Ce n’est pas la première fois qu’on s’inquiète pour Sidney Crosby. Parce que chaque commotion cérébrale le rapproche d’une prochaine, chaque fois qu’il reçoit un coup à la tête ou qu’on le frappe durement contre la clôture, on appréhende le pire. La dernière fois qu’il a subi ce genre de blessure, on a dit qu’il était à une autre commotion près de voir sa carrière prendre fin.

Il en est à sa troisième meurtrissure au cerveau dans la Ligue nationale. Elles lui ont fait manquer 107 parties jusqu’ici. Combien de fois a-t-il été éprouvé de cette façon ailleurs, notamment dans les rangs juniors? Personne n’est en mesure de l’affirmer d’une façon certaine, mais on ne serait pas surpris d’apprendre un jour qu’il en a subi une de trop car il n’est pas question pour lui de s’arrêter. Dès qu’il se sentira un peu mieux, il insistera pour rejoindre les autres.

Au détriment de sa santé, il refusera toujours d’entendre les messages que son corps lui envoie. Il y aura toujours un directeur général ou un entraîneur qui sera pressé de le revoir parce que son retour fait d’abord l’affaire de l’équipe. Parce qu’il faut gagner à n’importe quel prix.

Les Penguins se voient offrir une autre chance de remporter la coupe Stanley, une deuxième de suite et une troisième en neuf ans. Peut-être qu’une occasion comme celle-là ne se représentera plus pour Crosby. Il veut donc encore et toujours faire la différence. Il réalise qu’on a absolument besoin de lui pour la faire. Alors, attendez-vous à ce qu’il ne recule devant rien pour retourner au jeu le plus rapidement possible.

Dans un monde idéal, un spécialiste des blessures au cerveau lui conseillerait d’annoncer sa retraite, un père l’implorerait d’aller faire autre chose de sa vie et Crosby lui-même s’arrêterait pour son plus grand bien et pour celui de la femme et de l’enfant qu’il aura peut-être un jour. Dans une semaine, peut-être deux, quand les maux de tête qui l’affligent en ce moment commenceront à se dissiper, il n’aura pas la moindre envie d’évaluer les énormes conséquences de tous ces traumatismes crâniens qui pourraient l’empêcher de mener une vie normale à l’extérieur du hockey.

À 29 ans, son cerveau a déjà été plusieurs fois hypothéqué. Si Crosby quitte la patinoire à 40 ans, après avoir écrit l’une des histoires les plus spectaculaires dans le hockey, et peut-être aussi après une ou deux autres commotions, de quoi seront faites les 40 années qui suivront? La réponse fait peur. Espérons pour lui qu’il puisse fournir une réponse claire quand on lui demandera combien de coupes Stanley il aura gagnées.

Mais comment peut-on s’attendre à ce qu’il tourne le dos à un sport qui a toujours été sa principale raison d’exister? Crosby est né pour jouer au hockey. Un surdoué, il a toujours été une tête au-dessus du meilleur de ses coéquipiers ou du plus grand de ses compétiteurs. Il mange et dort de hockey.

Je me souviens d’une anecdote survenue durant son stage glorieux de deux ans dans l’uniforme de l’Océanic de Rimouski. Il jouait beaucoup. On l’utilisait à toutes les sauces. On lui a ordonné un jour de prendre congé de certains entraînements, mais il ne croyait pas que c’était nécessaire. On avait dû cacher ses patins pour le forcer à respecter cette directive. C’était peine perdue, cependant. On l’avait aperçu sur une patinoire extérieure en train de jouer avec des jeunes.

Il n'est à l'abri de rien

On pourrait penser qu’il est préoccupé par un profond désir de réussir la plus grande des carrières, en s’offrant un parcours comparable à ceux de Wayne Gretzky, de Gordie Howe ou de Bobby Orr, mais cela n’a rien à voir. C’est déjà acquis qu’il sera reconnu comme l’un des plus grands. Sa place au Panthéon du hockey est déjà acquise grâce à ses 1 027 points en 782 parties seulement, à ses deux titres des marqueurs, à ses deux trophées Hart, à ses deux Ted Lindsay, à son trophée Maurice-Richard et à ses deux coupes Stanley.

Ce n’est pas de ça dont il est question ici. Crosby a besoin du hockey pour respirer. La patinoire est son oxygène. Il ne tient pas compte de ce qu’on dit au sujet des symptômes post-commotionnels en se disant probablement qu’il fera face au problème quand il se présentera. C’est sa vie après tout. Il a le droit d’en disposer comme il le désire. Quand il reviendra, on dira encore qu’il est à une commotion près de la fin de sa carrière.

Quelqu’un quelque part le frappera encore durement. Quand une des plus grandes vedettes de son sport, Alexander Ovechkin, le frappe délibérément à la tête avec son bâton, on sent que Crosby n’est à l’abri de rien. Ce n’est pas Matt Niskanen qu’il faut blâmer pour cette autre blessure sérieuse. Si Ovechkin ne lui avait pas fait perdre l’équilibre à la suite de ce coup vicieux à la tête et si Crosby était resté solidement sur ses patins en poursuivant le jeu, il aurait été moins vulnérable devant le défenseur des Capitals qui n’aurait pas eu l’occasion d’enchaîner avec un deuxième coup à la tête.

Crosby est victime de son talent hors-norme. Pour battre les Penguins, il faut le mettre hors d’état de nuire. C’est mesquin et dangereux, mais c’est comme ça. Chaque fois qu’il est blessé gravement, il finit par reprendre sa place, mais à quel prix?