Ma petite histoire avec Martin Brodeur
New Jersey Devils lundi, 16 mars 2009. 19:22 mardi, 10 déc. 2024. 23:04
Il faut connaître l'histoire qui m'unit à la famille Brodeur pour comprendre la fierté que j'ai ressentie en voyant Martin égaler le record de Patrick Roy en fin de semaine.
Ayant moi aussi grandi à St-Léonard, j'ai joué au hockey et au baseball, du niveau bantam à junior, avec Claude Brodeur, le frère ainé de Martin. Au baseball, Claude était un joueur de premier but et un lanceur gaucher en plus d'être un redoutable cogneur. Il a d'ailleurs passé un peu de temps dans l'organisation des Expos.
C'est donc à cette époque que j'ai connu la famille Brodeur. Il y avait mon ami Claude, ses sœurs Sylvie et Lyne ainsi que ses petits frères Denis Jr. et Martin.
Quand j'ai commencé ma carrière d'entraîneur, pour le pee-wee AA de St-Léonard, j'ai dirigé pendant une saison Denis Jr. Petit défenseur droitier, il n'était pas un mauvais joueur, mais il avait un talent limité et c'était clair que, comme des milliers de petits pee-wees, il n'allait pas faire carrière au hockey. Sa passion pour le BMX l'a plutôt fait bifurquer vers les sports extrêmes.
Martin, le bébé de la famille, est arrivé dans ma vie par la suite.
J'ai commencé à coacher dans le midget AAA en 1987-88 à la barre du Canadien de Montréal-Bourassa. C'est dans cette équipe qu'étaient réunis pour la première fois les meilleurs joueurs de ces deux régions. À cette époque, la LHMAAA ne comptait que huit équipes. Le calibre était donc très relevé et nous étions en quelque sorte les enfants pauvres du circuit.
Mon entraîneur des gardiens de but était l'excellent Mario Baril, un gars que je connaissais très bien puisque j'avais joué mon hockey mineur à ses côtés et qu'il me suivait depuis mes débuts en tant qu'entraîneur. Le premier gardien que nous avons dirigé et qui a plus tard atteint la Ligue nationale est Stéphane Fiset, que nous avons dirigé dans le bantam. À ma première année dans le midget AAA, notre gardien de but numéro un était Félix Potvin.
L'année suivante, le Canadien de Montréal-Bourassa comptait sur deux gardiens de calibre à peu près égal : Éric Raymond et Martin Brodeur.
Raymond était très bon. C'était un petit gars tenace, bourré de caractère. Chaque fois qu'on le mettait devant le filet, il se lançait partout et arrêtait les rondelles. Martin, lui, était le plus talentueux, le plus naturel, le plus prometteur. C'était exactement le même genre de bataille que se livrent aujourd'hui Jaroslav Halak et Carey Price chez le Canadien.
Comme j'avais appris mon métier dans la région de Bourassa, je devais faire attention pour ne pas privilégier les petits gars de Bourassa au détriment de ceux de Montréal. Le milieu dans lequel j'évoluais était comme un petit village : dans mon dos, tout le monde chuchotait que j'allais donner des passe-droits à Martin parce que je connaissais sa famille. Le contexte a donc fait en sorte que je n'ai pas eu le choix : j'ai été obligé d'être plus sévère avec Martin. S'il voulait quelque chose, il devait le mériter pleinement et il n'avait pas droit au relâchement.
Une étape à la fois
Ceux qui disent que Martin était destiné à atteindre la Ligue nationale dès cette époque sont complètement dans le champ. À mes yeux, rien ne permettait de croire qu'il allait connaître une carrière aussi fulgurante. En fait, c'est à peine s'il était le meilleur gardien de son équipe.
L'été suivant la première saison de Martin dans le midget AAA, je me rends à l'aréna Maurice-Richard pour le repêchage de la LHJMQ. À ce moment, j'ignore que je dirigerai dans le circuit la saison suivante. Je suis là en tant que simple spectateur, pour voir lesquels de mes joueurs seront sélectionnés.
C'est Jacques Lemaire et André Manifesto, du défunt Canadien Junior de Verdun, qui dirigent le repêchage pour la future concession de St-Hyacinthe. La LHJMQ n'était composée que de onze équipes et Martin est choisi au 23e rang, donc le premier joueur de la troisième ronde.
