J'ai été touché par le récit de mon collègue de La Presse, Mathias Brunet, concernant les problèmes de Shayne Corson qui est parvenu à se refaire une vie décente après de graves problèmes d'anxiété et de crises de panique. Des problèmes qui, selon lui, ont failli l'inciter à commettre l'irréparable.

Aujourd'hui, Corson dit comprendre certains anciens coéquipiers, leurs idées noires et leur désespoir, qui sont passés à l'acte parce qu'ils ne voyaient pas d'autres issues. Il lui est arrivé de mêler des tranquillisants à de l'alcool, un cocktail qui ne faisait qu'ajouter à ses maux, on peut le comprendre. Il l'avoue, il a pensé mourir.

J'ai côtoyé Corson pendant 10 saisons avec le Canadien. On le savait turbulent, indiscipliné, tapageur et bagarreur, sur la patinoire comme à l'extérieur, mais personne n'a soupçonné son mal de vivre à l'époque. Il jouait une game, celle d'un athlète dur qui n'avait pas le droit d'afficher ses faiblesses.

La conversation la plus intéressante que j'ai eue avec lui s'est déroulée dans le cadre des Jeux olympiques de Nagano, en 1998. Il était heureux d'être là, mais il aurait donné cher pour que son père soit du groupe de parents qui accompagnaient les joueurs de l'équipe canadienne à laquelle il était si fier d'appartenir.

Son père était décédé cinq ans plus tôt d'un cancer de l'oesophage. Il n'avait que 45 ans. La différence d'âge n'était pas très grande entre les deux puisque monsieur Corson n'avait que 17 ans quand son fils est né. L'ancien du Canadien a assisté à la longue agonie de son père, un colosse de 245 livres qui a fondu à 135 livres avant de mourir.

Les années qui ont suivi ont été particulièrement difficiles pour Corson. Il a admis s'être apitoyé sur son sort. Il se servait de son drame personnel comme excuse. Quand il jouait mal, c'était parce que sa peine était trop grande, disait-il.

Faut dire qu'il avait vécu une très étroite relation père-fils. Ils étaient des chums. Avec une différence d'âge de 17 ans, ils auraient pu être des frères. Toutefois, les plus belles histoires en surface cachent parfois de douloureux états d'âme. On sait aujourd'hui que durant cette entrevue réalisée dans le village des athlètes de Nagano, Corson se mentait à lui-même. Il racontait avoir bien vieilli. Il disait avoir acquis une belle maturité. La douleur provoquée par le décès de son père était encore présente, mais il avait finalement compris qu'il ne pouvait pas invoquer ce malheur personnel pour excuser ses contre-performances. Pourtant, à en juger par les déclarations faites à Brunet, il était probablement encore très troublé dans le temps.

Si Corson est toujours de ce monde et s'il n'a pas emprunté la voie des Derek Boogaard,  Wade Belak, Rick Rypien, Steve Montador et plus récemment Todd Ewen, qu'il a côtoyé chez le Canadien durant une saison, c'est parce qu'il s'est résolu à demander de l'aide. Il reconnaît aujourd'hui qu'il n'aurait jamais pu y arriver seul.

La mort de Todd Ewen

« Chercher de l'aide est vraiment la chose à faire en pareilles circonstances », mentionne Jacques Demers qui, au fil des ans, a vu partir plusieurs athlètes qui ont marqué sa carrière d'entraîneur. Douze joueurs, très exactement. Demers est reconnu pour s'amouracher des joueurs qui ont évolué sous ses ordres. Le décès qui lui a fait le plus mal et dont il parle encore avec émotion est celui de Todd Ewen.

Todd Ewen« J'ai traîné ma peine durant deux jours quand j'ai appris sa mort, raconte-t-il. Je tournais en rond dans la maison. Je n'avais pas le coeur à jouer au golf. »

Ewen a mis ses poings au service de ses coéquipiers en contribuant à sa manière à la coupe Stanley de 1993. À l'instar de tous les joueurs dans son genre, il a encaissé nombre de coups à la tête durant sa carrière. Tout comme Corson dont les troubles d'anxiété et les crises de panique sont probablement liés à ses 239 bagarres dans la Ligue nationale. C'est très rare qu'une bataille se règle par un seul coup de poing. Le total des coups à la tête durant une carrière peut parfois être effarant.

Demers a vu partir Jacques Richard (il l'a dirigé à Fredericton) dans un accident de la route alors qu'il était en état d'ébriété. Même chose dans le cas de Steve Chiasson qu'il a eu sous ses ordres à Detroit. D'autres sont décédés d'un cancer : Shawn Burr (Detroit), Mike Reid (un ex-adjoint chez les Sénateurs qui a joué pour lui à Saint-Louis) et Doug Wickenheiser, également chez les Blues. Les autres décès liés à sa carrière sont ceux de Larry Cahan, Gary MacGregor et Reggie Fleming (Cougars de Chicago), Bryan Fogarty (Canadiens), Gilles « Bad News » Bilodeau (Nordiques) en plus, évidemment, de Bob Probert et Ewen.

« Les accidents de Richard et de Chiasson ne m'ont pas surpris. Je me disais que ce n'était qu'une question de temps parce qu'ils jouaient avec le feu. La mort d’Ewen a été un choc. Todd était un artiste. On pouvait passer une heure à jaser avec lui sans parler de hockey ou de bagarres. C'était un garçon très intelligent. »

Il parle également en termes très positifs de Wickenheiser, décédé d'un cancer. Premier choix du Canadien, il a été incapable de survivre dans la pression de Montréal et de se remettre de l'humiliation qu'il a ressentie après avoir été accablé par les comparaisons avec Denis Savard que le Canadien aurait dû choisir à sa place au repêchage.

« C'est le cas type d'un joueur qui a été choisi par la mauvaise équipe, ajoute Demers. Ce n'est pas une attaque à l'endroit du Canadien. Ils ont fait ce qu'ils avaient à faire. Ils recherchaient un gros joueur de centre et Wickenheiser était leur homme. Tu ne deviens pas le tout premier choix de la ligue sans avoir un talent fou. Toutefois, Doug n'a jamais pu se démarquer. Ce fut très difficile pour lui à Montréal. Il est devenu un athlète confus et n'est jamais devenu l'athlète qu'il aurait dû être. J'ai souvent jasé avec lui. C'était un homme d'une grande sensibilité. »

Inquiet pour Tinordi, Bob Probert est le joueur qui a causé le plus d'ennuis à Demers. Il est décédé d'une crise cardiaque, mais on peut y voir un lien avec toutes les drogues qui ont miné son passé tourmenté d'athlète. À son décès, on a détecté une maladie dégénérative au cerveau.

« Avec lui, je sentais que j'étais en danger de perdre mon vestiaire, dit le dernier entraîneur gagnant de la coupe Stanley à Montréal. On ne peut pas garder dans une équipe un élément qui cause des problèmes hors glace et qui s'endort dans le vestiaire. J'ai essayé de l'aider. Je ne suis pas psychologue. Je ne suis pas psychiatre. J'ai essayé d'être son père, moi qui, comme lui, avais eu un père alcoolique. J'ai tenté de le faire venir vers moi, mais le problème était très profond. »

Avant de prendre congé, Demers y va d'une déclaration étonnante.

« Les bagarreurs vivent des moments dangereux à tous les matchs. J'ai vu le coup de poing qui a assommé Jarred Tinordi dans la Ligue américaine, l'an dernier. Je suis inquiet pour sa carrière. »