Après avoir accueilli le premier gardien à avoir porté un masque protecteur en Jacques Plante, celui qui a inventé et/ou popularisé le tir frappé en Bobby Hull, celui qui a révolutionné la manière de jouer à la ligne bleue en Bobby Orr, celui qui a réécrit le livre des records en Wayne Gretzky, le Temple de la renommée ouvrira ses portes lundi au premier joueur du bloc de l’Est à avoir fait défection pour venir jouer en Amérique du Nord.

 

Six ans avant que Peter et Anton Stastny « n’abandonnent » leur frère aîné Marian et les autres membres de leur famille pour quitter illégalement et dangereusement l’ancienne Tchécoslovaquie afin de se joindre aux Nordiques de Québec, Vaclav Nedomansky a fait défection de ce même pays pour mettre le cap sur le Canada.

 

Si, de prime abord, le nom de Vaclav Nedomansky suscite plus de questions qu’il n’éveille les éloges de la part des amateurs de hockey, disons simplement qu’il est considéré par certains comme le Jean Béliveau du hockey international et par d’autres, comme le Phil Esposito.

 

Ça en dit long sur ses qualités de joueur. Un joueur qui a récolté 540 points, dont 354 buts, en 320 parties disputées en 12 saisons avec le Slovan Bratislava, un club qu’il a joint alors qu’il n’avait que 18 ans.

 

Vous avez bien lu!

 

Nedomansky a bel et bien maintenu une moyenne supérieure à un but marqué par match disputé dans la Extraliga.

 

Parallèlement à sa carrière professionnelle, il a défendu les couleurs de son pays pendant 11 saisons avec ses coéquipiers de l’équipe nationale. Il a gagné des médailles d’argent (1968) et de bronze (1972) aux Jeux olympiques. Il a ajouté à sa collection une médaille d’or, trois d’argent et trois autres de bronze en Championnat du monde.

 

Capable de faire disparaître la rondelle

 

Samedi, lors de la rencontre des nouveaux intronisés avec des amateurs qui peuvent leur poser des questions, un homme d’un certain âge a tenu à rendre hommage à Nedomansky qu’il a vu jouer alors qu’il était au sommet de sa gloire.

 

Interpellé par le collègue de TSN Gino Reda qui animait la rencontre, l’homme a été invité à décrire les qualités de son idole. « Vous me demandez de vous dire à quel point il était bon? Vraiment? Il a déjà marqué un but que personne d’autre que lui n’a vu. Il était parti de son territoire, avait traversé la zone neutre et une fois en territoire ennemi avait décoché un tir que le gardien n’a jamais vu passer. Mais il n’était pas le seul. L’arbitre et les juges de lignes qui étaient sur la patinoire cherchaient eux aussi la rondelle. Et c’est seulement après que "Big Ned" eut indiqué qu’il avait marqué, que les officiels ont finalement retrouvé la rondelle. Voilà à quel point il était un marqueur redoutable. »

 

Réaliser un rêve d’enfance

 

À 75 ans bien comptés, Nedomansky est encore solide comme un chêne. Sa carrure est encore bien évidente même s’il a troqué l’équipement de hockey pour le veston et la cravate. Un peu – pas mal en fait – gêné de l’attention qui lui est accordée, cet éducateur physique de profession affirme le plus simplement du monde que c’est « pour réaliser un rêve d’enfance » qu’il n’a pas hésité à défier les autorités et à mettre le cap sur le Canada en 1974.

 

L’exil représentait alors la seule avenue possible pour réaliser ce rêve. Car quatre ans plus tôt, les Rangers de New York, les Sabres de Buffalo et les Flames d’Atlanta, intéressés à obtenir ses services, n’avaient pu obtenir la collaboration nécessaire de la Tchécoslovaquie afin de légaliser les procédures d’immigration en échange de grosses sommes d’argent offertes à la fédération de hockey tchèque. Les années passaient et rien n’indiquait qu’il pourrait trouver une façon légale d’entrouvrir le Rideau de fer qui l’emprisonnait à l’Est.

 

Nedomansky a donc décidé de lui-même créer une brèche dans ce rideau alors très étanche.Vaclav Nedomansky

 

Adulé dans son pays, «Bib Ned» ne pouvait espérer se faufiler en douce aux douanes. C’est donc à bord d’une voiture, avec son épouse Vera et leur fils Vashi, alors âgé de trois ans, qu’il s’est présenté à la frontière séparant la Tchécoslovaquie et l’Autriche. Armé d’un visa touristique obtenu de manière illégale, Nedomansky a prétexté partir en vacances avec sa famille pour justifier la présence de trois grosses valises à bord du véhicule.

