Julien Brisebois est un jeune et brillant administrateur de hockey. Il a exploré diverses facettes du métier dans l'organisation du Canadien avant d'aller en faire autant au sein du Lightning de Tampa Bay. À Montréal, à titre de vice-président des opérations hockey, il a été appelé à négocier les contrats des joueurs. Il a aussi agi à titre de directeur général de la filiale, à Hamilton. À Tampa, il est actuellement adjoint au directeur général Steve Yzerman en plus d'être le DG de la filiale, à Syracuse. Il est impliqué dans les négociations de contrat des joueurs du Lightning, même si cela se passe un peu différemment qu'au Centre Bell.

Sur le plan administratif, il semblait avoir un avenir certain avec le Canadien. Puis, un jour, il a annoncé à Bob Gainey son intention d'aller compléter son bagage de connaissances ailleurs. Il n'avait aucune organisation en tête. Pour reprendre son expression, il est parti sans filet, en ignorant tout de son avenir immédiat.

Mais pourquoi donc est-il parti? Se sentait-il coincé entre Gainey et celui qui allait lui succéder éventuellement, Pierre Gauthier? Croyait-il ses chances d'avancement un peu minces à Montréal?

Trois ans après son départ, le Montréalais de 37 ans accepte de lever le voile sur les raisons de ce départ qui a privé le Canadien d'un homme qui gravit patiemment les échelons qui le mèneront probablement un jour à un poste de directeur général dans la Ligue nationale.

Que s'est-il passé chez le Canadien pour que vous en arriviez à quitter l'organisation prestigieuse de votre ville natale sans même savoir où aller?

Je suis parti parce que je pensais que cette décision améliorerait mes chances de devenir directeur général un jour. En agrandissant mon réseau de contacts, j'aurais par la même occasion la chance de connaître une autre organisation, totalement différente de celle de Montréal, dans un autre marché et une autre réalité. C'est un bagage de connaissances que je ne croyais pas pouvoir acquérir en restant avec le Canadien. Ça faisait presque 10 ans que j'étais avec l'équipe. Comme dans n'importe quelle autre fonction, il y a de moins en moins de nouveauté. Tout cela a fait partie de ma réflexion.

Vous sentiez-vous obligé de partir?

Ça s'est passé l'été au cours duquel plusieurs joueurs autonomes ont quitté le Canadien. Je ne voulais pas partir à ce moment-là parce qu'il y avait beaucoup de boulot à accomplir. Je trouvais que de donner une année d'avis au Canadien était la bonne chose à faire. J'ai dit à Bob (Gainey) que je partirais l'été suivant. Quand Pierre (Gauthier) a succédé à Bob comme directeur général, il m'a dit qu'il savait que je voulais acquérir de l'expérience ailleurs, mais que je pouvais rester avec le Canadien aussi longtemps que je le désirais. Finalement, j'ai été chanceux. Steve Yzerman cherchait quelqu'un et je me suis retrouvé à Tampa.

Il ne vous est pas passé par l'esprit de patienter davantage avec le Canadien dans l'espoir d'en devenir le directeur général un jour?

Quand j'ai mentionné à Bob mon intention de partir, je n'avais aucune indication que le poste de DG allait s'ouvrir à court terme. Quand le rôle a été confié à Pierre, j'ignorais donc que cela allait se produire. Le poste est devenu disponible et ce n'est pas moi qui l'ai obtenu. Ça s'est passé six mois après avoir avisé Gainey de mon intention de partir. Que Gauthier se soit vu offrir cette promotion a été tout à fait légitime. Cela ne changeait rien à ma propre réalité puisque j'avais mes raisons de partir. Le même poste n'allait pas être disponible une autre fois dans un proche avenir. Cependant, si on me l'avait offert, c'est sûr que je serais resté.

Est-ce que cette décision s'est avérée profitable? Est-ce que la vision que vous vous faisiez de votre avenir en quittant Montréal s'est matérialisée?

J'ai eu la chance d'apprendre plein de trucs, de côtoyer de nouvelles personnes et de soutirer des choses de chacune d'elles. J'ai étendu mon réseau de contacts. Quand j'ai besoin d'informations, j'ai maintenant plein de ressources à ma disposition.

Est-ce que cela améliore vos chances de devenir directeur général?

Tout ce que je peux dire, c'est que je suis encore directeur général adjoint (rire). On verra ce qui se passera dans l'avenir.

Steve Yzerman est très jeune. Ça pourrait prendre un certain temps encore.

