RDS.ca vous propose une série de rencontres avec des athlètes québécois qui ont marqué l’histoire de leur sport à leur façon. Que font maintenant ces anciens athlètes de haut niveau? Nous poursuivons cette série avec l’ancien tennisman, Sébastien Lareau.

Retrouver la passion première : c’est l’objectif que s’était fixé Sébastien Lareau en février dernier quand il a décidé de vendre son cabinet de courtage d’assurance pour retourner sur les terrains de tennis, l’endroit où il a connu la gloire, il y a 20 ans.

Médaillé d’or aux Jeux olympiques de Sydney en 2000 au tennis masculin en double, Lareau a encore beaucoup à offrir à ce sport.

Son plus haut fait d’armes, accompli avec Daniel Nestor, est si extraordinaire qu’il occulte d’autres moments perçus comme de formidables exploits, lors de cette époque où les joueurs canadiens étaient souvent négligés sur la scène mondiale.

« Je suis super content de ce que j’ai accompli avec les outils que j’avais, explique l’homme de 47 ans, établi dans sa ville natale de Boucherville. En double, j’aurais difficilement pu en faire plus que 4e au monde. En simple, mon meilleur classement a été 76e. J’aurais aimé atteindre le top-50. C’est peut-être le seul regret que j’ai eu dans ma carrière. Mais pendant toutes ces années de tennis, j’ai tout donné. »

Contre Federer, McEnroe, Connors et autres!

Au cours de cette carrière professionnelle de 1991 à 2001, Lareau a affronté en duels de simple les anciens numéros un mondiaux Jimmy Connors, Ivan Lendl, Boris Becker, Pete Sampras, Andre Agassi, Andy Roddick, Yevgeny Kafelnikov, Marat Safin et Marcelo Rios. Il a vaincu les anciens monarques Lleyton Hewitt, Jim Courier, Patrick Rafter et Gustavo Kuerten, en plus de ses victoires contre Michael Chang, Tim Henman, Richard Krajicek et James Blake. Au total, il a obtenu 4 victoires contre des joueurs alors établis dans le top-10.

Puis, ah oui, il a aussi vaincu deux fois Roger Federer... en double!

« Je n’ai pas de souvenir de ces victoires », raconte Lareau bien candidement. Il faut dire que le Québécois était au sommet de son art, tandis que les victoires contre Federer sont survenues alors que la future légende disputait ses deux premières campagnes professionnelles.

« C’était des matchs de début de tournoi et Federer commençait sa carrière. On savait tous qu’il deviendrait un des meilleurs au monde, mais il ne l’était pas encore. »

C’est en affrontant une idole de jeunesse en 1991 que Lareau a eu la confirmation qu’il pouvait mener une carrière dans le tennis professionnel. Un an plus tôt, il avait connu un immense succès chez les juniors, quand il a remporté en 1990 les tournois de Roland-Garros et de Wimbledon avec celui qui est encore son ami, Sébastien Leblanc.

Les deux « Sebs » ont le vent dans les voiles et à leur première année chez les pros, lors de leur tout premier match de double aux Internationaux de tennis du Canada au Parc Jarry de Montréal, ils affrontent les redoutables Américains Ivan Lendl et Brad Gilbert.

Lareau-Leblanc battent Lendl et Gilbert

« Lendl était mon idole. C’était spécial de l’affronter devant mon public, raconte Lareau avant d'enchaîner le fil des événements comme s’ils s’étaient déroulés la veille. La foule a réussi à frustrer Lendl, à tel point qu’il a smashé directement sur mon partenaire. C’était tellement cheap de sa part, mais Lendl était vraiment choqué. Finalement, on les a battus et ça avait créé un engouement incroyable! On signait des chandails, on était devenus des petites stars. »

Lareau considère cette semaine comme un point tournant de sa carrière. Il raconte avoir senti un déclic, même si les chouchous du public se sont inclinés au 3e tour contre leurs puissants compatriotes Grant Connell et Glenn Michibata.

