Martin et Denis Brodeur étaient comme les deux doigts de la main. Des complices tellement respectueux l'un de l'autre. Un duo père-fils comme il en existe peu.

Ils n'étaient pas liés uniquement par le sang. Ils avaient des liens athlétiques. La carrière de gardien de but du père a largement influencé celle du fils. Denis a été médaillé olympique grâce à une médaille de bronze méritée devant le filet du Canada, à Cortina d'Ampezzo, en 1956. Martin a été médaillé d'or aux Jeux de 2002, à Salt Lake City, et de 2010, à Vancouver.

Le père devenu photographe a été le témoin privilégié des trois coupes Stanley de son garçon. Il était là quand il a été repêché par les Devils et à l'occasion de tous les grands moments de sa brillante carrière. Il en a tiré des albums et des albums de photos dont la famille n'a jamais voulu se départir, même si cette légende de la photographie sportive a vendu plus de 110 000 photos de hockey à la Ligue nationale. Le Panthéon de la renommée du hockey a réclamé ces albums. Il a encaissé un refus poli.

« Cela représente beaucoup plus que des souvenirs sportifs, explique Mireille Brodeur, la mère de celui qui détient le record quasi inattaquable de 670 victoires, soit 119 de plus que Patrick Roy, bon deuxième de tous les temps. Ces albums, je les conserve pour lui. J'ai dit non parce que c'est beaucoup plus une affaire personnelle que sportive. »

Martin n'est pas du genre à crier son chagrin sur les toits, mais c'est assez évident qu'il ressent actuellement un grand vide dans sa vie. Du New Jersey et d'un peu partout sur la route, il parlait à son père aux deux jours, parfois quotidiennement. Ils jasaient beaucoup de hockey. Son père, témoin de tous les matchs télévisés des Devils depuis des années, analysait ses performances de son salon. Parfois, quand Martin n'était pas satisfait de sa tenue, il cherchait une explication de son côté. Denis, un homme discret qui ne s'imposait jamais, lui offrait un conseil sur demande. Après tout, qui mieux qu'un gardien peut analyser le travail d'un autre gardien? Surtout quand il s'agit d'un gardien qu'il a contribué à créer comme homme et comme athlète.

On a du mal à le reconnaître cette saison. Il a accordé des buts faciles, conséquence d'un manque de concentration, peut-être. Comme si sa tête était ailleurs. On ne perd pas un père aussi attachant et un confident aussi précieux sans en ressentir les effets.
Certains y voient un signe des temps. À 41 ans, Brodeur serait-il en train de disputer une saison de trop? Il n'est sans doute pas d'accord. Comme il n'invoquera jamais la mort de son père comme excuse.

Une excuse que sa mère n'utilise pas, d'ailleurs. « Il a été affecté lors de ses premiers matchs, mais plus maintenant, dit-elle. Même s'il est un athlète, c'est normal que la douleur ne s'efface pas rapidement. On a tendance à croire que les athlètes sont forts et que rien n'y paraît quand il leur arrive des pépins. Martin est un être humain avant tout et je suis bien contente qu'il le soit. »

Brodeur n'a remporté que deux victoires depuis qu'il a quitté le salon funéraire pour retourner à ses Devils. Sa moyenne de buts accordés par match (2.94) le place au 24e rang dans la ligue. Pour le pourcentage d'efficacité (.879), on ne le retrouve pas parmi les 30 premiers. Ce ne sont pas des statistiques auxquelles nous a habitués le meilleur gardien de tous les temps.

S'il y a un signe encourageant, c'est le fait qu'il a remporté les deux derniers matchs. Il a d'abord battu les Bruins 4-3 sur leur glace, samedi. « C'est une victoire qui va me faire du bien », a-t-il confié à sa mère dans un message texte. Il a vu juste puisqu'il a gagné mardi soir contre Tampa.

Malgré sa tenue chancelante, il n'a rien perdu de ses bonnes habitudes familiales. Il appelle toujours aussi souvent à la maison. Cette fois, il s'inquiète pour sa mère qui a perdu son conjoint des 57 dernières années et qui, seule avec sa peine, trouve la maison bien grande. Mireille Brodeur regarde la télé et visionne les parties des Devils sans entendre les commentaires de celui qui était toujours assis à ses côtés.

« Il manque tellement à tout le monde », admet-elle. Nos 11 petits-enfants étaient très attachés à leur grand-père. Ils sont allés le voir aux soins palliatifs, même si les jeunes ont parfois la réputation de craindre la mort. Ils étaient près de lui et lui caressaient la main. Parfois, je regarde sa chaise en imaginant que je vais entendre sa voix. Martin, de son côté, a pris ça dur. Dans les derniers jours de la vie de Denis, il est venu régulièrement le voir. Il devait prendre la parole lors de la cérémonie funèbre réservée à la famille. Il en a été incapable. »

Des souvenirs princiers

Après sa première opération au cerveau, Denis Brodeur avait fait cadeau à Martin du chandail et du masque qu'il avait utilisés pour remporter sa médaille olympique, de même qu'une bague commémorant l'événement. Qui sait, peut-être voulait-il s'assurer que ces objets symboliques restent entre bonnes mains après son départ. Certaines associations sportives les convoitaient, mais c'étaient des objets intouchables.

Comme on ne remettait pas de bagues aux Olympiques à l'époque, les Brodeur avaient fait fabriquer une bague en or à l'effigie des cinq anneaux olympiques. Personne dans la famille ne s'est objecté à ce que ces cadeaux princiers se retrouvent entre les mains de Martin. Brodeur n'est pas un collectionneur. Ou si peu. S'il a une faiblesse, c'est celle concernant les 121 blanchissages de sa carrière, un autre record hors de portée des gardiens professionnels. Il conserve la rondelle de chacun de ses jeux blancs. Du moins, il en détient 120.

La veille de la première opération au cerveau de son père, Martin avait blanchi les Rangers. Pour l'encourager dans sa bataille contre le cancer, il lui avait immédiatement offert sa dernière rondelle. À ses yeux, il fallait que le présent soit de valeur et papa Brodeur savait à quel point cette collection de rondelles était significative pour son fils. Maman, qui l'a récupérée, n'attend que le moment de la lui remettre.