LONDRES – On se souvient d’un jeune Rafael Nadal, qui survivait une quinzaine à Paris – sept matches, un défi tant physique que mental – pour remporter le titre à Roland Garros.

 

Le lendemain, on retrouvait l’espagnol au Queen’s Club à Londres, où il prenait ses premiers pas sur le gazon en vue de Wimbledon.

 

Ça semblait extrême. Mais pour Nadal, c’était ce qu’il se devait de faire, pour devenir – et demeurer – un des meilleurs de tous les temps.

 

Après un mois durant lequel il a atteint deux finales ATP, l’étoile montante québécoise Félix Auger-Aliassime commence à comprendre ce que ça prend.

 

Maintenant au 21e rang du classement ATP en simple, le précoce de 18 ans a rapidement progressé depuis qu’il a atteint les demi-finales du Masters 1000 à Miami en mars.

 

Auger-Aliassime avait déjà un examen à passer la semaine dernière, alors qu’il devait défendre les points de classement gagnés lors d’une victoire au niveau Challenger à Lyon à pareille date en 2018.

 

Et ce test, il l’a réussi haut la main en atteignant la finale à Stuttgart, lors de son premier tournoi professionnel sur gazon.

 

Cette semaine, Auger-Aliassime fait face à une autre réalité, celle qui sépare les très bons joueurs des grands joueurs.

 

Une semaine de rêve, une finale, ça arrive. Le grand défi, c’est de recréer le rêve semaine après semaine, avec à peine la chance de reprendre son souffle entre les deux.

 

La transition d’un tournoi au prochain, c’est de la logistique. Un voyage à l’aéroport, un vol, un changement de pays et de fuseau horaire. Un changement de langue et de culture. Souvent, il y un changement de surface. De plus, la marque de balles de tennis utilisées est souvent différente. C’est un ajustement non négligeable dont les joueurs ne parlent qu’à l’occasion.

 

Mais au-delà de toute la logistique, on doit refaire le plein. Le joueur doit mettre de côté l’effort et la fatigue accumulés durant une très belle, très longue semaine. Il doit instantanément remettre l’odomètre à zéro et arriver frais et dispos dès le premier tour.

 

Et ça, c’est la partie de la courbe d’apprentissage qu’Auger-Aliassime est en train de maitriser à vive allure.

 

Le jeune de 18 ans était blessé à l’adducteur pour la finale à Lyon, et donc pas en grande forme contre le Français Benoit Paire. Mais le lendemain de la finale, un événement encore plus important débutait à Paris.

 

Auger-Aliassime devait ramasser son trophée de finaliste, mettre sa déception de côté, faire ses valises, prendre le train pour Paris, s'installer dans un nouveau logement – et tenter d’imaginer comment il pourrait jouer des matchs trois de cinq sets dans son premier tableau principal en carrière à Roland Garros.

 

Au final, Auger-Aliassime a dû se retirer; il n’y avait pas assez de temps pour guérir l'adducteur. Il était à l’extérieur des courts pour une semaine.

 

Mais l’exemple de Paire, plus mature physiquement à 30 ans et pour qui Roland Garros est le plus gros tournoi de la saison, était à voir.

 

Il a vaincu son compatriote Pierre-Hugues Herbert 11-9 au cinquième set au deuxième tour et a atteint les huitièmes de finale, où il a perdu contre la tête de série no 7 Kei Nishikori en cinq sets.

 

Ça, c’est bâtir sur une belle semaine. Et ce n’est pas facile. Paire lui-même a souvent échoué dans cette tentative – une raison pour laquelle un joueur franchement doué a rarement franchi le cap des « top-20 ».

 

Mais Nadal le fait. Roger Federer le fait. Novak Djokovic l’a fait à maintes reprises lors de sa brillante carrière.

 

Lors de son premier tournoi sur gazon depuis les juniors de Wimbledon en 2016, Auger-Aliassime est revenu fort de sa déception à Paris, 

 

Il a eu ses chances en finale face à Berrettini, un Italien de 23 ans qui a bouclé une semaine impeccable sur son service.

 

Tard dimanche après-midi, le séjour à Stuttgart s’étant terminé avec la défaite de 6-4, 7-6 (13-11 au bris d’égalité), Auger-Aliassime devait ramasser sa plaque de finaliste, tout son équipement, son équipe et sa soeur Malika, et se rendre à l’aéroport pour prendre un vol à destination de Londres.