Avant Martin, le Laser sélectionne le jeune Patrick Poulin, l'attaquant Charles Poulin, des Cantonniers de Magog, et un défenseur de Laval du nom de Marc Savard. Un autre gardien, Jean-François Labbé, est repêché juste devant Brodeur.
Je suis dans les gradins et quand je vois que le nom de Brodeur n'est toujours pas sorti après deux rondes, je me prends la tête à deux mains et je n'en reviens pas.
Ce n'est que quelques mois plus tard que je suis nommé entraîneur du Laser. Je me trouvais à Calgary pour un séminaire d'entraîneurs en prévision de la Coupe Esso, une compétition qui met en vedette les meilleures équipes midget quand on m'a rejoint pour m'offrir le poste, que j'ai accepté.
J'allais donc retrouver Martin sur mon parcours. Au début de la saison, il n'est même pas mon gardien numéro un. Le poste appartient à un certain Yanick Degrâce, un espoir de 19 ans des Flyers de Philadelphie qui ne demande rien de plus que de recevoir des rondelles.
Encore une fois, parce que je viens du même endroit que Martin, je ne veux pas qu'on croit qu'il profite d'un traitement différent des autres et je me fais un devoir de le faire passer à travers toutes les étapes. En début de saison, il obtient sa part de matchs, mais c'est plus souvent le vétéran qui garde le filet. Notre plan est d'amener Martin tranquillement vers le poste de numéro un.
Mario Baril traitait ses gardiens comme la prunelle de ses yeux. Il les protégeait toujours et peu importe ce qui se passait, ce n'était jamais de la faute de ses poulains! Je mettais beaucoup de pression sur les épaules de Mario pour qu'il fasse progresser Martin. Au début, on lui donnait les départs plus faciles et plus la saison avançait, plus on tenait à lui donner des tests.
Un jour, je dis à Mario : "Prépare-la, ta vedette, parce que j'ai tout un défi pour lui! On s'en va à Hull et c'est lui qui goal!"
Pour moi, c'est là que Martin a la chance de nous prouver qu'il mérite le poste de numéro un. L'équipe est décimée par les blessures et l'aréna Robert-Guertin est l'endroit le plus inhospitalier de la Ligue pour les équipes adverses. Il n'y a jamais de matchs faciles à Hull.
Martin reçoit 61 lancers et on gagne le match 2-1. Après la rencontre, je dis aux journalistes qu'ils peuvent finalement apposer l'étiquette "LNH" à côté du nom de Brodeur. Martin avait toujours été bon, mais il ne m'avait jamais autant impressionné. Ce soir-là, il m'a prouvé qu'il avait ce qu'il fallait et il est devenu mon homme de confiance.
En séries éliminatoires, on a battu les Draveurs de Trois-Rivières en sept matchs, devant leurs partisans. Oui, la même équipe qui nous avait battus 14-3 lors du dernier match de la saison régulière. L'été suivant, Martin est repêché par les Devils du New Jersey.
Pour ceux qui se posent la question, Éric Raymond, le valeureux adjoint de Brodeur dans le midget AAA, a joué son hockey junior à Laval et Longueuil avant de poursuivre sa carrière en Europe. Il est aujourd'hui l'entraîneur des gardiens du Junior de Montréal.
Une certaine fierté
Quand je l'ai connu, Martin était un petit gars tranquille, il ne faisait jamais de bruit. Je n'avais jamais à lui faire la discipline, il n'a jamais manqué un couvre-feu.
Il gardait les buts comme s'il jouait dans la rue et j'ai toujours trouvé que c'était ça, sa plus grande qualité. Quand je voyais un relâchement, je le traitais comme n'importe quel autre joueur de l'équipe. Parfois, il ne m'aimait pas parce que j'étais trop sévère avec lui. Je ne lui ai jamais fait de cadeaux, mais ce n'était pas dans le but de l'écraser.
Aujourd'hui, je ressens une certaine fierté quand je vois tout ce que Martin accomplit. Quand tu côtoies un petit gars qui finit par connaître autant de succès, tu ne peux faire autrement que de te dire que tu as eu ton petit mot à dire là-dedans.
Roy ou Brodeur
Pour l'ensemble de son œuvre, je crois que Martin Brodeur est le plus grand gardien de tous les temps.
Je ne dis pas que Patrick Roy n'est pas un bon gars. Mais je connais Martin et je sais qu'autant il peut être bon sur la glace, autant il est une bonne personne. Sa tenue est irréprochable à plusieurs niveaux, il n'a pas de squelettes dans le placard. Son dossier est immaculé. Il est - et deviendra - tout un ambassadeur pour son sport.
