Quand il s’agit de gagner, « Big Phil » Scolari ne plaisante jamais et sait plutôt bien s’y prendre. À l’époque où il dirigeait Palmeiras, dans les années 90, il s’était même taillé une réputation pas mal sulfureuse. Comme de demander aux ramasseurs de balles de les envoyer toutes en même temps sur le terrain lorsque l’adversaire lançait une contre-attaque dangereuse. Où de hurler sur le bord du terrain - et devant les caméras - à ses joueurs « Cassez Felipe! Cassez Felipe! » lors d’un match où le rapide latéral adverse les débordait à chaque démarrage…

Alors, quand il annonce « avoir repris » ses joueurs et demandé d’arrêter « d’être trop gentils », on se doute que le message a été pas mal plus virulent et direct que ça. On s’en est rendu compte dès les premières minutes du quart face à la Colombie, avec un Brésil « rentre-dedans », pas mal plus agressif et furieusement remonté par rapport à ses premiers matchs. Trente-et-une fautes et deux avertissements plus tard, le message était passé. Pas gratuitement, puisque l’avertissement donné à Thiago Silva l’exclut de la demi-finale… Avec la perte de Neymar, ce sont deux pièces fondamentales du système qui vont manquer mardi…

Efficacité totale

Ces quarts ont d’ailleurs tous été marqués par un assez net changement d’attitude chez les favoris attendus : l’Allemagne a pris plus volontairement les choses en main, l’Argentine s’est présentée avec une organisation « ultra-rationnelle » et fonctionnelle face à la Belgique. Et les Pays-Bas ont clairement décidé qu’il était tout à fait raisonnable de tenir le ballon tranquillement, éviter un contre-piège (genre Italie - Costa Rica) et tout balancer sur le dernier quart d’heure (et la prolongation). Et ça aurait dû marcher, n’eût été d’une défense délirante du Costa Rica, d’un gardien hallucinant (Navas) et d’un manque de réussite des attaquants (Van Persie au moins trois fois…). Ce qu’on retiendra, c’est qu’en deux matchs (Mexique puis Costa Rica) et une prolongation, les Pays-Bas auront en tout et pour tout mené au pointage une grosse minute (entre le pénalty d’Huntelaar en temps additionnel et le coup de sifflet final face au Mexique). Efficacité, rentabilité, fonctionnalité… Les Oranje en modèle néo-libéral, on pensait avoir tout vu…

Pour être efficaces, ces quarts l’ont été! Cinq buts en quatre matchs. Un seul marqué en phase régulière de jeu (les autres sur balles arrêtées, corners, coup-francs, pénalties). À ce jeu-là, ce sont les défenseurs qui sont venus débloquer la situation deux fois : Hummels pour l’Allemagne, Thiago Silva et David Luiz pour le Brésil. Dans ce dernier cas, les trois derniers buts du Brésil ont été marqués par des défenseurs, chaque fois sur phase arrêtée…

Remarquez, ce n’est pas une nouveauté. L’Allemagne championne en 1990 avait déroulé sur ses premiers matchs. Ensuite, elle a dû forcer un peu : 1-0 sur pénalty en quart (Tchécoslovaquie), 1-1 (but sur coup franc) et tirs au but en demie (Angleterre), 1-0 sur pénalty en finale (Argentine).

Systèmes adaptés

Autre point d’efficacité : dans nos trois premiers quarts, le vainqueur a marqué très vite (entre les 7e et 13e minutes) et a pu assurer un meilleur contrôle de la partie ensuite. Ce qui change des huitièmes où six matchs de suite se sont soldés par des 0-0 mi-temps et ont été décidés très, très tard… On a clairement décidé d’éviter ce genre de drame et les sales surprises qui peuvent venir avec…

Les quatre vainqueurs ont aussi clairement cherché à adapter leur système à la fois pour minimiser certaines faiblesses et maximiser certains points forts en fonction de l’adversaire. L’Allemagne a titularisé Klose et est revenue à un milieu Schweinsteiger - Khedira plus classique, Lahm revenant en latéral. Avec Müller jamais loin de Klose, Özil et Kroos (souvent soutenus par Schweinsteiger), l’Allemagne a pu à la fois tenir et passer le milieu français et multiplier aussitôt les dangers sur sa défense.

Le Brésil a préféré Maicon à Dani Alves, clairement pour prévenir les montées d’Armero (Maicon monte beaucoup moins que par le passé et se consacre plus aux tâches exclusivement défensives). En l’absence de Luiz Gustavo (suspendu), Scolari a collé Paulinho et Fernandinho, plus similaires que complémentaires, mais capables à l’occasion de « doublonner » face au milieu colombien et d’isoler le plus possible James Rodriguez.

L’Argentine aussi a choisi un système plus adapté à son adversaire. Avec Demichelis en défense centrale (Fernandez est sans doute plus tonique, mais possède moins d’expérience et a été clairement en difficulté contre la Suisse). Basanta moins offensif que Rojo (suspendu) face à Mirallas. Et un duo Biglia - Mascherano devant la défense plutôt que le milieu à trois Masch’ - Gago - Di Maria. Ce qui permet de couper plus facilement les lignes vers De Bruyne, Hazard et Origi. Même Messi a clairement reçu des consignes défensives de récupération sur Witsel ou Fellaini (qui l’ont amené à commettre plusieurs fautes). Mais le système a aussi eu l’avantage de libérer Di Maria vers l’avant. C’était le joueur le plus en jambes de l’Argentine durant ce tournoi et sa blessure est un méchant coup à encaisser (moins que Neymar pour le Brésil, cependant).

Reste le petit coup de filou réussi par Van Gaal avec son changement de gardien au moment des tirs au but. Krul n’est pas particulièrement un spécialiste de l’exercice (2 arrêts sur 20 depuis qu’il est à Newcastle), mais est sans doute plus explosif et possède plus d’expérience que Cillessen. C’est surtout un coup psychologique pour prendre la tête des tireurs du Costa Rica : chaque fois, Krul est allé les provoquer, leur criant dessus, leur disant qu’il savait parfaitement où ils allaient tirer (en fait, ils ont tiré quatre fois sur cinq à des endroits différents que contre la Grèce, mais est-ce en raison des « provos » du gardien? - par contre, Krul est parti du bon côté chaque fois).

Bref, des quarts engagés, serrés, pas forcément mémorables, mais où chaque perdant aura tout de même eu ses occasions de revenir et où les vainqueurs auront à chaque fois su aller chercher un petit quelque chose de plus pour faire la différence.