MONTRÉAL – Un soir de mai au Stade Saputo. À la 69e minute d’un match contre les Timbers de Portland, Frank Klopas rappelle Dilly Duka au banc pour le remplacer par Dominic Oduro.

Tout en haut de la section 125, un partisan échaudé désapprouve bruyamment la substitution. D’un trait, il se lève et commence à applaudir sarcastiquement tout en gueulant ses doléances en direction du banc des locaux. Klopas ne peut pas l’entendre, bien sûr, mais ce n’est pas le genre de détail auquel semble s’attarder son conseiller spécial, qui prend plaisir à tourner fièrement la situation en dérision.

Oduro réduit l'écart

Mais le contestataire a à peine le temps de se rasseoir qu’une clameur s’empare des limites de l’enceinte. Juste devant, une attaque amorcée par Ignacio Piatti arrive sur le pied d’Eric Alexander. Son tir est bloqué par un défenseur, mais Oduro est tout près et bondit sur le retour, qui se retrouve rapidement dans le fond du filet.

Voilà dix ans qu’Oduro roule sa bosse en MLS et c’est encore la partie du métier qu’il préfère : fermer le clapet de ses détracteurs, un coup d’éclat à la fois.

« Je me fous de ce que les gens disent à mon sujet, jure le coloré Ghanéen en esquissant un sourire qui respire la confiance. Je saute sur le terrain quand on me dit de le faire et je fais mon travail. Si vous ne croyez pas que mes performances parlent d’elles-mêmes, eh bien je crois que vous avez un problème. »

Le descriptif est sorti de la bouche de plusieurs observateurs depuis que l’Impact a fait son acquisition par le biais d’une transaction avec le Toronto FC lors de la saison morte. L’athlète de 29 ans est rapide comme pas un, spectaculaire et bourré de talent... mais il est incapable de conclure.

Pourtant, parmi les joueurs à vocation offensive rattachés à l’effectif montréalais, Oduro s’avère être le tireur le plus efficace alors qu’approche la mi-saison. Le doublé qu’il a inscrit samedi dernier contre le Crew de Columbus lui a permis de se hisser au deuxième rang des buteurs du club avec quatre réussites. Ce n’est pas la mer à boire, mais ça reste seulement une de moins que Piatti, qui a marqué trois fois sur penalty, et autant que Jack McInerney, qui a été utilisé presque trois fois plus souvent en MLS.

Des quatre joueurs de l’Impact qui ont marqué plus d’une fois cette saison, Oduro est celui qui a le plus maximisé le temps qu’il a passé sur le terrain avec un but toutes les 120 minutes d’action. En comparaison, Piatti a fait mouche une fois toutes les 254 minutes, McInerney toutes les 292 minutes et Romero toutes les 330 minutes.

Oduro se démarque aussi par la précision de ses tentatives. Avec quatre buts en 20 lancers, il affiche jusqu’ici un taux de réussite de 20 % alors que Piatti (33 tirs) et McInerney (26 tirs) touchent la cible dans une proportion de 15 %.

« Vous pouvez aller voir les statistiques. Je sais comment marquer! », s’est défendu le principal intéressé en s’arrêtant faire un brin de jasette avec RDS après l’entraînement de mercredi. Mais je suis aussi le genre de joueur qui crée des chances pour les autres. En fait, je crois que c’est ce que je fais le mieux. Tout ne se résume pas nécessairement au nombre de fois où vous mettez la balle dans le but. Et puis parfois vous êtes chanceux, parfois vous l’êtes moins. »

Oduro a en effet le CV pour faire réfléchir les mauvaises langues. Il a connu une saison de 13 buts en 2013 avec Columbus et une autre de 12 buts en 2011 à Chicago. Depuis le début de sa carrière, il est l’auteur de 52 réalisations en 161 départs et 263 matchs de MLS.

