On a eu un pincement au coeur au Québec quand Seattle, à la suite d’un vote unanime du comité exécutif de la Ligue nationale, a obtenu son équipe au coût de 650 millions. On en aura un autre quand on annoncera éventuellement la venue de Houston dans le circuit Bettman. On ne devrait plus s’étonner de rien depuis la rebuffade subie par Québec, il y a plus de deux ans, quand Las Vegas a été l’unique ville retenue, même si Québec remplissait, elle aussi, tous les critères d’acceptation.

 

On avait demandé aux villes intéressées de soumettre leur candidature. Parmi les conditions fixées par la ligue, il y avait un droit entrée de 500 millions $ et un amphithéâtre moderne. Quand Québec et Las Vegas ont été les deux seules villes à présenter un cahier respectant toutes les conditions, on a cru que c’était dans la poche pour Québec.

 

Ce qui s’est passé a été carrément insultant pour l’équipe canadienne sur les rangs. Pourquoi Las Vegas et non Québec si les deux groupes intéressés étaient prêts à signer le gros chèque sur-le-champ? On s’était bien gardé de nous le dire, mais Québec n’était pas du tout dans les plans de la ligue. Elle ne l’est toujours pas aujourd’hui. Peut-être ne le sera-t-elle jamais. À moins, bien sûr, que la ligue ait un jour sur les bras une équipe tellement en déroute financièrement que la cité du maire Labeaume s’avère son unique bouée de sauvetage.

 

En acceptant Las Vegas dans ses cadres, le Bureau des gouverneurs avait voté du même coup pour placer la candidature de Québec en attente. C’est de cette façon qu’on nous avait expliqué ce coup de Jarnac. La faiblesse du dollar canadien, évalué à 78 cents dans le temps, avait été invoquée. Peut-être aussi que des études de marché avaient sonné une clochette d’alarme concernant des risques logiques sur la capacité de payer des partisans québécois. On s’était toutefois gardé une petite gêne en n’insistant pas trop sur la petitesse du marché et sur le fait que le plafond salarial de la ligue était à 15 millions quand les Nordiques, étouffés financièrement, avaient pris la route du Colorado.

 

Il semblait y avoir un autre obstacle majeur aux yeux des dirigeants de la ligue: Pierre Karl Péladeau. Un haut dirigeant et un homme d’influence dans la ligue avait eu cette question intrigante devant un collègue montréalais: «Ce Péladeau, c’est pas le gars qui essaie de séparer le Canada?»

 

C’était peut-être une indication qu’on le considérait déjà comme un homme potentiellement à risque. Gary Bettman est très sensible à ce genre de situation. Même si le patron de Québecor ne milite plus activement pour un Québec libre, le commissaire ne voudrait jamais courir le risque de voir un de ses propriétaires menacer l’autonomie ou la sécurité d’un pays.

 

Trop de situations semblent placer Québec sur une voie d’évitement. D’abord, il y a eu le rejet de Québec dans le cas de Las Vegas. Puis, on n’a même pas considéré le retour du hockey dans la vieille capitale pendant qu’on tordait le bras des gens de Seattle pour qu’ils affichent publiquement leur intérêt. Finalement, Bettman a déjà laissé courir le bruit que Houston pourrait être une prochaine destination. Dans les circonstances, on serait bien naïf de croire que Québec existe encore sur la carte géographique de la Ligue nationale.

 

Toutefois, dans le cas de Seattle, force est d’admettre que ce marché était beaucoup plus sécurisant pour la ligue avec tous les sièges sociaux d’entreprises majeures qui y sont installés. Une ville agréable avec plein de gens chaleureux, comme me l’a fait remarquer un homme d’affaires d’ici qui y a séjourné au cours de l’été. Les salaires y sont parmi les plus élevés au pays. Beaucoup de jeunes diplômés viennent s’y installer avec leurs familles. Seattle s’est classée bonne deuxième parmi les villes américaines ayant accepté le plus grand nombre de nouveaux citoyens l’an dernier. Clairement, Québec ne pouvait pas en dire autant.

