voir ce p’tit gars passer du souhait [exprimé] sur la bande de mon centre [d’entraînement] à aller se faire prendre en photo avec son beau chandail des Kings de Los Angeles », se souvient Deschênes.

Après cinq saisons passées dans les mineures au sein des filiales des Kings dans la ECHL et la Ligue américaine, Bérubé a disputé un premier match dans la LNH le 10 octobre 2015 avec les Islanders de New York, qui l’avaient réclamé au ballottage quatre jours plus tôt. Il a depuis joué 33 autres matchs à titre de gardien substitut avec les Islanders et les Blackhawks de Chicago.

Bérubé partage cette saison le filet des Phantoms de Lehigh Valley, le club-école des Flyers de Philadelphie, qui lui ont offert un contrat à deux volets en juillet dernier.

« Je crois encore qu’il a tout ce qu’il faut pour jouer dans la Ligue nationale, estime Deschênes. Ça prend juste une autre chance, une autre opportunité. »