Pendant que Sébastien Leblanc décide de retourner aux études, Lareau poursuit sa route. Lors des Internationaux du Canada de 1992, c’est cette fois en compagnie de Daniel Nestor qu’il affronte deux monstres sacrés : John McEnroe et Andre Agassi.

« Les deux ne jouaient pas souvent ensemble, mais en double ils se complétaient super bien. Agassi était le droitier qui frappait super fort et McEnroe était le joueur en touche avec le gros service. Donc on savait que c’était un match super "tough". D’ailleurs on avait perdu, mais ça avait été un bon match. C’était toute une expérience, surtout à Toronto, la ville de Daniel. Quand tu as la chance de jouer contre des gros noms, des idoles comme McEnroe, même s’il était en fin de carrière, c’était extraordinaire de me retrouver sur le même terrain que lui. »

Le Québécois a toutefois savouré une forme de revanche contre un Agassi sans sa fausse crinière, six ans plus tard. Agassi avait alors remplacé McEnroe par Boris Becker... rien de moins! Même si le public allemand s’était fortement rangé derrière son « Boum Boum » Becker, Lareau et son partenaire, l’Américain Alex O’Brien, ont gagné ce duel unique de premier tour en route vers le titre à Stuttgart, l’un des 16 titres de double remportés par le Québécois sur le circuit de l’ATP.

Quant à la confrontation contre Jimmy Connors en 1995, Lareau la classe dans la catégorie des mauvaises expériences.

« J’ai souffert d’une crise d'asthme pendant toute la saison sur le gazon, de Halle jusqu’à Wimbledon. Connors avait 42 ans et avait obtenu un laissez-passer. Lors du match, je toussais sans arrêt en raison de l'asthme. À chaque changement de côté, l’arbitre me demandait si j’étais certain de vouloir poursuivre. Mais finalement, je me suis fait battre et c’est un mauvais souvenir. Il n’aurait jamais dû me battre », explique celui qui était classé 81e joueur au monde et qui regrette encore ce match de 1er tour perdu 6-4, 7-6.

Ces duels contre ces joueurs légendaires ont permis à Lareau de classer ses adversaires dans chacune des catégories suivantes :

Celui qui possédait le meilleur service? Pete Sampras

Le plus puissant? Boris Becker

Le meilleur joueur? André Agassi

Le joueur le plus intimidant? Agassi encore

Le joueur le plus gentil? Pete Sampras

Le joueur le plus impressionnant? Marat Safin (par sa stature)

La période magique

C’est en avril 1995 que Lareau obtient son meilleur classement mondial en simple (76e rang), mais c’est en 1999, à l'âge de 26 ans, que le natif de Boucherville entreprend la séquence la plus exaltante de sa carrière : une période de près de deux ans pendant laquelle les grands moments vont se succéder.

Il y a d’abord ce duel en simple contre Richard Krajicek, alors 7e joueur au monde, à Montréal, par une soirée du mois d'août où il y avait de l’électricité dans l’air. Il s’agit du match de simple dont Lareau est le plus fier, lui qui avait perdu le 1er set, avant de s’imposer 7-6 et 6-4.

Lareau défait Krajicek

Quelques semaines plus tard, à Flushing Meadows, 20 ans avant Bianca Andreescu, Sébastien Lareau remporte le tournoi du Grand Chelem en double masculin avec l’Américain Alex O’Brien. Le duo termine l’année en tant que champion du monde lors des finales de l’ATP.

L’été suivant à Toronto, Lareau répète ses succès-surprise en simple lors de son tournoi national face à Gustavo Kuerten.

À l’automne 2000, à Sydney, il bat Michael Chang au 1er tour du tournoi olympique en simple. Il perd au 2e tour, juste avant un possible duel de 3e tour contre Federer.

Lareau : Champion en double au US Open

Puis en double, c'est la consécration ultime en compagnie de Daniel Nestor.

