Dans un contexte où les amateurs de sports sont privés d'événements diffusés en direct depuis près de deux mois, il était bien plaisant de pouvoir suivre en temps réel le repêchage de la LCF, jeudi soir.

Avant de me pencher sur les prises réalisées par les Alouettes et leur nouveau directeur général Danny Maciocia, je veux avant tout féliciter les 11 athlètes issus des universités québécoises ayant été sélectionnés. On parle de trois joueurs provenant de l'Université Laval, trois de l'Université de Montréal, le même nombre de l'Université Concordia, ainsi que deux de l'Université McGill.

Le repêchage, c'est un élément primordial afin de bâtir l'avenir de son équipe. Ça permet de préparer la relève et de faire le plein de talent à moindre coût, étant donné le statut de recrues des joueurs réclamés.

Beaucoup s'amusent à attribuer des notes aux équipes dès la conclusion de l'exercice. Mais il n'en demeure pas moins que c'est dans deux, trois, voire même quatre ans qu'on aura un réel portrait d'ensemble de l'efficacité du repêchage de chacun des neuf clubs.

Compte tenu du quota de sept partants canadiens qui doit être comblé au sein de chaque formation, la dynamique du repêchage dans la LCF est assez unique. De tirer des conclusions hâtives ne servirait donc à rien.

Chez les Alouettes, on peut facilement s'imaginer que trois ou quatre joueurs de la ligne offensive seront des athlètes canadiens. Possiblement un centre-arrière, un ailier espacé, un demi défensif (Taylor Loffler, si sa santé le lui permet) et le secondeur Henoc Muamba. J'imagine aussi que l'état-major compte avoir un plaqueur défensif canadien. C'est donc à ces positions que tu dois songer en premier dans l'idée d'ajouter de la profondeur, mais aussi pour créer une compétition.

En plus, si tu ne possèdes pas de profondeur canadienne aux positions où les joueurs d'ici sont partants, ça devient potentiellement un casse-tête à résoudre pour les instructeurs. Soudainement, dans le cas d'une blessure subie par un partant canadien, tu dois retirer un Américain de l'équation afin de respecter le ratio de joueurs canadiens. Il y a un potentiel de déséquilibre évident. En ayant de la profondeur canadienne, le jeu de la chaise musicale est évité.

Le regretté Don Matthews avait compris cette réalité mieux que la plupart des entraîneurs de la LCF. Son équipe était régulièrement composée de 10 partants canadiens. Il avait de bons joueurs d'ici - c'est certain que ça aide - et de l'autre côté, il misait sur des réservistes américains « de luxe ».

Les Als ont ciblé des positions sur le marché de l'autonomie et lors du repêchage de jeudi, et il en résultera un climat où chacun donne le meilleur de lui-même.

Une récolte des Als à saveur locale

Danny Maciocia nous avait en quelque chose dévoilé son plan et personne n'en était bien étonné : les Oiseaux allaient être prêts à se tourner vers des joueurs locaux si le déroulement du repêchage le permettait.

Les couleurs avaient été annoncées et on peut dire que les bottines ont suivi les babines! Sur les 10 joueurs réclamés par les Als, cinq sont issus du RSEQ. On parle de trois joueurs des Carabins, et de deux des Stingers.

Quelles sont les raisons exactement de se tourner vers les produits locaux? Je vous en propose quelques-unes.

1) Ce sont des joueurs qui vont passer l'année au complet à Montréal. 

Il y a beau y avoir une saison morte, ces gars-là demeurent ici à l'année longue. Ça leur permet d'être disponibles pour les programmes communautaires, qui sont primordaux afin d'établir des liens avec la population. Il y a un élément de sentiment d'appartenance qui joue, tant sur le terrain qu'hors terrain.

Cela dit, il ne faut pas passer sous silence le fait que des Américains font le choix de demeurer ici, et ce 12 mois par année. C'est le cas du secondeur John Bowman, qui a fait de Montréal son domicile. Je ne veux surtout pas oublier ces Américains, qui s'installent et souhaitent faire une différence dans leur nouvelle communauté.

2) Ils auront envie de passer plusieurs saisons à Montréal.

Il n'y a rien de pire pour une équipe de la LCF de repêcher un jour et de commencer son développement pour ensuite le voir quitter vers d'autres cieux afin de connaître ses meilleures saisons de football avec un club rival. Exemple : un joueur natif de Vancouver réclamé par les Alouettes pourrait très bien choisir, après deux campagnes ayant permis de solidifier son statut dans la ligue, qu'il a envie d'aller s'établir à la maison et de signer son 2e contrat avec les Lions de la Colombie-Britannique.

