Dès le son de la cloche marquant la fin du 12e engagement, personne ne se berçait d’illusions dans le camp d’Eleider Alvarez. Tous avaient constaté à quel point celui qui portait alors la ceinture WBO des mi-lourds n’a pas boxé à la hauteur de son talent, comme on le lui a reproché quelques fois au cours de sa carrière. Si auparavant Alvarez en faisait assez pour mériter la faveur des juges, cette fois c’était flagrant que ce n’en était pas le cas. À l’unanimité, les juges ont redonné la ceinture à Sergey Kovalev. Du même coup, le Groupe Yvon Michel perdrait un autre titre mondial en quelques mois, après celui que détenait Adonis Stevenson jusqu’au 1er décembre dernier.

Pourtant, comme l’indiquait Marc Ramsay aux journalistes après le combat, Kovalev n’a pas été meilleur que lors du duel survenu à Atlantic City six mois plus tôt, où il avait mené le début du duel avant d’être foudroyé à trois reprises au 7e round par un aspirant affamé par des années de frustrations. L’entraîneur québécois estime que samedi, son protégé a arrêté de se déplacer dès le 2e round, qu’il est devenu rapidement statique et que les contre-attaques se limitaient à un seul coup, plutôt que par combinaisons. Pendant l’affrontement, l’analyste Stéphan Larouche a trouvé la meilleure formule pour résumer le duel : « On a un Kovalev qui exécute une stratégie et un Alvarez qui regarde le combat. » 

La stratégie d'Alvarez était pourtant de mettre de la pression dès le 4e ou le 5e round a précisé Marc Ramsay après le combat. Mais les choses ne se sont pas déroulées ainsi. On a même entendu Ramsay indiquer à son boxeur après le 9e round qu'il venait de livrer «un round de paresseux! »

Comment expliquer cette timide sortie d’Alvarez, malgré un camp d’entraînement meilleur que le précédent, dans son pays natal, la Colombie, avec son partenaire Oscar Rivas, étincelant pour sa part il y a quelques semaines contre Bryant Jennings?

Alvarez a probablement cru que Kovalev s’effondrerait dès la première frappe puissante qu’il recevrait, bercé par l’illusion qu’il était devenu une machine à K.-O., alors qu’il était en réalité le champion actif au plus faible ratio de mises hors de combat dans toutes les catégories supérieures à 130 livres! Si c’est le cas, rappelons qu’il n’était pas le seul à y croire, car plusieurs observateurs, et j’en suis, croyaient qu’Alvarez remporterait ce combat revanche assez facilement.

Sur le ring, Alvarez ne cherchait pas d’excuses et se disait déçu d’avoir déçu ceux qui ont cru en lui. Malgré la déception généralisée, et même si un travail d’introspection sera effectué par toute son équipe, Eleider Alvarez peut garder la tête haute. Il a redonné son titre à un boxeur qui, en devenant champion pour une troisième fois, accèdera probablement un jour au Temple de la renommée de la boxe internationale.

La suite

Pour l’instant, on ne peut prédire à quoi ressembleront les prochains mois pour Eleider Alvarez. Même s’il a raté une lucrative opportunité avec ESPN, il demeure un bon client pour un rival qui se cherche un adversaire valable, avec son statut d’ancien champion du monde, vainqueur de Sergey Kovalev, le temps d’une soirée.

Quant à Kovalev, il a accepté le nom d’Artur Beterbiev comme adversaire potentiel, qui lui a été suggéré sur le ring lors de l’entrevue d’après-combat. On salive depuis déjà longtemps à l’idée de ce duel d’unification entre deux boxeurs russes qui se sont déjà affrontés en boxe amateur. De plus, le choc Kovalev-Beterbiev se veut logique en vertu des ententes contractuelles en place.

Malgré sa fiche parfaite, et malgré les succès qu’il a eus face à Kovalev dans les rangs amateurs, Beterbiev n’est pas infaillible, lui qui s’est déjà retrouvé au tapis. Quant à Kovalev, il a montré samedi soir qu’il peut boxer de manière intelligente, simple, dangereuse et efficace. Si plusieurs rounds ont été assez partagés, légèrement à l’avantage de Kovalev, on sentait qu’il devenait plus fort, plus le combat avançait. Il a particulièrement été brillant lors des rounds de championnat, alors qu’il a utilisé toute son expérience pour ralentir les assauts pressentis d’Alvarez, en forçant à de multiples reprises l’intervention de l’arbitre Luis Pabon.

Kovalev a aussi réitéré qu’il avait été victime de surentraînement avant son premier duel contre Alvarez et ce qu’on a vu hier tend à lui donner raison. Quand on ajoute à cette fatigue les événements de violence présumés qui lui sont reprochés et qui se seraient déroulés au mois de juin, on peut comprendre qu’en effet, le Russe de 35 ans n’était pas dans les meilleures dispositions à Atlantic City.

Cela n’enlève rien au titre mondial qu’Eleider Alvarez avait alors conquis. Et cela n’enlève rien aux chances d’Alvarez de redevenir un jour champion.