MONTRÉAL – Maxim Tissot se cherche encore un peu à Ottawa. L’appartement qu’il croyait avoir déniché pour le mois de septembre n’est plus sur le marché, ce qui le force à envisager un séjour un peu plus long que prévu à la maison familiale. Son ancienne voiture est restée à Montréal et c’est dans une « Honda Civic ’99, genre » qu’il arpente les rues d’une ville à l’ombre de laquelle il a grandi, mais qui, de son propre aveu, lui est encore largement étrangère.

Sur le terrain, par contre, le jeune Gatinois est en plein où il voulait être. Depuis son arrivée au Fury FC, il y a un peu plus d’un mois, il a retrouvé la liberté et une certaine sérénité qui lui échappaient depuis un bon moment avec l’Impact.

En le soumettant au ballottage, à la fin juin, l’Impact a bien sûr blessé l’orgueil du jeune homme qui avait donné la dernière décennie au club de son cœur. Mais il lui a aussi enlevé les chaînes qui l’empêchaient de s’épanouir.

« J’ai passé du très bon temps à Montréal, je ne regrette rien. Mais je pense qu’il fallait que je passe à autre chose et je n’aurais pas pu le faire par moi-même, réfléchit tout haut Tissot au cours d’une entrevue accordée à RDS. On dit que rien n’arrive pour rien et c’est vrai. Je n’aurais jamais pris la décision de quitter l’Impact. Je serais resté là aussi longtemps que le club aurait voulu de moi. Mais ça n’aurait peut-être pas été le mieux pour moi. »

Limité à 22 départs en quatre saisons après l’entrée de l’Impact en MLS, Tissot s’est tout de suite vu confier un rôle central avec le Fury, une jeune organisation qui dispute sa troisième saison dans la North American Soccer League (NASL). L’entraîneur Paul Dalglish l’utilise dans un rôle hybride dans un schéma tactique en 5-4-1 à l’intérieur duquel Tissot occupe le poste de défenseur latéral gauche lorsque l’équipe défend et se transforme en ailier dès que s’active la contre-attaque.

L’ironie n’échappera pas à quiconque a moindrement suivi sa carrière professionnelle. Depuis son arrivée chez les pros, Tissot n’avait jamais eu le temps de trouver ses aises sur la bonne chaise, changeant de position aussi souvent que son club changeait d’entraîneur.

« C’est quand même drôle qu’après avoir jonglé avec les deux positions pendant quatre ans, j’occupe les deux en même temps ici, reconnaît-il. On joue un peu le schéma tactique de l’Italie à l’Euro ou ce que fait Conte à Chelsea. Ça demande beaucoup de course aux ailiers, mais défensivement, avant le match de la fin de semaine, on n’avait rien alloué pendant trois matchs. Offensivement, on a un peu de difficulté, mais c’est un nouveau système pour tout le monde. On commence à s’habituer tranquillement. »

Tissot a débuté les six matchs au calendrier du Fury depuis son arrivée à Ottawa et affiche déjà plus de 500 minutes de jeu au compteur. Ses statistiques sont plutôt modestes. Selon les données disponibles sur le site de l’équipe, il n’a que trois tirs cadrés, a remporté 15 de ses 44 duels défensifs et le taux de précision de ses passes s’élève légèrement au-dessus de 70%. Mais ses nouveaux coéquipiers l’ont accueilli à bras ouverts dans la famille, il a la confiance de ses entraîneurs et pour l’instant, c’est tout ce qui lui importe.

« Je suis vraiment content d’avoir des matchs et d’être valorisé ici. Ça fait du bien. Si tu m’avais demandé, quand j’étais encore à Montréal, si je pourrais m’éclater autant si je partais, je t’aurais dit non. C’est vraiment le fait de le vivre qui m’a permis de le voir. Maintenant, quand j’ai le ballon, je ne doute pas et je joue sur ma première intention, ce que je ne faisais plus. Pourquoi? Il doit y avoir plusieurs raisons, je ne veux pas trop entrer dans les détails. Mais ici, c’est vrai que j’ai retrouvé un peu le plaisir de jouer. »

« Je ne me suis jamais senti safe à Montréal »

Les blessures qui ont frappé l’Impact au printemps avaient permis à Tissot de débuter cinq matchs sur six peu avant d’être remercié. Cette portion du calendrier avait permis d’être à la fois témoin de son grand potentiel, de ses limitations et de sa fragilité.

On pense tout de suite à ce match contre les Rapids du Colorado. En l’espace de trois minutes, Tissot était passé du pire – une couverture erratique qui avait mené au but de Shkelzen Gashi – au meilleur avec un but spectaculaire sur une frappe qui avait ce soir-là été qualifiée de « calibre mondial » par l’entraîneur adverse.