*Propos recueillis par Nicolas Landry.
Ayant moi aussi grandi à St-Léonard, j'ai joué au hockey et au baseball, du niveau bantam à junior, avec Claude Brodeur, le frère ainé de Martin. Au baseball, Claude était un joueur de premier but et un lanceur gaucher en plus d'être un redoutable cogneur. Il a d'ailleurs passé un peu de temps dans l'organisation des Expos.
C'est donc à cette époque que j'ai connu la famille Brodeur. Il y avait mon ami Claude, ses sœurs Sylvie et Lyne ainsi que ses petits frères Denis Jr. et Martin.
Quand j'ai commencé ma carrière d'entraîneur, pour le pee-wee AA de St-Léonard, j'ai dirigé pendant une saison Denis Jr. Petit défenseur droitier, il n'était pas un mauvais joueur, mais il avait un talent limité et c'était clair que, comme des milliers de petits pee-wees, il n'allait pas faire carrière au hockey. Sa passion pour le BMX l'a plutôt fait bifurquer vers les sports extrêmes.
Martin, le bébé de la famille, est arrivé dans ma vie par la suite.
J'ai commencé à coacher dans le midget AAA en 1987-88 à la barre du Canadien de Montréal-Bourassa. C'est dans cette équipe qu'étaient réunis pour la première fois les meilleurs joueurs de ces deux régions. À cette époque, la LHMAAA ne comptait que huit équipes. Le calibre était donc très relevé et nous étions en quelque sorte les enfants pauvres du circuit.
Mon entraîneur des gardiens de but était l'excellent Mario Baril, un gars que je connaissais très bien puisque j'avais joué mon hockey mineur à ses côtés et qu'il me suivait depuis mes débuts en tant qu'entraîneur. Le premier gardien que nous avons dirigé et qui a plus tard atteint la Ligue nationale est Stéphane Fiset, que nous avons dirigé dans le bantam. À ma première année dans le midget AAA, notre gardien de but numéro un était Félix Potvin.
L'année suivante, le Canadien de Montréal-Bourassa comptait sur deux gardiens de calibre à peu près égal : Éric Raymond et Martin Brodeur.
Raymond était très bon. C'était un petit gars tenace, bourré de caractère. Chaque fois qu'on le mettait devant le filet, il se lançait partout et arrêtait les rondelles. Martin, lui, était le plus talentueux, le plus naturel, le plus prometteur. C'était exactement le même genre de bataille que se livrent aujourd'hui Jaroslav Halak et Carey Price chez le Canadien.
Comme j'avais appris mon métier dans la région de Bourassa, je devais faire attention pour ne pas privilégier les petits gars de Bourassa au détriment de ceux de Montréal. Le milieu dans lequel j'évoluais était comme un petit village : dans mon dos, tout le monde chuchotait que j'allais donner des passe-droits à Martin parce que je connaissais sa famille. Le contexte a donc fait en sorte que je n'ai pas eu le choix : j'ai été obligé d'être plus sévère avec Martin. S'il voulait quelque chose, il devait le mériter pleinement et il n'avait pas droit au relâchement.
Une étape à la fois
Ceux qui disent que Martin était destiné à atteindre la Ligue nationale dès cette époque sont complètement dans le champ. À mes yeux, rien ne permettait de croire qu'il allait connaître une carrière aussi fulgurante. En fait, c'est à peine s'il était le meilleur gardien de son équipe.
L'été suivant la première saison de Martin dans le midget AAA, je me rends à l'aréna Maurice-Richard pour le repêchage de la LHJMQ. À ce moment, j'ignore que je dirigerai dans le circuit la saison suivante. Je suis là en tant que simple spectateur, pour voir lesquels de mes joueurs seront sélectionnés.
C'est Jacques Lemaire et André Manifesto, du défunt Canadien Junior de Verdun, qui dirigent le repêchage pour la future concession de St-Hyacinthe. La LHJMQ n'était composée que de onze équipes et Martin est choisi au 23e rang, donc le premier joueur de la troisième ronde.
Avant Martin, le Laser sélectionne le jeune Patrick Poulin, l'attaquant Charles Poulin, des Cantonniers de Magog, et un défenseur de Laval du nom de Marc Savard. Un autre gardien, Jean-François Labbé, est repêché juste devant Brodeur.
