Des heures à n’en plus compter sur le terrain à l’entraînement à frapper encore et toujours des balles et à discuter stratégies. Un entraîneur a tout le luxe à ce moment de mettre à l’épreuve son ou sa protégée afin de tester ses limites.

Sauf que rien ne vaut le feu de l’action pour réaliser de quel bois un athlète se chauffe. Lorsque le corps ne veut plus faire un pas de plus, que tout est douloureux, ce qui permet alors d’avancer, c’est la volonté.

Bianca Andreescu en a fait la démonstration dans sa finale devant Angelique Kerber à Indian Wells. Avant de soutirer le dernier point d’un match qui s’est soldé par la marque de  6-4, 3-6 et 6-4, la Canadienne est passée par toute la gamme des émotions au cours des 2 heures 20 minutes qu’elle a passé sur le terrain à répliquer de son mieux aux offrandes de la triple championne Grand Chelem.

On est même prêts à croire qu’elle a atteint sa limite lorsque l’Allemande brise son service pour mener 3-2 à la manche ultime. Andreescu fait alors appel à son entraîneur Sylvain Bruneau pour qu’il vienne s’entretenir avec elle à sa chaise. Alors qu’elle mentionne souffrir à un point tel qu’on se demande comment elle parviendra simplement à reprendre l’action, une phrase s’immisce dans la discussion entre la joueuse et son entraîneur. Quelques mots qui ont sans aucun doute fait chaud au coeur de Bruneau.

« Je veux tellement cette victoire », laisse entendre sa protégée.

Une formule simple, mais qui permet d’en apprendre tellement sur le caractère de l’athlète de 18 ans et qui montre qu’elle a l’état d’esprit pour vivre de grands moments dans son sport.

« Tu ne peux pas demander mieux comme entraîneur. Sur un terrain d’entraînement, les athlètes vont dire à quel point ils sont passionnés, qu’ils aiment leur sport et qu’ils veulent des résultats. Parfois, par contre, dans le feu de l’action, devant les difficultés, ils sont fragilisés et à ce moment, malgré les grandes ambitions, ça peut casser. De l’entendre me dire ça à ce moment du match, malgré tout ce qu’elle vivait, qu’elle voulait encore aller chercher ce match, c’est de là qu’est partie sa remontée. Oui j’ai eu quelques mots pour elle, mais sa remontée part de cette intention, ce désir de gagner ce match », a partagé Bruneau lors d’une généreuse entrevue téléphonique pour le balado « À la volée » du RDS.ca.

Connaissant bien sa protégée, avec laquelle il travaille à temps plein depuis près d’un an, l’entraîneur a su sur quels boutons appuyer afin que sa joueuse soit dans les meilleures dispositions pour reprendre la bataille. La complicité qu’ils ont développée lui a permis de savoir que l’heure n’était plus aux schémas de jeu et aux analyses, il fallait garder cette flamme de détermination qui brillait dans les yeux de sa joueuse.

« Je savais qu’à ce stade du match, il ne fallait pas arriver avec des interventions tactiques. Ça aurait pu être pertinent, mais je voulais la rejoindre. Je sais que c’est une fille extravertie, une passionnée et je voulais faire un message dans ce sens, a-t-il indiqué Je devais aussi gérer ses interventions alors qu’à mon arrivée elle a mentionné que physiquement ça n’allait pas du tout. Ce n’était pas le temps de se concentrer sur les pépins physiques qui étaient bel et bien présents. Je préférais m’attarder sur le fait qu’elle est forte et qu’elle pouvait passer au travers avec la force de son mental. »

Ce court échange d’environ une minute a eu l’effet escompté et encore mieux. Andreescu a retrouvé l’aplomb qui lui a permis d’atteindre la finale du tournoi en sol californien, si bien que quelques minutes plus tard, elle avait la chance de passer à l’histoire en servant pour le match.

Cette fois, c’est Kerber qui a refusé de s’avouer vaincu et pendant un instant, on craint le pire dans le camp canadien alors qu’Andreescu voit filer trois balles de match, mais surtout de championnat. Pour une dernière fois lors de cette compétition, Andreescu montre toute sa force de caractère en brisant immédiatement le service de l’Allemande pour clore le débat.

