(Baseball Québec - Colaboration spéciale - Michel Vigneault) Michel Vigneault est formateur d'entraîneur de Baseball Québec. En 1987, il a remporté le prix Jean-Aucoin, remis par l'Association des chroniqueurs de baseball, chapitre de Montréal pour l'article suivant.

En 1987, le baseball majeur fête un événement qui a marqué l'histoire de ce sport américain. En effet, au printemps 1947, le premier joueur de race noir, Jackie Robinson, faisait partie d'une équipe des ligues majeures, les Dodgers de Brooklyn de la Ligue Nationale. Ainsi, la barrières raciale était abattue dans un des sports majeurs des Etats-Unis.

Cependant, ce que l'on oublie souvent, c'est que Jackie Robinson a d'abord évolué avec les Royaux de Montréal, filiale des Dodgers dans la Ligue Internationale, à ses débuts dans le baseball de race blanche en 1946. Pourquoi Montréal ? Tout d'abord, au Canada, le problème racial n'était pas aussi aigu que chez nos voisins du sud. Ensuite, les Royaux étaient le premier club-école des Dodgers, soit de calibre AAA. Ainsi, si Robinson passait sans problème le test d'une équipe AAA, il pourrait alors évoluer l'année suivante avec les Dodgers. N'ayant que la moitié des parties à jouer aux Etats-Unis, il lui serait alors plus facile d'affronter les problèmes raciaux qui pourraient survenir au courant de la saison.

La Ligue Internationale était composée de huit clubs, soient Montréal et les Maple Leafs de Toronto au Canada, et les Bisons de Buffalo, les Red Wings de Rochester, les Chiefs de Syracuse, les Bears de Newark, les Giants de Jersey-City et les Orioles de Baltimore aux Etats-Unis. La Ligue Internationale avait donc avantage d'être dans le nord ou les problèmes raciaux sont moins important que les Etats du sud qui avaient été exclavagistes 100 ans auparavant.

Jackie Robinson était une étoile du sport à l'Université de la Californie à Los Angeles. Il était donc plus cultivé que la moyenne de sa race. Né en 1918 à Cairo, en Georgie, il devenait professionnel à l'âge de 16 ans dans la Ligue Professionnelle des Noirs, en 1935. De plus, il avait participé à la Deuxième Guerre Mondiale. Avant de signer pour les Royaux à l'automne 1945, il jouait pour les Monarchs de Kansas City de la Ligue des Noirs.

Le camp d'entraînement

Au camp d'entraînement des Royaux, Jackie Robinson n'était pas le seul joueur de couleur. Un lanceur de la Ligue des Noirs s'était aussi joint aux Royaux, soit John Wright. Ce dernier était né en 1919 à la Nouvelle-Orléans, en Louisianne. Lui aussi avait commencé sa carrière professionnelle en 1935. Ainsi, il serait plus facile à ces deux joueurs de passer le test que d'être seul.

Le véritable test pour ces deux joueurs fut le camp d'entraînement. La première partie du camp se déroula à Sanford, en Floride, pour ensuite se transporter à Daytona Beach. Branch Rickey, le propriétaire des Dodgers et des Royaux, voulait vraiment donner satisfaction à ses deux joueurs noirs. Le gérant, Clay Hopper, fit tout en son possible pour satisfaire son patron, mais ce ne fut pas toujours possible.Pour Robinson, le camp d'entraînement représentait un énorme défi. Il devait dire, pendant le camp: " Je ne me dépense pas pour un salaire. C'est pour une cause qui m'est chère." Ce n'était pas seulement de faire l'équipe des Royaux, mais prouver que lui un Noir pouvait faire une équipe de Blancs malgré les préjugés.

Durant le camp, Robinson et Wright n'avait pas accès au vestiaire du club, entre autres raisons, à cause du grand nombre de joueurs présents au camp. Cependant, d'après Robinson, la grande majorité des joueurs leur étaient sympathiques.Le plus gros problème fut l'accès à certains terrains durant les parties pré-saison. Les Royaux se virent refuser le droit de jouer à Jacksonville à cause d'un règlement municipal qui interdisait aux Blancs de jouer avec des Noirs. Il en fut de même à Sanford (après le départ des Royaux pour Daytona Beach), à Savannah (Georgie) et Richmond (Virginie). Les Royaux durent jouer presque toutes leurs parties à Daytona contre les Dodgers qui avaient leur camp aussi à cet endroit. En fait, on acceptait les Royaux si leurs deux joueurs de couleur n'y étaient pas. La direction du club refusa de se départir de ses joueurs et elle montrait ainsi son soutien à Robinson et Wright.