Je suis dans les gradins et quand je vois que le nom de Brodeur n'est toujours pas sorti après deux rondes, je me prends la tête à deux mains et je n'en reviens pas.
Ce n'est que quelques mois plus tard que je suis nommé entraîneur du Laser. Je me trouvais à Calgary pour un séminaire d'entraîneurs en prévision de la Coupe Esso, une compétition qui met en vedette les meilleures équipes midget quand on m'a rejoint pour m'offrir le poste, que j'ai accepté.
J'allais donc retrouver Martin sur mon parcours. Au début de la saison, il n'est même pas mon gardien numéro un. Le poste appartient à un certain Yanick Degrâce, un espoir de 19 ans des Flyers de Philadelphie qui ne demande rien de plus que de recevoir des rondelles.
Encore une fois, parce que je viens du même endroit que Martin, je ne veux pas qu'on croit qu'il profite d'un traitement différent des autres et je me fais un devoir de le faire passer à travers toutes les étapes. En début de saison, il obtient sa part de matchs, mais c'est plus souvent le vétéran qui garde le filet. Notre plan est d'amener Martin tranquillement vers le poste de numéro un.
Mario Baril traitait ses gardiens comme la prunelle de ses yeux. Il les protégeait toujours et peu importe ce qui se passait, ce n'était jamais de la faute de ses poulains! Je mettais beaucoup de pression sur les épaules de Mario pour qu'il fasse progresser Martin. Au début, on lui donnait les départs plus faciles et plus la saison avançait, plus on tenait à lui donner des tests.
Un jour, je dis à Mario : "Prépare-la, ta vedette, parce que j'ai tout un défi pour lui! On s'en va à Hull et c'est lui qui goal!"
Pour moi, c'est là que Martin a la chance de nous prouver qu'il mérite le poste de numéro un. L'équipe est décimée par les blessures et l'aréna Robert-Guertin est l'endroit le plus inhospitalier de la Ligue pour les équipes adverses. Il n'y a jamais de matchs faciles à Hull.
Martin reçoit 61 lancers et on gagne le match 2-1. Après la rencontre, je dis aux journalistes qu'ils peuvent finalement apposer l'étiquette "LNH" à côté du nom de Brodeur. Martin avait toujours été bon, mais il ne m'avait jamais autant impressionné. Ce soir-là, il m'a prouvé qu'il avait ce qu'il fallait et il est devenu mon homme de confiance.
En séries éliminatoires, on a battu les Draveurs de Trois-Rivières en sept matchs, devant leurs partisans. Oui, la même équipe qui nous avait battus 14-3 lors du dernier match de la saison régulière. L'été suivant, Martin est repêché par les Devils du New Jersey.
Pour ceux qui se posent la question, Éric Raymond, le valeureux adjoint de Brodeur dans le midget AAA, a joué son hockey junior à Laval et Longueuil avant de poursuivre sa carrière en Europe. Il est aujourd'hui l'entraîneur des gardiens du Junior de Montréal.
Une certaine fierté
Quand je l'ai connu, Martin était un petit gars tranquille, il ne faisait jamais de bruit. Je n'avais jamais à lui faire la discipline, il n'a jamais manqué un couvre-feu.
Il gardait les buts comme s'il jouait dans la rue et j'ai toujours trouvé que c'était ça, sa plus grande qualité. Quand je voyais un relâchement, je le traitais comme n'importe quel autre joueur de l'équipe. Parfois, il ne m'aimait pas parce que j'étais trop sévère avec lui. Je ne lui ai jamais fait de cadeaux, mais ce n'était pas dans le but de l'écraser.
Aujourd'hui, je ressens une certaine fierté quand je vois tout ce que Martin accomplit. Quand tu côtoies un petit gars qui finit par connaître autant de succès, tu ne peux faire autrement que de te dire que tu as eu ton petit mot à dire là-dedans.
Roy ou Brodeur
Pour l'ensemble de son œuvre, je crois que Martin Brodeur est le plus grand gardien de tous les temps.
Je ne dis pas que Patrick Roy n'est pas un bon gars. Mais je connais Martin et je sais qu'autant il peut être bon sur la glace, autant il est une bonne personne. Sa tenue est irréprochable à plusieurs niveaux, il n'a pas de squelettes dans le placard. Son dossier est immaculé. Il est - et deviendra - tout un ambassadeur pour son sport.
*Propos recueillis par Nicolas Landry.