Même si l'on savait que la santé de Don Matthews n'était pas à son mieux, c'est toujours un choc d'apprendre le départ de quelqu'un que l'on connaît bien et avec qui l'on a vécu des choses assez fortes.

Don avait déjà combattu un cancer et il était revenu avec les Alouettes pour agir comme conseilleur au propriétaire Robert Wetenhall pendant quelques années. On a vu qu'il avait dépéri ces dernières années, mais il faut dire que c'était un homme qui a vécu à 100 milles à l'heure et qui ne faisait pas attention à son alimentation ou encore à ce qu'il buvait.

Ça n'a pas toujours été facile avec Don, mais je ne garde que de bons souvenirs. Il a été mon premier entraîneur dans la LCF et je peux vous dire qu'il n'affectionnait pas particulièrement les recrues. Avec lui, chaque joueur devait mériter son respect, peu importe son statut dans le club. Il fallait que tu lui prouves que tu étais prêt à donner tout ce que tu avais pour lui. Les choses n'ont pas toujours été faciles. Au début, il ne m'adressait pas la parole, mais dès ma deuxième année, j'ai eu le sentiment que j'étais l'un de ses gars, l'un de ses joueurs, l'un de ses soldats. Je m'étais présenté au camp blessé et Don était venu me voir pour me dire de prendre mon temps afin de bien guérir. Il me faisait un brin de jasette et me demandait même mon opinion sur certains joueurs. C'est à partir de ce moment que j'ai compris que je faisais partie de sa gang et j'en étais très honoré.

Don Matthews a été le dernier entraîneur de la vieille école que la Ligue canadienne a connue. Il était un tough. Il menait son équipe d'une main de fer en étant arrogant, baveux et intransigeant. Il était du genre à laisser ses joueurs faire ce qu'ils voulaient les jours précédant un match. Les gars pouvaient faire la fête si ça leur chantait, mais le jour du match, les joueurs avaient intérêt à être prêts. Ce qui a fait en sorte que certains joueurs s'éliminaient d'eux-mêmes. Ils faisaient la fête la semaine en croyant que c'était la belle vie à Montréal et ils finissaient par se faire couper parce qu'ils ne livraient pas la marchandise. C'était un peu comme le processus de sélection naturelle.

Avec lui, on allait à la guerre. C'est lui qui employait le terme guerre pour désigner les matchs. Les joueurs étaient soit avec lui pour se battre ou soit ils quittaient le navire. C'était un coach de la vieille époque, mais il était quand même près de ses joueurs, ce qui est un peu contradictoire par rapport à ce que j'ai relaté plus haut.

Il est le seul coach de la vieille époque pour lequel j'ai joué. Autant il pouvait te rentrer dans le mur quand tu ne jouais pas à son goût, autant il était prêt à te défendre à la vie à la mort quand tu gagnais son respect. Comme joueur, c'était comme si tu faisais partie de sa milice personnelle.

Les médias disaient qu'ils n'aimaient pas Don Matthews, mais c'est la même raison qui faisait que les joueurs l'aimaient parce qu'il allait au front pour eux. Pour les joueurs, il était un entraîneur extraordinaire. Il disait tout le temps, « It's us againt the world. » C'est cette philosophie qu'il voulait inculquer dans l'esprit de ses joueurs. Il disait, « Tout le monde est contre nous. Les médias veulent qu'on perde, l'autre équipe a dit ceci ou cela, mais nous, on s'en fout parce que nous allons sauter sur le terrain pour leur sacrer une volée. »

Il n'était pas un leader intellectuel ou technicien, mais il connaissait très bien son football et il pouvait défier n'importe quel plan de match. Son approche était plus émotive et il savait comment venir chercher cette fibre en toi qui te donnait le goût d'aller à la guerre pour lui. Il te donnait le goût de se battre pour le gars à ta gauche ou à ta droite. On savait que les coéquipiers qui jouaient sous les ordres de Don allaient aussi se défoncer match après match.

Il est l'un de plus grands de l'histoire du football canadien pour ses résultats et pour son influence. Quand on regarde son arbre (coaching tree comme on dit en terme de football), il y en a plusieurs qui ont oeuvré sous ses ordres et qui sont devenus d'excellents entraîneurs. On peut penser à Chris Jones, Noel Thorpe et Mike O'Shea notamment. Il y en a tellement eu que son héritage va se faire sentir pendant longtemps.

*propos recueillis par Robert Latendresse