« C’est certain que j’étais un peu inquiet. Peut-être que je devrais dire que 'Non je n’étais pas inquiet, que j’avais pleinement confiance', mais ce n’était pas le cas, a révélé Bruneau. Elle était en difficulté, elle tirait de l’arrière par un bris, mais elle a été en mesure de revenir de l’arrière afin de servir pour le match à 5-3. »

« Alors quand Bianca a perdu son service à 5-3 et qu’elle s’est dirigée vers sa chaise à 5-4, je n’étais pas certain si elle ne venait pas de rater sa chance. C’était extraordinaire la manière qu’elle s’est réengagée pour enregistrer le dernier bris », a-t-il renchéri.

Alors que tous les yeux sont alors tournés sur le terrain vers celle qui s’est écroulée au sol et qui peut finalement se réjouir et récolter les fruits du travail accompli, il y a dans les gradins un entraîneur de longue date qui est comblé.

« J’ai vécu de superbes expériences en Coupe Fed à plusieurs niveaux avec Eugenie et ce que nous venons de vivre avec Bianca c’est énorme. Il y a eu beaucoup de travail par Bianca bien avant Indian Wells et un peu par moi aussi, laisse-t-il savoir en toute modestie. En tant qu’entraîneur, on veut voir nos athlètes progresser. C’est donc certain que je vis le tout comme un grand moment, c’est un bel accomplissement. Je suis très fier! »

Un autre plan à la poubelle

Celui qui oeuvre à ses côtés avait bien entendu perçu son potentiel, mais de par son expérience, il était bien placé pour savoir que celui-ci ne se traduit pas toujours dans les résultats escomptés. Par contre, celle qui a triomphé plus tôt cette année à Newport et a participé au deuxième tour des Internationaux d’Australie progresse véritablement à vitesse grand V.

« C’était très rapide. Je savais bien avant ses excellents résultats en 2019 qu’elle avait un super beau potentiel et que de belles choses pouvaient arriver. Par contre au tennis on ne sait jamais. C’est spécial en un an d’avoir réussi ce qu’elle a accompli. »

« Je suis un peu surpris. Je savais qu’elle avait les moyens de ses ambitions, mais ça va plus vite que ce dont j’avais envisagé », a admis l’ancien capitaine de l’équipe nationale canadienne de la Coupe Fed.

Sylvain Bruneau est d’ailleurs aux premières loges pour constater que le plan établi entre les deux après la dernière campagne a sans cesse besoin d’être modifié en raison des résultats de celle qui occupait en date du 31 décembre 2018 le 152e échelon au classement de la WTA.

Alors qu’Andreescu souhaite atteindre le top-80, Bruneau vise davantage une participation à Roland-Garros. Le tout doit être révisé dès la fin janvier après une victoire à Newport. Rejointe à ce moment par le RDS.ca, la principale intéressée souhaite maintenant se retrouver parmi les 50 meilleures joueuses au monde. Un peu plus d’un mois plus tard, là voilà au sein du top-25 mondial.

« Les objectifs, elle les atteint beaucoup plus rapidement que prévu, mais on les ajuste en conséquence et c’est bien ainsi », a lancé Bruneau ne pouvant cacher son rire en songeant à sa protégée qui est la 24e raquette mondiale.

Ce nouveau classement ne lui est pas profitable dans l’immédiat, alors qu’Andreescu figure dans le tableau principal à Miami sans bénéficier d’un laissez-passer au premier tour. Le tirage au sort ayant été effectué avant la publication du plus récent classement de la WTA, la championne d’Indian Wells devait donc déjà se préparer après son couronnement à son match de premier tour.

« Il y a eu beaucoup d’émotion depuis dimanche. Il faut quand même remettre notre game face parce qu’on est à Miami. Il faut rapidement passer à autre chose », a soutenu Bruneau expliquant ensuite à quoi consiste la réalité de la nouvelle championne.

« Après le match dimanche, on a conduit jusqu’à Los Angeles pour rencontrer un kinésiologue qu’on connaît bien et qui a travaillé avec elle plusieurs fois, dont avant et après l’Australie. On l’a rencontré de 22 h 30 à minuit le jour de la finale pour qu’elle reçoive des traitements »,  a-t-il exposé.

Celle qui sera opposée, tout comme au premier tour à Indian Wells, à la Roumaine Irina-Camelia Begu à son entrée en scène à Miami a l’intention de s’accorder une période de repos de deux à trois semaines après cette compétition. Elle pourrait donc revenir au jeu pour la prochaine étape de la Coupe Fed à la fin avril alors que le Canada sera confronté à la République tchèque.