S’il existait un trophée permettant de reconnaître la surprise de l’année dans la Ligue nationale, les Golden Knights de Las Vegas n’auraient pas une once de compétition pour l’emporter. Un peu comme leur entraîneur, Gerard Gallant, d’ailleurs, qui pourrait se faire expédier le trophée Jack-Adams par la poste tellement la course avec les deux autres finalistes, Jared Bednar, de l’Avalanche, et Bruce Cassidy, des Bruins, pourtant méritants eux aussi, est inégale.

Quelle histoire que celle-là! J’ai assisté à la naissance de toutes les équipes d’expansion dans la Ligue nationale. Chaque fois, on s’est demandé comment ces nouvelles venues allaient pouvoir tirer leur épingle du jeu en se satisfaisant des miettes qu’on leur offrait. Les joueurs obtenus étaient purement des rejets des autres formations : des patineurs de quatrième trio, des huitièmes ou des neuvièmes défenseurs et des gardiens sans grand avenir ou en fin de carrière. D’ailleurs, depuis la première expansion en 1967, seulement cinq équipes ont participé aux séries à leur première saison.

N’allez pas chercher très loin. Le Lightning de Tampa Bay, plus que jamais favori pour gagner la coupe Stanley après l’élimination des Penguins, ont raté les séries pas moins de 9 fois à leurs 10 premières années. Les Capitals de Washington ont manqué le bateau à leurs 8 premières saisons. Les Predators de Nashville ont échoué à leurs 5 premières années. L’autre organisation encore en vie dans les présentes séries, les Jets de Winnipeg, n’ont remporté que 20 victoires à leur entrée dans le circuit.

Dans le cas des Golden Knights, le scénario a été très différent. Disons que les rejets ont été d’un meilleur cru. Ce qui ne veut pas dire que les joueurs qui se sont retrouvés au camp d’entraînement, à Vegas en septembre dernier, ne ressentaient pas des sentiments partagés. D’un côté, ils y voyaient une occasion de relancer leur carrière au sein d’une organisation qui allait leur accorder cette chance. De l’autre, ils savaient tous que leurs anciens employeurs les avaient laissés tomber pour diverses raisons. Dans la plupart des cas parce qu’ils en avaient gardé des meilleurs.

S’ils ont si bien répondu à la ligne directrice des Golden Knights, c’est probablement parce que l’entraîneur Gerard Gallant les a fort bien compris après être lui-même passé par là. Il a compris tout ce qu’on peut ressentir quand on est rejeté. Il a vécu une situation nettement plus embarrassante que celle de ses propres joueurs qui ont dû mettre le cap sur une ville ayant peu d’attachement pour le hockey.

Jetés à la rue comme des vauriens

Le 27 novembre 2016, après une défaite de 3-2 en Caroline, Gallant et son adjoint Mike Kelly ont été congédiés sauvagement par Tom Rowe, un ami du propriétaire des Panthers de la Floride qui rêvait d’un job d’entraîneur dans la Ligue nationale. Pendant que les joueurs des Panthers étaient déjà à bord de l’autobus, on a ouvert le compartiment des bagages pour en extirper les valises de Gallant et de Kelly. Ils venaient d’apprendre qu’ils ne faisaient plus partie de l’organisation. Arrangez-vous avec vos troubles, nous on s’en va.

On les a bêtement abandonnés avec leurs valises dans le stationnement de l’aréna. Ils ont dû faire appel à un taxi pour quitter les lieux. Imaginez l’humiliation qu’a dû ressentir Gallant, jeté à la rue sous le regard incrédule de ses joueurs. Les Panthers présentaient un dossier de 11-10-1 malgré l’absence de trois joueurs clés, blessés. La saison précédente, Gallant avait conduit l’équipe à une saison record de 47 victoires et de 103 points, bonne pour le premier rang dans la division Atlantique, un exploit qui avait fait de lui un finaliste pour le trophée Jack-Adams.

On a invoqué une différence philosophique entre Rowe et Gallant pour expliquer ce congédiement. Rowe a dirigé les 60 derniers matchs du calendrier. L’équipe a raté les séries, de sorte qu’on ne risque pas de revoir cet opportuniste derrière un banc dans la Ligue nationale.

Quant à Gallant, il a reçu l’appel du directeur général des Golden Knights, George McPhee, cinq mois plus tard. Son embauche a été un coup fumant puisqu’il passera maintenant à l’histoire après avoir mené une formation de l’expansion au championnat de la division Pacifique grâce à une récolte de 109 points.

Les Golden Knights forment un groupe excitant parce que plusieurs joueurs ont connu la saison de leur vie. William Karlsson, qui n’avait jamais obtenu plus de 9 buts, en a marqué 43. Jonathan Marchessault est passé de 51 à 75 points. Ses 48 mentions d’assistance constituent un record personnel. David Perron a atteint des sommets de 50 assistances et de 66 points. Erik Haula est passé de 15 buts et 34 points au Minnesota à 29 buts et 55 points cette saison. Et que dire de Marc-André Fleury qui, a 33 ans, a connu la meilleure saison de sa carrière avant d’avoir le meilleur sur les réputés Jonathan Quick et Martin Jones en séries?

Une culture d’entreprise

Si George McPhee n’est pas choisi le directeur général de l’année, l’injustice sera magistrale. Il a eu un an pour bâtir une équipe dont on attendait peu de choses en octobre dernier. Il était pourtant satisfait de ses choix et de tous les pactes conclus avec ses homologues qui lui ont valu de mettre la main sur des joueurs plus intéressants que prévu. Puis, il a mis en place une culture dont diverses organisations, notamment celle du Centre Bell, auraient avantage à s’inspirer. Cette saison, je n’ai pas visionné un match des Golden Knights au cours desquels les joueurs n’ont pas joué le pied au plancher. Pas un seul match durant lesquels j’ai noté un excès de fatigue de leur part. Qu’est-ce qu’on a bien pu leur dire pour qu’ils jouent comme si leur propre vie en dépendait?

Les combatifs Golden Knights ne sont pas des surhommes. Ils sont juste des joueurs acharnés. Je les observais en me demandant ce qui empêchait l’équipe que nous avons constamment sous les yeux d’offrir un effort similaire, d’exprimer la même soif de gagner, la même cohésion et la même rage de vouloir être les meilleurs.

Dans cette organisation, on a créé une attitude (un mot à la mode) dès le départ et on a vu à ce qu’elle soit respectée. On n’a pas laissé tout un chacun faire la loi dans le vestiaire. L’entraîneur a instauré le temps de le dire une chimie au sein d’un groupe de joueurs n’ayant jamais évolué ensemble. Du rarement vu.

McPhee, de son côté, croit que le travail qui a été fait avant même que les joueurs fassent connaissance a été primordial. Il révèle qu’on a mis de l’accent sur le personnel de direction et sur un groupe de recruteurs soigneusement choisis. Puis, on s’est appliqué à créer une culture qui risque de faire des petits dans la ligue.

« Je crois qu’il faut gagner à l’extérieur de la patinoire avant de gagner sur la glace. On a beaucoup insisté là-dessus », dit-il.

Une leçon à retenir pour plusieurs.