 

Quelques mètres plus loin, ils se retrouvaient en pays libre. Nedomansky ne partait bien sûr pas en vacances. Il était attendu de l’autre côté de la frontière par des dirigeants des Flames d’Atlanta et des Toros de Toronto de la nouvelle Association mondiale de hockey.

 

Parce qu’il avait déjà décidé que le Canada serait sa terre d’asile, il a accepté l’offre des Toros et mis le cap sur Toronto où il s’est retrouvé avec sa famille après une brève escale à Montréal.

 

Incapable de rivaliser avec les Maple Leafs et la LNH à Toronto, les Toros ont rapidement déménagé à Birmingham. Déjà citoyen canadien, Nedomansky a suivi ses coéquipiers pour poursuivre son aventure dans l’Association mondiale.

 

À son arrivée en Amérique du Nord, Nedomansky avait statué qu’il voulait prouver être en mesure de jouer le hockey canadien avec succès. Il a réussi. Bien qu’il n’ait pu maintenir le rythme de plus d’un but marqué par match qu’il affichait en Tchécoslovaquie, Big Ned, qui est débarqué dans l’Association mondiale à 30 ans, s’est toutefois «contenté» d’une moyenne d’un point par rencontre alors qu’il a marqué 135 buts et récolté 253 points en 252 rencontres disputées dans l’AMH.

 

Ce n’est pas rien!

 

Trois ans après avoir réalisé son rêve de jouer au hockey en Amérique du Nord, Nedomansky s’est finalement retrouvé dans la LNH alors que les Red Wings de Detroit ont acquis ses services. Après six saisons avec les Wings, les Rangers et les Blues de St.Louis, six saisons au cours desquelles il a marqué 122 buts et récolté 278 points en 421 parties, Nedomansky a pris une retraite bien méritée.

 

« Je regrette seulement d’être arrivé trop vieux dans la LNH. Je n’avais plus les mêmes moyens physiques pour performer comme je l’aurais voulu. Mais quand je regarde ce que j’ai vécu ici après ma défection, je ne changerais rien à ce que j’ai fait. J’ai pris la bonne décision pour moi, pour ma carrière et pour ma famille. Et j’arriverais aux mêmes conclusions même si on ne m’avait pas fait l’honneur immense de me donner une place ici au Temple de la renommée du hockey. »

 

Un traître banni de l’histoire du hockey tchèque

 

Les conséquences négatives de l’exil de Nedomansky ont pourtant été nombreuses et importantes.

 

Une fois exilé, il a littéralement cessé d’exister en Tchécoslovaquie où on le comptait comme mort bien sûr au sens figuré. Considéré comme un traître, Nedomansky a cessé d’exister. On a rayé ses exploits dans les livres d’histoire du hockey tchèque et rayé toutes ses statistiques personnelles.

 

Lors d’une tournée nord-américaine de l’équipe de l’Armée rouge, les dirigeants du hockey soviétiques ont demandé à ce que les Red Wings rayent le nom de Nedomansky de leur formation pour cette partie « amicale ». Ils ne voulaient pas que les amateurs de hockey qui écouteraient la radiodiffusion de la rencontre réalisent que Nedomansky était non seulement encore bien vivant, mais qu’il poursuivait sa carrière dans le monde libre.

 

Les Wings ont refusé.

 

« Lors de la diffusion de la partie, les commentateurs n’ont jamais prononcé mon nom. Ils n’avaient tout simplement pas le droit. Ils devaient se contenter de m’identifier par le numéro de mon chandail », expliquait avec une fierté évidente Nedomansky aux partisans venus rencontrer les intronisés samedi.

 

L’affront de retrait du nom de Vaclav Nedomansky et de ses exploits multipliés dans l’ex-Tchécoslovaquie et sur la scène du hockey européens a été corrigé en 1997 lorsque la Fédération internationale de hockey sur glace lui a réservé une place dans la première cuvée d’intronisés au Temple de la renommée de la IIHF.

 

Depuis le milieu des années 1990, Vaclav Nedomansky a travaillé comme dépisteur pour plusieurs équipes de la LNH. Il a fait partie du groupe de dépisteurs qui ont donné naissance aux Golden Knights de Vegas et est toujours à l’emploi de cette équipe.