MONTRÉAL – Comment un joueur des Carabins de l’Université de Montréal est-il parvenu à tomber dans l’œil d’un ancien entraîneur de renom de la NFL? Pour comprendre cette histoire, il faut remonter une branche de « l’arbre » du football québécois et y percer un trou pour utiliser une dose convaincante d’eau d’érable. 

Jeudi, on vous racontait le parcours de Pier-Olivier Lestage, ce colosse de la ligne offensive des Bleus qui a été en mesure d’impressionner Paul Alexander, un entraîneur ayant eu une grande carrière dans la NFL majoritairement avec les Bengals de Cincinnati. Mais il fallait bien comprendre comment Alexander a pu aboutir sur la colline montréalaise. 

« Notre entraîneur de la ligne offensive, Mathieu (Pronovost), est un grand fan de lui. C’est un peu son mentor si tu veux. Une grande partie de ce que Mathieu fait avec nous, ça vient de lui, de sa vision. Juste pour nous, de le rencontrer, c’était quelque chose de spécial parce que Mathieu nous a souvent parlé de lui », a d’abord confié Lestage comme première piste. 

Mais les méandres derrière cette initiative de Pronovost sont absolument fascinants et bien plus lointains qu’on le croyait. Alors, attachez vos tuques et on va tenter de ne pas vous perdre en chemin. 

« Ça remonte à loin, disons que l’arbre généalogique du football québécois se fait tester sur plusieurs branches, a rigolé Pronovost quand on lui a posé la question. Au départ, le contact qu’on avait là-bas, à Cincinnati, c’était l’entraîneur des demis défensifs, Kevin Coyle. »

Quel est le lien entre Kevin Coyle, un entraîneur américain de 64 ans qui a œuvré dans la NFL pendant près de 20 ans, et le Québec? Avant de se joindre aux Bengals en 2001, Coyle a été coordonnateur défensif avec les universités de Syracuse, Maryland et Fresno Sate. 

« Il venait recruter à Montréal dans des camps organisés par Ron Dias (un recruteur qui a joué un rôle important pour faire découvrir le talent canadien au sud de la frontière) », a expliqué Pronovost.

Ainsi, Coyle a bâti des relations avec des acteurs du monde du football québécois dont Spiro Feradouros - un ancien des Carabins, des Stingers et du Rouge et Or. Feradouros a donc été en mesure d’avoir accès à un camp des Bengals pour une première fois quand il travaillait pour les Carabins. Il a pu être accompagné de ses collègues de l’époque, David Lessard et Jean-Vincent Posy-Audette. 

Par la suite, Lessard et Posy-Audette ont fait le saut avec le Vert & Or de l’Université de Sherbrooke et c’est là que Pronovost a entamé sa carrière d’entraîneur. Puisque le contact était solide chez les Bengals, ils ont pu y retourner avec Pronovost à leurs côtés cette fois. 

Où se cache Alexander dans cette histoire? On y arrive. 

Durant sa carrière de joueur, Pronovost a été porteur de ballon et demi défensif. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas la carrure d’un joueur de ligne offensive et il ne ressemble pas au profil typique des sommités qui dirigent cette unité. Mais il a tout de même accepté de s'impliquer pour diriger la ligne offensive et Lessard lui a fourni un précieux conseil.

« Si tu veux être un bon coach de la ligne offensive, ça doit passer par connaître ce que Paul Alexander enseigne », a cité Pronovost qui a acheté toutes ses vidéos et qui a poussé ses recherches dans cette direction. 

Pronovost a capitalisé sur cette occasion rêvée en se rendant aux installations des Bengals à trois reprises à partir de 2009. Il a été astucieux à son tour pour s’assurer que Coach Alexander se souvienne de lui. 

« Les entraîneurs sont tellement bien payés là-bas donc c’est difficile de les récompenser avec quelque chose qu’ils n’ont pas. C’est pour que ça que j’ai pensé lui donner du sirop d’érable et il se rappelait du French Canadian coach qui était venu au camp », a raconté Pronovost. 

Au football, c’est devenu un classique de décrire l’immense influence d’un entraîneur en exposant son « arbre » (coaching tree). L’exemple de Bill Walsh est souvent cité comme le modèle de référence alors que de nombreux grands entraîneurs ont émergé grâce à lui et ses protégés. Si on se contente d’effleurer l’énumération, on peut nommer Mike Holmgren, Andy Reid, Mike Shanahan, Tony Dungy et Mike Tomlin.

Les branches du « coaching » s'étendent donc parfois jusqu’au Québec et c’est tant mieux. 

« Aujourd’hui, David (McGill), Jean-Vincent (Ottawa), Spiro (Carleton) et moi, nous travaillons tous à des endroits différents, mais on a ces contacts pour cette raison. C’est fou parfois quand on ne sait pas trop d’où ça part. La première fois que je suis allé au camp des Bengals, j’ai aussi demandé d’où venait ce lien et ils m’ont expliqué cette histoire », a fait remarquer Pronovost dont la conjointe accouchera du deuxième enfant du couple en juillet. 

Mathieu PronovostLa beauté dans tout ça se trouve aussi dans l’ouverture affichée par les Bengals qui étaient alors dirigés par Marvin Lewis. 

« Ils ont toujours été très généreux au niveau des connaissances à partager. Ils ne se sentent pas menacés, ils savent qu’on est des Canadiens et qu’on ne viendra pas travailler dans la NFL. Ils étaient très permissifs avec les entraîneurs invités. Souvent, on quittait le stade pour aller souper vers 22 h avant de retourner à l’hôtel. C’est simple, les entraîneurs des Bengals partaient avant nous. Ils nous laissaient là et ils nous demandaient juste de dire à la sécurité quand on quittait. Pour nous, c’était comme si on arrivait à Walt Disney, on a vraiment vécu de beaux moments! J’imagine que les choses ont un peu changé depuis le départ de Coach Lewis et on va sûrement chercher un autre endroit à visiter éventuellement », a vanté Pronovost. 

En prenant sa retraite de la NFL en 2018, Alexander est devenu consultant dans sa spécialité et la porte était donc ouverte pour l’inviter à Montréal. 

« Il donne beaucoup de conférences et il se promène un peu partout dans le monde. J’ai vu sur son compte Twiter qu’il était allé en Europe, en Allemagne, pour enseigner le foot et passer du temps avec de jeunes athlètes et des entraîneurs. C’est pour ça que j’ai repris contact avec lui pour savoir s’il venait venir nous visiter à Montréal », a bouclé Pronovost, un entraîneur volubile et passionné qui est aujourd’hui encensé par ses joueurs pour ses connaissances de la ligne offensive.