MONTRÉAL – Patrick Roy n’a pas connu le rendement flamboyant dont il rêvait à son arrivée, en décembre 1995, avec l’Avalanche du Colorado et il se souvient d’une conversation avec Pierre Lacroix qui a été très bénéfique en vue de remporter la coupe Stanley quelques mois plus tard. 

« Je suis obligé de dire, qu’au départ, avec l’Avalanche, ça s’était plus ou moins bien passé. C’était difficile dans les premiers matchs. Un moment donné, après une partie, j’étais sorti de l’aréna et ma femme n’était pas là. Pierre m’avait dit "C’est moi qui va te ramener à la maison ". Je me suis dit "Oh boy!" On avait eu une bonne discussion dans l’auto. Je lui expliquais que ce n’était pas facile pour moi de jouer pour un homme pour lequel j’avais beaucoup d’admiration, que j’aimais beaucoup et que j’avais peur de décevoir. Il m’a dit "Arrête d’avoir peur de me décevoir, fais ce que tu es capable de faire et ça va bien aller" », a raconté Roy au lendemain du décès de Lacroix qui a été son premier agent et son directeur général.  

« Il avait toujours ce côté de vouloir s’assurer que tout le monde se sentait bien autour de lui », a-t-il poursuivi dans le cadre d’une visioconférence.

Les témoignages affluent depuis la mort de Lacroix, ce bâtisseur du hockey qui aura exercé une grande influence sur une tonne d’athlètes et de personnes. Cela dit, difficile de trouver un athlète qui aura été plus marqué par lui que l’ancien numéro 33. 

« Je me souviens, quand je jouais avec le Canadien, son bureau était à Laval et j’arrêtais souvent quand je m’en allais vers le nord. On jasait des Nordiques et d’autres équipes. On parlait, qu’un jour, il rêverait de devenir directeur général, il avait cette ambition », a raconté Roy qui s’est plongé dans ses souvenirs avec générosité. 

Avant que Lacroix ne devienne le DG et le président des Nordiques en 1994, son jeune client n’avait pas tardé à remporter la coupe Stanley en 1986 et en 1993 avec le Canadien. Comme Roy l’a précisé, Lacroix connaissait très bien le marché de Montréal et il a été d’une immense aide pour gérer ce contexte qui peut nous faire perdre le contrôle. 

« C’est sûr que, quand tu évolues avec le Canadien de Montréal à un jeune âge, tu as besoin de gens forts autour de toi. J’ai toujours été extrêmement chanceux, j’ai eu des gens qui m’ont bien encadré et Pierre faisait partie d’eux. Il était toujours présent et il s’assurait que je garde le cap sur ce que je voulais faire. Il a été instrumental dans mes succès, il n’y aucun doute là-dessus », a convenu Roy. 

Depuis sa première rencontre avec lui, dans un restaurant St-Hubert de Granby, alors qu’il jouait pour les Bisons, Roy conserve une tonne de précieux souvenirs. 

« Tes parents t’aident à traverser les premières étapes et ils remettent un peu ta carrière entre les mains d’une personne. Il m’a conseillé après les victoires et les défaites. Son rôle a été excessivement important. Dans mes premières années avec le Canadien, sans avoir Pierre à mes côtés, c’est certain que ç’aurait été beaucoup plus difficile », a-t-il noté. 

D’un côté, Lacroix était cet homme de famille, très attachant et drôle. De l’autre, il savait se montrer strict et parfois intransigeant dans les négociations. Son ascension à titre de directeur général des Nordiques, en 1994, constitue un exemple éloquent. 

« Pierre a été très bon pour couper les ponts avec moi et de s’assurer qu’on s’en allait chacun dans nos nouvelles directions. Il m’avait très bien fait comprendre qu’on était rendus là et que ça devait se faire ainsi. Même si on était jeune et qu’on souhaitait garder cette personne près de nous, c’était dans les meilleurs intérêts », a indiqué Roy. 

« C’est une décision qui m’avait fait beaucoup de peine, je perdais un allié extrêmement important », a ajouté l’ancien gardien qui n’a jamais été mal pris puisque Robert Sauvé a assuré la relève comme agent auprès de la firme Jandec.

Nul doute, Roy a grandement apprécié que Lacroix procède à son acquisition après l’incident fâcheux survenu à Montréal. Le dirigeant a contribué à le remettre sur pieds et Roy avoue que ce fut « très difficile » comme période. Mais quoi de mieux que de répliquer avec un championnat qui demeure son plus beau moment avec Lacroix. 

« La coupe Stanley de 1996, c’est le moment le plus fort. Ça survenait six mois après la transaction avec le Canadien. On niaisait souvent que ce serait le fun de gagner une coupe Stanley ensemble et ça s’est matérialisé cette année-là. On était les deux excessivement heureux. Des fois, on dit des choses en se disant que ça n’arrivera jamais, mais le fait que ce soit arrivé et aussi rapidement, c’est certain que c’est un moment fort », a ciblé Roy parmi sa liste d'expériences inoubliables à ses côtés. 

