Texte d'abord paru sur Parlons de balle

Le baseball traverse, depuis quelques années, la crise identitaire la plus étrange de son histoire : celle où les joueurs frappent trop de coups de circuit. Trop de home runs, vraiment? Les joueurs du baseball majeur ont changé. Ils sont plus costauds et plus forts qu’à l’époque. Leur force au bâton s'est accrue, ce qui entraîne une croissance considérable du nombre de longues balles frappées. En 2017, la MLB fracassait un nouveau record de coups de circuit enregistrés en une saison avec 6105, exploit qui était auparavant établi à 5693. Puis, en 2019, une nouvelle marque : 6776 coups de circuits frappés.

Nous assistons donc, devant nos yeux, à une réelle mutation de ce sport qui s’est grandement dénaturé au fil des années. Autrefois, le baseball trouvait son identité dans sa complexité. La beauté du sport réside d’abord dans la technique sophistiquée des lanceurs et de leur arsenal de lancers tout aussi variés (la balle rapide, la balle glissante, la balle courbe, le changement de vitesse, etc.). Aujourd’hui, le baseball est devenu un véritable spectacle à feux d’artifices – Bonsoir, elle est partie!

Cela dit, en accédant à la Série mondiale l’an dernier, les Rays de Tampa Bay nous ont prouvé que ce sont toujours les lanceurs qui mènent (ou non) une équipe à un championnat. Les Rays ont prouvé que l’issu d’un match se décide irréfutablement au monticule. Au fait, le lanceur Blake Snell a bien failli gagner le 6e match de la série finale à lui seul et ainsi forcer la présentation d’une rencontre ultime, avant que le gérant Kevin Cash ne gâche tout. À moins d’être les Dodgers de Los Angeles et de compter sur les Mookie Betts et Cody Bellinger de ce monde, aucune force de frappe ne peut compenser une piètre rotation sur le long terme (et de toute façon, les Dodgers avaient la meilleure rotation des majeurs). Par conséquent, les Rays étaient loin d’être l’équipe la plus imposante au bâton. Néanmoins, leur rotation se voulait, en début de saison, l’une des meilleures du circuit: Charlie Morton, Blake Snell, Tyler Glasnow, Ryan Yarbrough et Yonny Chirinos.

Les Padres de San Diego, eux aussi éliminés par les Dodgers au tour précédent, étaient bâtis inversement aux Rays. C’est-à-dire que leur identité passe par la menace que représentent leurs frappeurs d’exception lorsqu’ils s’amènent au marbre. Ils se sont d’ailleurs vu octroyer le surnom de Slam Diego, après être devenu la première équipe dans l’histoire du baseball majeur à réussir un Grand Chelem dans quatre matchs consécutifs. Dans une saison écourtée de 60 matchs, les joueurs vedettes Manny Machado et Ferando Tatis Jr. ont tous deux frappés au-dessus de 60 coups sûrs, tandis que trois autres joueurs ont frappés un minimum de 50 coups sûrs, soit Will Myers, Trent Grisham et Jurickson Profar. Du lot, Tatis, Machado et Myers ont également ajouté au moins 15 coups de circuit à leurs fiches personnelles.

Les Padres avaient sans équivoque la force de frappe digne d’un championnat, mais leur rotation chancelante les a ultimement failli. Dinelson Lamet a été leur meilleur partant, terminant la saison avec une moyenne de points mérités de 2.09 et une moyenne de buts sur balles et de coups sûrs de 0.86. Zach Davis a également très bien fait avec une moyenne de points mérités de 2.73, en plus de signer 7 victoires en 12 départs. Pour le reste, les performances au sein de la rotation des Padres n’ont rien eu de grandiose. Chris Paddack a alloué pas moins de 60 coups sûrs et 14 coups de circuit en 12 départs, Garrett Richards a admis une moyenne de points mérités de 4.03, Adrian Morejon a accordé 7 coups de circuits à l’adversaire en moins de 20 manches lancées et Mike Clevinger s’est blessé quelques temps seulement après son acquisition.