Quand tu es un adjoint, tu n'as jamais en tête de remplacer ton patron. On travaille tellement souvent ensemble que cela crée des liens de confiance entre nous deux. Les gens que je connais qui ont hérité de ce poste après le remplacement du directeur général ont trouvé cela difficile. Sur le plan humain, c'est une réaction normale. Ils sont contents d'obtenir le job, mais ils remplacent un ami, un complice.

À Tampa, vous travaillez en parfaite harmonie avec des gens accessibles et ouverts aux suggestions. À Montréal, Gainey et Gauthier étaient des gens hermétiques disait-on.

Ça, ce n'est pas vrai. Ils avaient des personnalités très différentes. Bob est un véritable pince-sans-rire. On s'amusait beaucoup avec lui. Pierre Gauthier est très intelligent. Il n'était pas là au quotidien. Il était soit à Philadelphie (son lieu de résidence à l'époque) ou soit sur la route. J'ai beaucoup aimé travailler avec eux, comme j'aime travailler avec les gens de notre organisation.

Qu'est-ce qui fait que votre carrière progresse? Que faites-vous à Tampa que vous ne pouviez pas faire à Montréal?

J 'ai dû me familiariser avec un marché totalement différent. Les ressources financières, les partisans, les médias, l'impact dans la communauté, tout est très différent. J'ignore un jour si je serai directeur général et je sais encore moins où cela pourrait se produire, mais j'aurai connu deux environnements différents. Dans les deux cas, j'aurai participé à une reconstruction. Quand je suis arrivé avec le Canadien, l'équipe venait de traverser quatre saisons difficiles et on a réussi à rebâtir quelque chose. À Tampa, tout était à refaire. Ça ressemblait à une équipe d'expansion, sauf que nous avions déjà Vincent Lecavalier, Martin Saint-Louis, Steven Stamkos et Victor Hedman. Pour le reste, tout était à refaire, tant sur le plan hockey que des affaires. Tout cela m'a procuré du vécu et de l'expérience.

Comme Steve Yzerman pourrait rester en poste encore très longtemps, cela pourrait vouloir dire que si vous devenez directeur général un jour, ce ne sera peut-être pas à Tampa?

Probablement pas. Je ne vois pas Steve partir. Il n'a que 48 ans. Ça ne fait pas longtemps qu'il occupe le poste. Il adore ça.

Cela pourrait vouloir dire que vous répéterez ce que vous avez fait à Montréal en avisant vos employeurs de votre intention d'aller vérifier ailleurs si vos chances d'obtenir l'emploi sont supérieures?

J'ai travaillé au sein du Canadien durant près d'une dizaine d'années. J'en suis à ma troisième saison avec le Lightning. Je n'en suis pas là dans ma réflexion. Je me plais dans mes fonctions. Chaque jour, j'adore aller travailler. Je ne suis pas différent des gens qui ont de l'ambition. Je me suis beaucoup investi dans l'espoir de devenir directeur général. J'aimerais avoir l'occasion de me faire valoir. J'aimerais découvrir comment je pourrais me mesurer aux 29 autres dirigeants de la ligue.

Quand l'ouverture se produira, cela signifie que vous serez fin prêt à le devenir?

Je me sens prêt en ce moment. Toutefois, je suis conscient que les candidats sont nombreux et qu'il n'y a que 30 postes disponibles. Ce n'est pas tout le monde qui pourra profiter de cette chance.

Il y a deux ans, quand Geoff Molson, Serge Savard et Kevin Gilmore se sont mis à la recherche d'un successeur à Pierre Gauthier, vous avez été rencontré. Avez-vous pensé à ce moment-là que vous aviez une chance d'obtenir le poste?

J'ai cru que j'avais une chance, mais c'était loin d'être une chose assurée. On m'a permis de croire que j'avais une chance légitime de l'obtenir. On ne m'a pas dit pourquoi je n'avais pas été retenu. On n'avait pas à le faire. Quand Geoff m'a téléphoné pour me faire part de son intention de choisir Marc Bergevin, il a été très élogieux à mon égard, beaucoup plus qu'il avait à le faire. Je comprenais l'aspect business de cette décision. Ce n'était pas plus grave que ça. Je lui ai souhaité bonne chance avec Bergevin.

La prochaine fois…

Julien Brisebois a donc vu le poste de directeur général du Canadien lui passer sous le nez à deux occasions. La première fois, on lui a préféré un homme qui avait déjà été directeur général de deux organisations de la Ligue nationale. À la seconde occasion, on a choisi un candidat qui, comme lui, était un aspirant qui avait fait ses classes au deuxième étage.

La troisième fois, sans doute quelque part dans la ligue, devrait être la bonne.

L'intelligence, le bagage d'expériences et le jugement sûr existent déjà. Ne manque plus à Brisebois qu'une organisation en quête d'une bonne tête de hockey.