Un homme de famille qui a sa place au Temple de la renommée

Oui, les deux conquêtes de la coupe Stanley avec l’Avalanche occupent une place importante dans son cœur, mais Roy tenait à insister sur les valeurs familiales propagées par Lacroix. 

« C’était ça Pierre, il était à l’écoute. Il voulait un esprit familial. Ses valeurs familiales se transposaient dans le hockey », a-t-il répété à quelques reprises. 

Pierre Lacroix : grand négociateur et homme de famille

« Il a toujours voulu qu’on soit une famille, il a toujours cru à ça. Je lis les commentaires de tous et chacun et il avait cette qualité de tous nous faire sentir aussi importants l’un que l’autre », a ajouté Roy qui s’inspire de son approche avec ses propres enfants. 

En tant que patron d’une équipe de hockey, ça se constatait ainsi. 

« Il était très présent. S’il sentait qu’un joueur traversait une période difficile, il parlait avec lui. Il se donnait ce rôle pour épauler son entraîneur, qu’il n’ait pas toute la pression. Il faut dire qu’au Colorado, l’objectif était toujours de remporter la coupe Stanley. Dans mes années (de décembre 1995 au printemps 2003), on a eu un cheminement assez spécial. Si sa mémoire ne me fait pas défaut, on est allés six fois en finale d’association en huit ans. C’est quand même assez spécial », a mentionné Roy sans se tromper.  

Roy appréciait également que Lacroix ne faisait pas de cachettes avec lui. Il était notamment transparent dans ses négociations avec Serge Savard à l’époque du Canadien. 

Au moment de se lancer dans l’aventure du hockey junior, Roy savait vers qui se tourner pour obtenir des conseils. 

« Oui, surtout au début. Je n’avais aucune expérience. Pierre me disait tout le temps que je devais avoir une après-carrière, un plan. Veux, veux pas, tu as eu la pédale dans le prélart pendant 18 ans, tu investis beaucoup d’énergie et de pression sur ta carrière. Tu dois avoir quelque chose qui va continuer d’animer cette excitation et ce désir de vouloir performer », a reconnu Roy. 

Il le voyait en quelque sorte comme un mentor et il se souvient d’un conseil qui fait rire. 

« Je me rappelle qu’il me disait parfois "Tu ne sais pas pourquoi tu chiales, mais il faut que tu le fasses parce que ça ramène tout le monde à la bonne place". Des fois, je le faisais et je partais en riant. Je me disais que ça n’avait pas de sens, mais ça donnait parfois des résultats », a narré le grand manitou des Remparts de Québec.  

Parlant de famille, Roy le verrait donc assurément dans celle du Temple de la renommée. 

« Je ne veux pas embarquer dans ce débat de savoir si c’est une injustice ou non, mais c’est certain que Pierre Lacroix a sa place au Temple de la renommée. Le succès qu’il a connu comme agent et comme directeur général. Je pense que c’est une question de temps avant que Pierre Lacroix y soit. C’est une personne qui a eu un impact sur le hockey. Comme bâtisseur, il n’y aucun doute dans mon esprit qu’il a sa place là-bas. Éventuellement, ça va arriver. Je trouve ça seulement dommage qu’il ne puisse pas le vivre de son vivant », a statué Roy qui a vanté ses acquisitions très influentes de Theoren Fleury, Rob Blake et Raymond Bourque. 

Un décès qui semblait irréel

Ça faisait cinq ou six ans que Roy n’avait pas croisé Lacroix qui était âgé de 72 ans. Les deux hommes s’échangeaient surtout des messages textes depuis quelques années. La nouvelle a donc été brutale quand il a reçu, dimanche, un message de l’un des fils de Lacroix. 

« Pierre Lacroix en imposait »

« Ça disait qu’il me remerciait d’avoir fait partie de sa vie et qu’il m’aimait beaucoup. Je ne comprenais pas trop ce qui se passait, je n’étais pas au courant que Pierre était hospitalisé depuis trois semaines. J’ai demandé "Voyons, qu’est-ce qui se passe?" Il m’a expliqué que son père était décédé depuis une trentaine de minutes à la suite d’un arrêt cardiaque après des complications de la COVID. Sur le coup, c’est un choc, tu ne t’attends pas à ce genre de nouvelle », a décrit Roy qui trouvait le tout irréel.  

Puisque sa mort survient en raison de complications liées à la COVID-19, ça rend le tout encore plus délicat. 

« C’est sûr que ça fait réfléchir. Certaines personnes n’ont aucun symptôme et passent à travers très facilement tandis que ça devient extrêmement difficile pour d’autres. On a tous hâte que ce soit derrière nous et qu’un vaccin nous permette de reprendre une vie plutôt normale », a conclu Roy.  
 

ContentId(3.1378852):Pierre Lacroix, architecte de deux coupes Stanley
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