Par Alban Quénoi - Après une saison couronnée de succès, le jeune Finlandais Joona Sotala est entré dans l’histoire samedi soir en remportant les WCS Global Finals. Une domination quasiment jamais vue durant l’ère de Starcraft 2, et qui plus est par un joueur ne provenant pas de Corée du Sud.

La fête de l’esports cette fin de semaine

 

C’était une des fins de semaine les plus chargées de l’année en esports. La finale des championnats du monde de League of Legends a couronné les Chinois d’Invictus Gaming, une première pour le pays, démolissant au passage le rêve de voir Fnatic soulever à nouveau la coupe de l’invocateur. Une autre discipline dans laquelle la suprématie coréenne a été ébranlée. Bien entendu, il se déroulait également durant la BlizzCon toutes les autres compétitions majeures des licences de Blizzard, dont la Coupe du Monde d’Overwatch où les Coréens sont restés les seuls maîtres à bord avec un troisième titre de rang.

 

Mais l’exploit réalisé par Serral samedi, et surtout sur l’ensemble de la saison, est sans commune mesure.

 

Les Terrans approximatifs

 

La première phase de groupe jouée une semaine plus tôt avait donné lieu à relativement peu de surprises. Les étoiles s’alignaient pour la rencontre tant attendue entre le petit prince des Terran Cho “Maru” Seong-ju et l’espoir foreigner Serral, tout deux dominant de la tête et des épaules leur propre groupe 4-0. L’Américain Alex "Neeb" Sunderhaft n’a pas démérité, mais a terminé troisième d’un groupe comportant les deux finalistes de la dernière GSL. Seul le Mexicain Juan Carlos "SpeCial" Tena Lopez s’extirpait de son groupe tout comme l’an passé, le reste des quarts de finale étant comme d’habitude rempli par des Sud-Coréens.

 

Premier match de quart de finale et premier coup de tonnerre : Kim "sOs" Yoo Jin élimine Maru par un 3-0 brutal, privant ainsi les amateurs de la rencontre tant attendue face à Serral. Pas une si grande surprise toutefois, sOs étant le joueur le plus titré dans la compétition avec deux BlizzCon, et surtout coéquipier de Maru, les adversaires se connaissaient sur le bout des doigts. Les stratégies très agressives à base de proxy barracks, quasiment rendues standard par Maru, ne l’auront donc pas porté plus loin, ni même SpeCial qui s’est heurté à un Stats des grands jours. TY dut également s’incliner sur le fil face au champion en titre Rogue, laissant s’éteindre le dernier espoir Terran de la compétition. De son côté, Serral écoeurait un Dark ne trouvant aucune faille dans le jeu du Finlandais.

 

 

Les trois Terrans hors piste, les demi-finales proposaient deux matchs miroir. Si la correction infligée par sOs sur le favori était choquante, la maîtrise du Protoss contre Protoss de Stats le fut tout autant. Ce dernier n’a laissé aucune chance à son adversaire, infligeant un autre sévère 3-0. De l’autre côté de l’arbre, c’est à une sorte de passation de pouvoir à laquelle on a pu assister entre Serral et Lee "Rogue" Byung Ryul, vainqueur des WCS Global Finals en 2017. Le Sud-Coréen a d’ailleurs été le premier adversaire du tournoi à remporter une carte face au Finlandais, mais c’est le seul point qu’il aura pu prendre du match. Rogue s’incline 3-1, pour laisser passer pour la première fois de l’histoire du circuit WCS un joueur autre que sud-coréen en finale.

 

 

Finale viscérale

 

Si la déception fut grande de ne pouvoir voir le quadruple champion des étapes WCS Serral se mesurer au triple vainqueur de GSL Maru, cette finale s’annonçait tout de même dantesque. Serral face à Stats, l’affiche faisait écho à la GSL vs The World, tournoi remporté trois mois plus tôt par le Finlandais de justesse 4-3, qui résonna comme un avertissement clair quant au niveau atteint par Serral cette année. Et poussé par le public de la BlizzCon, le Scandinave a enfoncé le clou encore plus fort, enchainant rapidement trois manches. Une défense incroyable, un multitâche implacable, Serral est plus solide, plus rapide, plus complet que son adversaire. En somme, le Zerg parfait, au point de surpasser ses adversaires sur la fameuse statistique d’APM, marque de fabrique des joueurs coréens. Cependant, les manches 4 et 5 firent un instant douter le public de la BlizzCon. Stats varie son jeu, et surtout gère parfaitement les vagues d’assaut des essaimeurs adverses. L’élan du joueur de ENCE eSports est brisé, et dans une discipline comme Starcraft II, le momentum est primordial.