« Gagner les Olympiques, c’est au-delà du tennis. Tu sens que tout le pays est derrière toi. Et de gagner contre les excellents "Woodys" australiens Mark Woodforde et Todd Woodbridge devant leur public, alors qu’ils avaient gagné le 1er set, ça avait été extraordinaire. C’était le fait marquant de ma carrière. »

Les blessures vinrent mettre un terme à cette période sensationnelle, si bien que deux ans après son titre olympique, Lareau dispute ses derniers matchs en simple et en double dans des tournois de catégorie Challenger aux États-Unis.

Le retour... sans les chauves-souris

Les meilleurs joueurs savent profiter des meilleures opportunités. Sébastien Lareau l’a appris au cours de sa carrière aux quatre coins de la planète. Il regrette encore d’ailleurs sa défaite en cinq sets au 2e tour à Wimbledon en 2000 contre le 38e joueur au monde Isham Arazi... après avoir gaspillé deux balles de match!

Toutefois, lorsque s’est présentée l’an dernier l’occasion de vendre son bureau de courtage en assurances sur lequel il avait travaillé pendant 11 ans, Lareau a saisi l’occasion. Le moment était venu de passer à autre chose. Après avoir élevé ses deux enfants Alexis et Elliott, et après avoir obtenu l'assentiment de sa conjointe des 17 dernières années, Sylvie, Lareau est revenu au tennis.

Son ancien entraîneur André Lemaire, lui a confié les destinées d’un jeune joueur ontarien, Christopher Heck.

« Après ma retraite officielle en 2003, j’ai été coach, mais je ne voulais pas voyager, car mon deuxième enfant venait de naître. Ce n’était pas juste pour mes joueurs. Maintenant, mes enfants sont plus vieux. Je peux me permettre de recommencer à voyager. Je trouvais que pour un retour graduel, c’était une bonne façon de me remettre dans le tennis. »

Lareau n’a aucune idée où l’aventure le conduira. Toutefois, il connaît bien la précarité qui entoure le métier d’entraîneur de tennis, mais il dispose d’une autonomie financière qui lui permet de courir le risque.

« L'entraîneur est toujours à la merci de son joueur. J’ai été joueur, j’ai eu des entraîneurs, je sais comment ça se passe, et je suis prêt à m’embarquer et à voir. Mais, je ne sais pas si je vais faire ça à long terme. »

Dès que ce sera possible, Lareau bouclera ses valises pour accompagner son protégé pour les tournois de moindre envergure, comme ceux qu’il a disputés 30 ans plus tôt, et dans des conditions souvent difficiles.

« Il y a des moments où tu te remets en question. C’est arrivé souvent, comme en Uruguay, avec les chauves-souris dans la chambre d'hôtel! Ce n’était pas toujours la vie de jet-set. »

« Il y a eu plusieurs moments où tu te demandes ce que tu fais à cet endroit et que tu as le goût de tout lâcher. En même temps c’est ton rêve. Tu passes par-dessus les moments difficiles, et tu continues de t’entrainer en passant aux jours meilleurs qui s'en viennent. »

Il serait peut-être très ambitieux de penser amener son protégé aux mêmes niveaux que se sont déjà élevés les Félix Auger-Aliassime, Bianca Andreescu, Denis Shapovalov, Eugenie Bouchard et Milos Raonic. Ces joueurs, qui sont passés après Lareau, ont bénéficié du système d’excellence chez Tennis Canada, élaboré par Louis Borfiga. En plus des dispositions physiques et techniques, la plus grande différence, selon Lareau, entre son époque et celle de la nouvelle génération réside dans l’attitude.

« C’est Louis Borfiga qui a amené cette nouvelle mentalité. À mon époque, nous étions toujours considérés comme des négligés. Nous n’étions pas aussi intimidants que Denis ou Félix qui arrivent sur le terrain et qui sont convaincus qu’ils peuvent battre n’importe qui. Nous on avait des réticences et on doutait beaucoup en notre jeu. »

Sachant à quel point il a été privé des meilleures ressources d’encadrement dont disposent maintenant nos vedettes d’ici, nous pouvons encore mieux mesurer et apprécier les nombreux accomplissements de Sébastien Lareau.