La saison 1946

Dès le début du camp, Léo Durocher, gérant des Dodgers, prédisait que seul Wright ferait l'équipe des Royaux. Pour leur match d'ouverture le 18 avril 1946, les Royaux alignaient Wright et Robinson. Ce dernier fit sensation en claquant un circuit et trois autres coups sûrs en cinq présence au bâton, en plus de compter quatre points et d'en produire autant. Pour un départ dans le baseball des Blancs, c'en était tout un! D'ailleurs, Robinson frappa un coup sûr dans chacun des cinq premiers matchs de la saison.

John Wright, pour sa part, lança en relève le 24 avril. Il ne fit pas bonne impression, allouant trois points et 3 1/3 manches. De fait, il ne termina pas la saison avec les Royaux. Durant les deux premières semaines du calendrier, les Royaux étaient sur la route. Aucun incident impliquant Robinson ou Wright ne fut rapporté par les journaux. Le 1er mai, les Royaux ouvraient leur saison locale au Stade Delorimier. Robinson était le point de mire des journalistes locaux et de la foule.

Jackie Robinson termina la saison avec une moyenne de .349, soit 155 coups sûrs en 444 présences au bâton. De ces 155 coups sûrs, 25 furent des doubles, 8 des triples et il frappa 3 coups de circuit, pour une moyenne de puissance de .462. Il remporta le championnat des frappeurs de la Ligue Internationale, un exploit très important pour la future carrière de Robinson. De plus, il compta 113 points, en produisit 65 et vola 40 buts.

Les Royaux de Montréal affrontaient les Chiefs de Syracuse en finale de la Ligue Internationale. L'équipe de Montréal remporta la série en six parties, et Robinson fut l'un des artisans de ces victoires. Mais il devait s'illustrer beaucoup plus lors de la Petite Série Mondiale alors que les Royaux disputaient la victoire aux Colonels de Louiseville, les champions de l'Association Américaine, autre ligue de calibre AAA.

Les trois premières parties eurent lieu à Louiseville, au Kentucky, et les quatre suivantes se dérouleraient à Montréal. Les Royaux ne remportèrent qu'une seule partie à Louiseville, grâce au point produit victorieux de Robinson. Montréal gagna ensuite la série de championnat de calibre AAA en six parties. Robinson produisait deux autres points gagnants pour devenir l'un des responsables de la victoire des Royaux. C'était la première victoire des Royaux à la Petite Série Mondiale, et la deuxième d'une équipe canadienne puisque Toronto l'avait emportée en 1927.

A Louiseville, Robinson dût surmonter les huées des spectateurs tout au long des trois premières parties. Ses coéquipiers et son gérant dirent qu'eux-mêmes n'auraient pu supporter ces huées sans réagir, comme l'a fait Robinson. Il obtenait ainsi le support de tous ses coéquipiers. Cependant, le début de saison n'était pas aussi facile. Clay Hopper rapportait, après une semaine du calendrier régulier, que seulement un joueur blanc du sud n'aimait pas Robinson avec les Royaux, alors qu'au camp d'entraînement, trois autres joueurs du sud ne voulaient pas de Robinson avec eux. Ces trois derniers étaient devenus ses plus ardents défenseurs au début de la saison. Ainsi, Jackie Robinson avait tellement impressionné ses coéquipiers par son jeu et son comportement en-dehors du terrain qu'il avait fait tomber les préjugés que d'autres pouvaient avoir de lui. D'ailleurs, Clay Hopper lui avait conseillé de ne jamais discuter des décisions avec les arbitres ni de répondre aux attaques verbales des joueurs des autres équipes, donc de se tenir loin de toutes contreverses. C'est ce conseil qu'il suivit tout au long de la saison 1946.

Conclusion

Jackie Robinson était donc l'homme du destin pour défoncer les barrières raciales du baseball tant par son comportement que par son jeu. Il prouvait qu'il était aussi bon, sinon meilleur, que n'importe qui dans le AAA, et qu'il avait sa place dans les majeures. Branch Rickey avait pris une excellente décision en embauchant Robinson pour les Royaux d'abord avant de l'emmener avec ses Dodgers de Brooklyn. Le reste, c'est de l'histoire connue, alors que la saison 1946 l'est beaucoup moins.