 

Lundi – un peu à la Nadal – il était déjà sur place au Queen’s Club.

 

Le tournoi Fever-Tree Championships se joue également sur le gazon. Mais les conditions sont très différentes.

 

À Stuttgart, le gazon est entièrement composé de « ray-grass » anglais – comme à Wimbledon, mais soumis à des conditions différentes.

 

C’est une formule plus résistante pour aider Wimbledon à passer à travers une quinzaine durant laquelle les terrains sont sévèrement achalandés.

 

Mais même si le « ray-grass » joue (relativement) lentement à Wimbledon, la plupart des joueurs le trouvent très rapide à Stuttgart. C’est peut-être parce qu’il est moins utilisé, donc il demeure plus vert et plus glissant, plus longtemps.

 

Au Queen’s Club, le « ray-grass » ne compose que 50 pour cent de la surface, le reste étant un mélange de fétuque et d’agrostide.

 

La composition différente change le rebond. En plus, les terrains sont à nouveaux flambants verts – et très glissants.

 

En fin d’après-midi lundi, après s'être acquitté de certaines obligations vis-à-vis les médias et après avoir salué sa mère Marie Auger, qui s'est rendue à Londres, Auger-Aliassime enfin à eu l'occasion de prendre le terrain.

 

Une heure de pratique, avec un premier tour programmé le lendemain, ce n’est pas grand-chose.

 

Auger-Aliassime avait réservé son terrain encore à la recherche d’un partenaire. Il a débuté l'entraînement en frappant contre son entraîneur Frédéric Fontang et son préparateur physique Nicolas Perrotte.

 

Perrotte, empruntant une de ses raquettes Babolat, fût une révélation sur le terrain. Mais ce n’est pas un joueur professionnel.

 

L’Américain Chris Eubanks, qui a manqué de peu le tableau au Queen’s Club, mais y est demeuré pour se préparer pour les qualifications de Wimbledon la semaine prochaine, s’était inscrit pour se joindre à Auger-Aliassime. Mais il n’avait pas vu le temps passer.Félix Auger-Aliassime

 

Quelque 15 minutes plus tard, Eubanks se précipitait sur le terrain, ôtant rapidement son survêtement en laçant de toute vitesse ses souliers Asics.

 

Finalement, Auger-Aliassime a pu frapper un peu avec le joueur qui l’avait battu aux qualifications de l’Open d’Australie en janvier. Tout de suite, on pouvait voir un peu de frustration avec les changements de conditions. Eh oui, un peu de fatigue.

 

Mais il ne reste plus de temps pour bien s’adapter. Il faut jouer.

 

Pour la première fois, Auger-Aliassime est tête de série (No 8) dans un tournoi ATP 500 – un autre échelon gravé.

 

Et il faisait face à un ex-no  3 au premier tour: le Bulgare Grigor Dimitrov, champion au Queen’s Club il y a cinq ans.

 

La pluie a repoussé l’horaire toute la journée mardi.  Cela signifiait donc qu’Auger-Aliassime devait passer la journée au club, attendant en vain un match qui, de toute évidence, n’aurait pas lieu.

 

Les joueurs de tennis y sont habitués. Dès les huit ans et moins, un tournoi de tennis est un jeu de « hâte et d’attente ».

 

Mais le Québécois aurait surement profité d’une véritable journée de congé. Au moins, c'était une journée sans tennis.

 

Une autre leçon à absorber, lors d’un mois durant lequel Auger-Aliassime en a déjà tant appris.

 

Tous les joueurs oeuvrant sur le circuit ATP sont talentueux. La différence entre les bons et les grands se retrouve dans les petits détails.

«

Moi-même, il y a quatre ans, je gagnais mon premier point ATP. Et lui, il joue … il est top-20. Il est incroyable »,  a déclaré Berrettini après la victoire à Stuttgart. Sincèrement, l’Italien n’en revenait pas.

 

Auger-Aliassime à l'entraînement en vue de Wimbledon

Peut-être qu'un jour, Auger-Aliassime lèvera la Coupe des Mousquetaires sur le court Philippe-Chatrier un bon dimanche, début juin.

 

Et puis, à la Nadal, il se présentera au Queen’s Club le lendemain pour commencer sa quête du titre à Wimbledon.

 

Si ce rêve se concrétise, toutes les leçons qu’il aura apprises ce printemps auront porté fruit.