On se souvient aussi de cette étrange séquence, survenue un mois plus tard, alors qu’un manque de communication entre Tissot et le gardien Evan Bush avait mené à un but du Galaxy de Los Angeles et à une petite engueulade entre les deux coéquipiers. De son propre aveu, Tissot avait perdu sa confiance à Montréal et jouait avec la peur de faire des erreurs.

« Comme je l’ai déjà dit, je n’étais pas surpris quand j’ai appris que j’étais soumis au ballottage et je pense que c’est ça le problème. Je pense que ça décrit bien la situation. Je ne me suis jamais senti safe à Montréal et c’est sûr qu’à la fin, ça a influencé ma manière de jouer et de voir les choses. C’est peut-être ça aussi que j’avais de la difficulté à gérer. »

Même s’il dit avoir retrouvé la paix d’esprit dans la capitale nationale, Tissot admet qu’il a été piqué au vif quand l’Impact, trois semaines après lui avoir indiqué la porte de sortie, a conclu une transaction avec Sporting Kansas City pour faire l’acquisition d’Amadou Dia, un joueur qui évolue à la même position que lui.

« Je te mentirais si je te disais que ça ne m’a pas dérangé. Quand on a décidé de me soumettre au ballottage, on a justifié la décision en me disant qu’on ne me voyait pas jouer et qu’il y avait beaucoup de compétition à mon poste, mais ensuite on va chercher un autre défenseur. Si tu trouvais que je n’étais pas assez bon, que mes performances étaient problématiques, tu peux me le dire, tu peux être honnête. Mais si tu me dis que tu ne me vois pas jouer, qu’il y a trop de compétition à mon poste et que tu vas chercher quelqu’un d’autre quelques semaines plus tard, le message n’est pas cohérent. »

Plus de chances aux jeunes

Maxim Tissot a gravi les échelons menant au soccer professionnel dans un contexte qu’on peut qualifier d’expérimental. Membre de la première cuvée des jeunes formés au club par l’Impact, il a grandi dans une structure rudimentaire qui n’a rien à voir avec la hiérarchie dont s’est depuis muni le club. Le contexte lui a certes ouvert les portes sur de grandioses opportunités, mais il a aussi précipité son ascension.

« Ce que nous répétait sans cesse le staff de l’Académie, c’est qu’on était des cobayes. Et c’est vrai! », réalise-t-il.

Avant que l’Impact ne lance la serviette avec Tissot, il avait fait de même avec le défenseur Karl W. Ouimette, qui a passé la dernière saison avec les Red Bulls de New York en MLS et l’Armada de Jacksonville en USL. Maxime Crépeau, un gardien prometteur, est pour l’instant coincé dans le rôle de troisième gardien de la première équipe et Wandrille Lefèvre, malgré de solides performances, attend toujours de se voir confier la stabilité du titulaire.   

La génération qui suivra ce quatuor précurseur aura grandi avec davantage d’outils, mais les encadrera-t-on avec plus d’audace? Anthony Jackson-Hamel et Jérémy Gagnon-Laparé sont à peine, sinon pas du tout, utilisés par Mauro Biello. David Choinière, que l’Impact a fait monter en équipe première immédiatement après le départ de Tissot, attend toujours de recevoir ses premières minutes en MLS. Le surdoué Ballou Jean-Yves Tabla est encore tout jeune, à 17 ans, mais certains observateurs reprochent néanmoins à l’Impact de retarder sa progression.

Maintenant détaché du problème, Tissot ose affirmer que l’Impact est trop hésitant à laisser la place à ses jeunes.

« Je pense qu’il faut leur donner une chance. Je pense que certains le méritent et ne l’ont pas nécessairement eu. Mais la MLS est une ligue qui évolue avec un plafond salarial, c’est différent d’en Europe. Là-bas, il y a des clubs qui ont besoin de former leurs joueurs pour survivre financièrement. En MLS ce n’est pas comme ça. Les joueurs qui sont sous contrat dans les quatre premières années ne comptent pas sur la masse salariale, donc c’est un avantage de les avoir. Mais après, c’est quoi le plan? »

Pour Tissot, le plan, c’est d’éventuellement retourner en MLS. Après son départ de Montréal, il a reçu un appel de son ancien capitaine Davy Arnaud qui l’a invité à venir passer une semaine dans l’entourage de D.C. United. L’essai n’a rien donné de concret dans l’immédiat, mais lui a permis d’observer ce qui se faisait ailleurs et de tisser quelques liens. C’est une porte à laquelle il pourra toujours retourner cogner en janvier.

« Je ne ferme pas la porte à Ottawa non plus, j’ai beaucoup de plaisir ici, mais on verra. On a le plus beau stade de la ligue ici, mais en général, en NASL, les installations ne sont pas aussi bonnes qu’en MLS. Je m’ennuie des stades pleins à craquer à la maison et des partisans qui t’envoient promener à l’extérieur. Ça me manque! »