La réalité de la LCF, c'est que les salaires sont passablement moindres qu'au sud de la frontière. Les athlètes songent déjà à préparer leur après-carrière, et à l'endroit où ils aimeraient fonder une famille. On ne peut d'ailleurs pas les blâmer, étant donné la longueur moyenne d'une carrière de joueur de football. Ils ont conservé des liens étroits avec des instructeurs provenant de leur province natale; ce n'est pas surprenant qu'ils sentent l'attrait d'y retourner.

3) Le processus d'évaluation a été incomplet cette année.

Avec le déclenchement de la crise du coronavirus, les différentes équipes de recrutement n'ont pas pu compléter leurs fiches de préparation de chaque joueur admissible au repêchage. 

Il n'y a pas de camp d'évaluation, ni de journée de type Pro Day. Je comprends qu'il soit possible d'étudier assidument les bandes vidéos et d'effectuer des entrevues téléphoniques, mais il n'en demeure pas moins que la solution la plus logique est de se tourner vers les athlètes que tu as vu évoluer directement dans ta cour à l'automne dernier. Tu as pu les côtoyer, faire le « test du coup d'oeil » (eyeball test) et confirmer des choses quant à leur attitude.

Dans le cas de Maciocia et des trois espoirs des Carabins sélectionnés jeudi, il a fait encore mieux; il les a dirigés! Et dans le cas de ceux des Stingers, il a coaché contre eux et préparé son équipe à les affronter. Nul doute dans mon esprit qu'il a pu bénéficier des précisions de Brad Collinson, l'entraîneur-chef de Concordia. 

4) C'est plus vendeur auprès d'une grande partie des partisans.

Je prêche un peu pour ma paroisse ici, mais c'est certainement plus plaisant d'entendre s'exprimer sur les ondes de RDS un joueur francophone que de s'en tenir à des sous-titres. Parfois, la traduction, ça ne donne pas toute l'essence des propos en entrevue.

Les fleurs et le pot en même temps!

Je suis de ceux qui étaient bien contents de voir les Alouettes réclamer le demi défensif Marc-Antoine Dequoy avec leur 1er choix du repêchage, le 14e au total.

Lorsqu'on y pense, c'est toujours un peu particulier de voir un club sélectionner un athlète qui vient tout juste de s'entendre avec une équipe de la NFL en tant que joueur autonome. D'une part, on reconnaît toute l'étendue de son talent, et de l'autre, qu'on le veuille ou non il y a un certain sous-entendu quant aux chances qu'on lui accorde de se tailler un poste du côté américain.

C'est comme si on disait au joueur : « On pense que tu es vraiment bon et on te veut avec nous... car on ne croit pas que l'aventure de la NFL fonctionnera. » Les Eskimos d'Edmonton avaient employé une stratégie semblable avec Matthieu Betts en 1re ronde l'an dernier, ce dernier s'étant entendu avec les Bears de Chicago quelques heures après le repêchage. On peut dire que ce sont des dynamiques un peu étranges. C'est comme recevoir les fleurs et le pot en même temps!

Pour des joueurs réclamés lors des deux ou trois premières rondes, il y a un calcul souvent loin d'être scientifique qui doit se faire pour évaluer le ratio risque/récompense. D'un côté, tu souhaites faire l'ajout de joueurs d'impact, et de l'autre, tu aimerais posséder un minimum de certitude qu'il pourra un jour aider ta formation, de manière à ce que ce ne soit pas un choix gaspillé.

Le fait qu'il se soit entendu avec les Packers de Green Bay récemment a assurément contribué à faire glisser Dequoy jusqu'au 14e choix au total, sans quoi il aurait sûrement trouvé preneur parmi les neuf premiers.

Dequoy et O'Donnell : le ratio risque-récompense

Loin de moi l'idée d'exprimer des doutes sur les chances de Marc-Antoine Dequoy de convaincre les Packers à leur prochain camp d'entraînement et de faire sa place au sein de l'organisation. Je suis plutôt du genre à saluer sa détermination à se prouver et à aller au bout de son rêve de jouer avec les meilleurs au monde. 