Ce manque d’équilibre dans le jeu des Padres a fait ni plus ni moins la différence face aux Dodgers. Los Angeles a balayé San Diego en éliminatoires, dominant 23 contre 9 au chapitre des points marqués – incluant une humiliation de 12 à 3 au dernier match. Les Padres avaient aussi connu des ennuis contre L.A. en saison régulière, perdant deux des trois matchs disputés. Pourtant, il n’y avait que 6 petites victoires qui séparaient les deux clubs au classement général. Et oui, 6 gains d’écart mais une domination à sens unique dans cette rivalité qui s’explique par la stabilité (ou l’instabilité) des deux rotations en question. San Diego n’avait tout simplement pas les munitions nécessaires pour répliquer aux Clayton Kershaw, Walker Buehler, Dustin May, Julio Urias et Tony Gonsolin des Dodgers.

Les Padres ont donc eu à se buter aux Dodgers dans une cause perdante l’an dernier, mettant un terme à leur campagne historique. Il s’agit hélas là d’une réalité inévitable pour San Diego. À titre de rivaux de section, les Dodgers se tiendront encore et encore entre les Padres et leur objectif ultime : une participation à la Série mondiale. Forcément, les deux équipes rivales convoitent le même prix et ils devraient encore se disputer le premier rang dans la section Ouest de la Nationale la saison prochaine. C’est donc dire que les Padres devaient inévitablement revoir leur approche pour la saison 2021, afin d’éviter une autre élimination aux mains de leurs grands frères – et c’est ce qu’ils ont fait.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les Padres n’ont pas hésité à jouer la carte de l’agressivité durant la saison morte afin de rectifier le tir. On peut objectivement reconnaître que Slam Diego a réalisé un véritable Grand Slam en procédant aux acquisitions coup sur coup des lanceurs de premier plan Blake Snell et Yu Darvish. En l’espace de quelques jours, ils ont su s’offrir le meilleur personnel de lanceurs du baseball majeur, dorénavant supérieur à celui des Dodgers. Yu Darvish revient d’une saison mémorable avec les Cubs de Chicago, enregistrant une moyenne de points mérités de 2.01 et une moyenne de buts sur balles et de coups sûrs de 0.96 en 12 départs et 76 manches lancées. Puis, les Padres acquièrent, en Blake Snell, l’expérience précieuse d’un lanceur qui a récemment atteint la Série mondiale. Rappelons toutefois que Zach Davies a pris le chemin de Chicago dans la transaction envoyant Darvish à San Diego.

Non seulement leur rotation de partants sera très solide, mais les Padres auront aussi plusieurs options intéressantes dans leur bullpen. Yu Darvish, Dinelson Lamet, Blake Snell, Chris Paddack et Adrian Morejon sont projetés pour servir à titre de lanceurs partants pour débuter la saison. L’espoir Luis Patino pourrait se voir remettre un rôle plus important comme lanceur de relève, même s’il est destiné à évoluer comme partant dans un avenir rapproché. Il va de même pour les espoirs MacKenzie Gore et Ryan Weathers. Les départs de Kirby Yates et Trevor Rosenthal sur le marché des joueurs autonomes laissent nécessairement des trous à combler au sein de la formation et, avec une rotation de partants déjà bien fournie, les jeunes prodiges des Padres pourraient majoritairement être appelé à remplir des rôles de releveurs. Néanmoins, si une blessure devait survenir à l’un de leurs lanceurs, les Padres auraient plusieurs alternatives vers lesquelles se tourner. L’équipe pourrait même faire l’acquisition d’un joueur de location comme Joe Musgrove, vers la date limite des transactions, et ainsi s’annoncer all-in pour les éliminatoires. Bref, on est en voie de s’attendre à un rematch entre les Dodgers et les Padres aux prochains éliminatoires de la MLB et cette fois, il ne serait pas surprenant de voir San Diego avoir le dessus et ainsi venger leur plus récent échec.