« Vous ne serez jamais aimé de tout le monde. Que vous soyez un grand buteur ou non, il y en aura toujours pour vous détester ou vous critiquer. Mais tout ça fait partie du jeu et je suis capable de l’accepter. [...] La meilleure chose que je puisse faire pour faire taire ceux qui doutent de moi, c’est de continuer à faire de mon mieux pour aider l’équipe à gagner et depuis le début de l’année, c’est exactement ce que je fais. S’ils veulent continuer de parler après ça, je ne peux rien faire de plus et au final, je m’en fous. Ce qui est dit à l’extérieur des limites du terrain entre par une oreille et sort par l’autre. »

La fausse modestie n’est pas la tasse de thé de Dominic Oduro. À la mi-juin, alors qu’il se préparait à revenir au jeu après avoir raté cinq parties en raison d’une blessure à l’aine, il avait affirmé avec tout le sérieux du monde qu’il était sans l’ombre d’un doute le joueur le plus rapide de la MLS. Pire, on avait presque réussi à lui faire dire qu’il pourrait battre certains joueurs en courant à reculons.

« C’est vrai, je suis une personne extrêmement confiante. Chaque jour, je remercie Dieu de m’avoir fait cadeau de ma vitesse. Elle me fait sentir invincible parce que je sais que si je me retrouve contre un adversaire à un contre un, je vais le battre. Un joueur doit avoir confiance en lui, sinon il n’est rien. Je suis confiant et j’en serai toujours fier. »

Respecter l’uniforme... peu importe lequel!

Repêché en deuxième ronde du SuperDraft de la MLS en 2006, Oduro a amorcé sa carrière professionnelle à l’âge de 20 ans avec le FC Dallas.

« À l’époque, j’étais un peu naïf, raconte-t-il en riant. Un de mes amis s’était fait échanger et je me rappelle de m’être dit à moi-même que ça ne m’arriverait jamais à moi. Quand vous êtes repêché et qu’on ne fait que vous lancer des fleurs, vous finissez par croire tout ce qu’on vous dit. Mais avec l’expérience, vous comprenez l’autre aspect du sport, celui des affaires. »

Oduro a été échangé six fois depuis le début de sa carrière, dont deux fois au cours d’une même saison. L’uniforme de l’Impact est le septième qu’il endosse depuis son arrivée dans le circuit Garber.

« Mais je ne vois pas le fait d’être échangé d’un point de vue négatif, s’empresse-t-il de spécifier. Comme je le dis sans cesse, ça veut dire que ma valeur est bonne. Ma cote en bourse ne baisse pas, elle est toujours en hausse! J’ai été capable de montrer ma force de caractère sur chaque équipe qui m’a accueillie. Parfois, vous tombez sur un entraîneur qui vous aime un peu moins, mais j’ai toujours respecté ça. »

Oduro a marqué tous ses buts devant ses partisans depuis son arrivée à Montréal et chaque fois, il s’est assuré de transmettre sa reconnaissance aux partisans en liesse dans les gradins. Récemment, on l’a vu se diriger vers le coin du terrain en embrassant le logo de l’Impact cousu du côté gauche de sa poitrine sur l’uniforme bleu auquel il tente de faire honneur chaque fois qu’on lui en donne l’occasion.

Les coiffures de Dominic Oduro

« Peu importe avec combien d’équipes vous avez joué, vous devez représenter le club avec fierté. Quelqu’un a cru en vous pour que vous puissiez porter cet uniforme et vous devez respecter ça. Alors quand je célèbre ainsi, c’est ma façon de démontrer tout le respect que je voue à l’équipe et à la ville de Montréal. »

En quelque sorte, l’Impact et son numéro 7 semblent faits l’un pour l’autre. Depuis leur arrivée respective en MLS, autant l’équipe que le joueur ne sont pas reconnus comme des exemples de stabilité. Qui sait, alors, pendant combien de temps l’extravagant attaquant représentera le Bleu-blanc-noir?

Oduro a toutefois appris à ne pas trop s’en faire avec l’avenir. Et puis la métropole a trop à offrir pour qu’il commence à penser au jour où il devra la quitter. Ces marches dans le Vieux Port, ces belles Québécoises, ces terrasses avec vue sur le fleuve...

« C’est mieux qu’à Toronto, hein? », lui demande-t-on avant de lui permettre de rejoindre ses quartiers.

« N’essaie pas de me mettre dans le pétrin », répond-il en souriant.