Où étiez-vous quand Paul Henderson a marqué son but contre l’URSS lors de la Série du siècle en 1972? J’aimerais bien répondre que j’étais à quelque part, mais comme j’étais dans une situation de pas encore né, je ne pourrai jamais répondre à la question.

Il y a un an aujourd’hui, Sidney Crosby faisait exploser de joie le Canada tout entier en battant Ryan Miller entre les jambières en prolongation lors de la finale olympique contre les Américains à Vancouver.

Une pointe de 26.5 millions de téléspectateurs, environ 80% des Canadiens ont regardé une partie du match. Des chiffres renversants qui prouvent à quel point ce match était LE match.

Ce but, on en parlera encore dans 50 ans, comme on parle encore du fameux but de Henderson. Et dans 50 ans, on posera encore la question : où étiez-vous quand Crosby a marqué le but le plus important de sa carrière?

Et dans 50 ans, je me pincerai encore quand on va me poser la question : où étais-tu quand Sidney Crosby a marqué? Parce que, à l’instar de quelque 18 000 spectateurs privilégiés, j’étais à l’intérieur de la Place Hockey du Canada pour assister à la rencontre.

J’avais peine à croire que j’assisterais à ce match et j’ai toujours peine à croire que j’ai assisté à ce moment magique. Un privilège unique et incroyable. J’ai remercié la vie 1000 fois de m’avoir permis d’assister à ce match et je la remercierai encore 1000 fois.

Sans grande surprise, cette finale olympique de hockey dans mon pays est, à vie, l’événement sportif le plus incroyable qu’il m’a été permis de voir. Et comme je n’aime pas dire jamais, je ne dirai pas qu’aucun événement sportif ne va battre ce match. Mais disons qu’il serait très surprenant que j’assiste à un événement sportif plus important un jour. Depuis un an, j’essaie de voir ce qui pourrait être plus important que ce match… en vain.

Un an déjà, mais j’ai encore l’impression que c’était hier. Je me souviens encore parfaitement à quel point je tenais mon billet fermement avec ma main gauche dans ma poche de manteau entre mon appartement et l’aréna, de peur de perdre le billet tant convoité. Encore parfaitement que je suis arrivé parmi les premiers à l’aréna, avant même l’ouverture des portes, pour être certain de ne rien manquer. Encore parfaitement de la porte par laquelle je suis entré dans l’aréna. Encore parfaitement que les deux résidents d’Ottawa assis à ma gauche avaient chacun payé leur billet 2500$ (alors que le prix de vente était de 775$). Exactement du numéro de mon siège (section 115, rangée 12, siège 3), soit tout juste devant la ligne des buts. Exactement du nombre d’amateurs portant un chandail de l’équipe américaine derrière moi (3) dans la rangée 13. Encore parfaitement à quel point j’avais les mains moites durant le match.

Manquer de voix n’étant pas une option pour ce match de la plus haute importance, j’avais même fait mes vocalises en matinée chez moi pour bien réchauffer ma gorge. J’avais poursuivi l’exercice de préparation entre mon chez-moi et l’aréna. J’avais peut-être l’air un peu fou, mais pas question de ne plus pouvoir crier de toutes mes forces en troisième ou en prolongation. Je n’avais plus de voix le lendemain, mais j’ai donné tout ce que j’avais de la première à la dernière seconde.

Pas question non plus de bouger de mon siège, même pendant les entractes. Pas même pour aller chercher une boisson, pas même pour aller à la toilette pendant le match. La toilette, je l’ai visitée avant le match. Tout était planifié pour que je reste vissé à mon siège dans cet aréna survolté comme je ne l’ai jamais vu auparavant et comme il ne l’a probablement jamais été.

Vous vous souvenez de la fin du match. Le Canada commence à défendre son avance, ou jouer pour ne pas perdre comme je dis souvent. Avec moins d’une minute à jouer, alors que le pointage est de 2–1, le Canada y va d’un autre dégagement refusé. C’est ce moment qu’un jambon de la rangée 13 choisit pour lancer aux trois partisans de l’équipe américaine assis à ses côtés : « Hey guys, you’ll have to take that jersey off in a few seconds!!! »

Avais-je bien entendu? Une telle affirmation dans la dernière minute de jeu d’un match aussi serré alors que le Canada est pressé dans son territoire depuis 10 minutes! Impossible! J’avais à peine eu le temps de me retourner pour trucider ce partisan du regard que quatre autres partisans l’avaient déjà remis à sa place avec l’expression qui commence par « shut » et qui finit par « f*** up ». Pas besoin de vous spécifier que le « Partisan Pom du match » a subi un traitement dix fois pire après le but égalisateur de Zach Parise avec 25 secondes à faire à la 3e. J’ai toujours détesté ces commentaires arrogants. Bien fait pour lui!

Et pas besoin de vous dire que l’on pouvait entendre une mouche voler dans l’aréna pendant l’entracte. Intérieurement, je souhaitais un but du 87 en prolongation et mon souhait a été exaucé.

De mon siège, je devais souvent regarder à l’écran géant pour voir ce qui se passait du côté rapproché à l’autre bout de la patinoire, la perspective n’étant pas très bonne en raison des baies vitrée. Quand j’ai vu la rondelle aller dans le coin, j’ai levé la tête pour voir Jarome Iginla lutter pour l’obtention de la rondelle. Iginla tente une passe à Crosby, je baisse la tête. Si j’avais un mauvais angle pour voir l’action dans le coin, j’avais l’angle parfait pour voir la rondelle passer entre les jambières de Ryan Miller, j’avais le jeu devant moi.

Je revois le tout frame par frame La rondelle arrive sur la palette de Crosby et repart aussi vite qu’elle est arrivée. Miller s’agenouille, je vois la rondelle passer entre ses jambières et toucher au fond du but. Je peux rejouer la séquence dans ma tête à l’infini. Chaque frame est inscrit dans ma mémoire à tout jamais. Le jeu a duré une demi-seconde, mais quand je le rejoue dans ma tête, il dure une minute.

Puis, l’explosion en accéléré ! Ce moment où j’ai explosé tout en me demandant si la séquence venait vraiment de se produire. Pendant deux frames et quart, j’étais incrédule, ça me paraissait surréel. Ce moment où tout le monde sautait dans les bras de tout le monde. Ce moment où tous exultaient et criaient à en perdre la voix. J’ai cru que le toit de la Place Hockey du Canada allait exploser. Je n’avais jamais rien vu de tel. J’écris ces lignes, je revis ces moments incroyables et ça me donne encore la chair de poule. De loin le plus beau moment sportif de ma vie. Gravé dans ma mémoire à tout jamais.