 

On ne proteste pas fort

 

Curieusement, les amateurs de Québec ne montent pas aux barricades quand la possibilité de revoir les Nordiques leur passe sous le nez d’une façon répétée. Ce sont surtout les médias qui s’offusquent à chaque occasion. Ils apprécieraient le retour de la bonne vieille rivalité Québec-Montréal. Ça créerait de l’engouement et de la bonne copie pour tout le monde et, disons-le, ça obligerait le Canadien à se grouiller davantage pour produire une formation gagnante.

 

À l’ombre du Centre Vidéotron, on semble en avoir pris son parti. Trop cher le hockey professionnel, croit-on, probablement. Dans cinq ou six ans, le prix d’une concession frisera le milliard de dollars. En devise canadienne, compte tenu de la majoration régulière du plafond salarial, la structure salariale d’une équipe canadienne s’établira probablement à 120 millions. Combien d’argent devrait-on aller chercher dans les poches du public pour en assurer la survie? Au pays du maire Labeaume, je pense que les amateurs ont déjà compris qu’il y a déjà beaucoup à faire pour dépenser son dollar loisir.

 

Pour voir évoluer les Remparts dans un aréna des ligue majeures, il en coûte entre 17$ et 19$. On exige 8$ pour une place de stationnement. Bref, une soirée est moins dispendieuse qu’un espace de stationnement à l’intérieur du Centre Bell. Comment réagirait le public des Remparts s’il devait payer du jour au lendemain 200$ pour un siège, et ce deux ou trois fois semaine, pour applaudir les futurs Nordiques?

 

Et le Canadien dans tout ça?

 

On peut logiquement se demander ce que le propriétaire du Canadien, Geoff Molson, dont l’organisation occupe seule tout le territoire québécois, pense de toutes ces chances ratées par Québec? Comme les organisations de Las Vegas et de Seattle ont obtenu leur équipe en vertu d’un vote unanime, Molson s’est forcément rallié à la majorité.

 

Disons qu’en pleine séance d’étude pour un projet d’expansion, on aurait beaucoup de mal à le voir se lever et protester énergiquement contre le manque d’intérêt de ses partenaires concernant Québec.

 

Molson dit évidemment toutes les bonnes choses au sujet de Québec. Il affirme souhaiter le retour d’une rivalité qui générerait de l’enthousiasme et de l’émotion, mais on ne se contera pas d’histoires. Pourquoi accepterait-il aussi facilement de diviser le territoire avec un un rival sérieux à l’autre extrémité de l’autoroute? C’est un homme d’affaires dont le but premier est d’engranger des millions de dollars pour son groupe d’actionnaires et pour lui-même.

 

Ça fait déjà 23 ans que le marketing du Canadien fait des petits au Lac Saint-Jean, au Saguenay, à Rimouski, en Gaspésie et sur la Côte Nord, des territoires qui permettaient aux Nordiques de tenir leur bout dans la ligue. Depuis l’exil de cette équipe, le Canadien a énormément augmenté sa clientèle. Les jeunes dans la vingtaine n’ont jamais connu les Nordiques.; ils sont devenus des fans du Canadien qui vend ses chandails et ses cossins à la grandeur de la province. Pourquoi Geoff Molson accepterait-il de bon coeur de sacrifier cette clientèle lui rapportant des dizaines de millions supplémentaires? Il ne faut pas s’attendre à ce qu’il nous donne l’heure juste sur ce qu’il en pense vraiment car le milieu de la bière représente parfois une dangereuse source de protestation pour les amateurs. La diplomatie est donc de mise dans son cas.

 

Bien honnêtement, dans la même situation, nous ferions tous comme lui. Pas parce qu’on en a contre Québec, mais parce qu’on est bien heureux d’occuper l’entièreté de ce territoire sportif. La perspective de voir une autre équipe se poindre dans un marché qu’on est seul à occuper depuis près d’un quart de siècle ne constituerait pas une bonne nouvelle sur le plan des affaires, est-ce nécessaire de le préciser?

 

Geoff Molson est souvent élogieux envers Québec, mais on ne l’entend jamais protester publiquement contre le fait que Las Vegas, Seattle et Houston aient préséance sur Québec. Parce qu’il est d’abord et avant tout un homme d’affaires désireux de protéger ses acquis.

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