D'un autre côté, j'ai envie d'exposer quelques conditions qui pourraient influencer d'une façon ou d'une autre la lutte qu'il livrera pour une place à Green Bay. Je ferai du même coup l'exercice avec le joueur de la ligne offensive Carter O'Donnell, que Maciocia a sélectionné avec le choix de 3e ronde des Alouettes. Ce dernier a paraphé un contrat avec les Colts d'Indianapolis la fin de semaine dernière.

D'une part, considérons qu'à la conclusion du repêchage, les Packers ont mis sous contrat 15 joueurs autonomes non-repêchés. Du lot, il y avait un total de cinq demis défensifs, dont Marc-Antoine Dequoy. Ils ont également réclamé un joueur à cette position en fin de repêchage. C'est donc six nouveaux joueurs qui s'ajoutent au portrait. Pas évident!

Le montant consenti à la signature est aussi une façon de deviner l'intérêt d'une équipe pour un joueur autonome. Dans le cas de Marc-Antoine, l'information n'a pas été dévoilée. Règle générale, on dira qu'il ne s'agit donc pas d'une somme significative. Ça sert d'indice, puisque plus tu investis dans un joueur, plus ça fait mal de le retrancher au camp. C'est le côté « business » de la chose.

Ensuite, on peut chercher à savoir si l'équipe considère le joueur comme un projet à long terme. Le problème dans le cas de Marc-Antoine Dequoy, c'est qu'il est déjà âgé de 25 ans, et qu'il aura 26 ans au début de la saison 2020. 

Dequoy possède un talent athlétique formidable, c'est indéniable. Ayant joué dans le Usports, il a encore un nombre considérable de choses à apprendre relativement au jeu préconisé dans la NFL. Les Packers peuvent-ils consacrer du temps à le développer, ou souhaiteront-ils allouer du temps à un ses compétiteurs âgés de 21 ou 22 ans? En guise de d'exemple, Laurent Duvernay-Tardif avait 23 ans lors de sa 1re année avec les Chiefs de Kansas City. 

Ce qu'il y a de cruel avec les joueurs autonomes non-repêchés, c'est qu'ils doivent faire la preuve hors de tout doute raisonnable qu'ils « peuvent jouer ». Il faut créer un effet « wow » immédiat, et le moindre faux-pas peut tout faire dérailler. Pour les joueurs repêchés par la même équipe, surtout les hauts choix, c'est pratiquement l'inverse. Il faut qu'ils fassent la preuve, à répétition, qu'ils « ne peuvent pas jouer ». Les chances de s'illustrer seront passablement plus grandes, au chapitre des répétitions.

Et comme si ces conditions difficiles n'étaient pas suffisantes, le contexte actuel fait en sorte qu'il est impossible pour les joueurs non-repêchés d'aller passer du temps dans les installations avec les entraîneurs de leur équipe, de manière notamment à se familiariser avec le livre de jeux. Ça complique la donne davantage.

De son côté, Carter O'Donnell a été réclamé avec le 22e choix au total par les Alouettes. Un joueur originaire de Red Deer en Alberta, O'Donnell est probablement un des meilleurs joueurs de ligne offensive de ce repêchage. 

On pourrait être tenté de croire que la pente qui se dresse devant lui chez les Colts est moins ardue que celle qui attend Dequoy.

À 21 ans seulement, O'Donnell cadre mieux avec la définition traditionnelle d'un projet de développement. Son âge y est pour quelque chose, et aussi la somme non négligeable de 25 000 $ qui lui a été consentie au moment de la signature de son contrat. Il a aussi été le seul joueur de ligne à l'attaque mis sous contrat par Indy après l'encan amateur.

Ce ne sont que des indices, j'insiste sur ce mot, et ça ne dresse pas un portrait noir sur blanc de la situation. Je ne veux pas être rabat-joie à l'endroit de Marc-Antoine Dequoy ou lancer une opinion sur ses chances d'accéder à la NFL. L'idée est simplement de comprendre ce qui peut avoir motivé les Als à lancer le dé en le réclamant avec la 14e sélection, jeudi soir.

Je le dis souvent : les hauts choix au repêchage de la LCF, ça peut facilement devenir un cadeau empoisonné. Avec Dequoy et O'Donnell, Maciocia a jugé que le risque était bon.

Si le rêve de ces deux excellents athlètes ne prend pas forme dans la NFL, ils en ressortiront néanmoins grandis en tant qu'individus et joueurs de football. Et surtout, ils ne vivront pas avec le regret ne pas avoir essayé. Ça, c'est inspirant!

« Danny est le coach qui me connaît le mieux »

* propos recueillis par Maxime Desroches