 

Comme souvent lors d’une finale de Starcraft 2, les deux protagonistes nous emmenèrent dans une très longue partie en sixième manche, ne prenant que peu de risques et offrant une joute de presque 27mn opposant les armées aériennes Zerg et Protoss. Mais fidèle à son habitude, Serral gratte, rogne patiemment son adversaire jusqu’à l’épuisement. Entre défense intransigeante et pression constante, Stats finit par vider ses réserves, et l’ultime abduct sur son vaisseau-mère sonnera le glas du joueur Protoss, et avec lui une domination sans partage de la Corée du Sud sur près de 8 ans.

 

 

Serral, premier Bonjwa de Starcraft II?

 

Serral signe ici une victoire marquante à de multiples égards. En effet, si Brood War a connu ses fameux “Bonjwa”, à savoir des joueurs ayant connu une domination marquante de la scène compétitive, personne n’a su se mériter un tel titre durant l’ère du second opus. Bien entendu, de grands noms sont gravés sur le trophée, comme Jung "Mvp" Jong Hyun et ses 4 GSL en plus de la Blizzcon 2011. Mais bien peu de joueurs ont été capable d’une telle constance dans leurs résultats, et encore moins né en dehors de la Corée. Bien sûr, on peut pointer du doigt le déclin de la scène compétitive coréenne suite à l’effondrement de la Proleague, comme un facteur pesant plus lourd dans la réduction de l’écart entre Corée et Occident, plutôt qu’une réelle montée en niveau des foreigners. En attendant, la prochaine saison promet d’être palpitante. L’un des rares adversaires à avoir su pousser Serral dans ses derniers retranchements cette année fut Raynor, Italien de 16 printemps menant le Finlandais en septième manche à Montréal… La relève est là.

 

Souvent laissé pour mort au champ de bataille de l’esports, Starcraft II s’offre une seconde jeunesse, avec des audiences à la hausse, et un total sur Twitch passant les 150 000 spectateurs simultanés. Un score que le jeu n’avait plus atteint depuis 2012.

 

Blizzard de son côté n’a strictement rien annoncé de neuf pour la franchise : même pas une bande annonce pour le prochain commandant à débarquer dans le mode coop, le nouveau président de la compagnie J Allen Brack a simplement évoqué la recherche de l’IA DeepMind par Google, qui continue à étudier le jeu. Un silence assez triste pour les vingt ans de la franchise. Son seul cadeau sera finalement celui d’un jeune Finlandais, qui vit le jour le 22 mars 1998, soit neuf jour avant la sortie du titre qui changera le cours de sa vie, Starcraft premier du nom.

 

Warcraft III: Reforged

 

Ah, si, une annonce pas si lointaine a ravi de nombreux fans samedi. À la pointe de l’écologie, Blizzard poursuit son recyclage avec un dépoussiérage de Warcraft III nommé Reforged, tout comme le traitement qu’avait subi Starcraft avec son Remastered. Modélisation retravaillée, textures 4K, cinématiques mises à jour, Warcraft III devrait connaître une seconde jeunesse en 2019, d’autant plus qu’il subira un rééquilibrage de son gameplay, contrairement à Brood War qui avait été laissé intact, en monstre sacré. De là à voir une renaissance de sa scène compétitive, il y a un long chemin à parcourir. Mais cet incontournable de la stratégie en temps réel, père accidentel des MOBAS actuels, devrait attirer bon nombre de joueurs nostalgiques, mais aussi peut-être de nouveaux joueurs rodés au maniement d’un héros de MOBA et qui n’aurait jamais goûté au charme d’un STR. Réponse en 2019, date annoncée sans plus de précision, hormis les précommandes déjà disponibles bien évidemment.