RDS présentera la première ronde du repêchage de la LCF ce soir à 20 h.

 

MONTRÉAL – Chris Getzlaf a constaté l’immense fossé qui séparait son repêchage dans la Ligue canadienne de football à celui de son frère dans la LNH, Éric Lapointe utilise l’expression « broche à foin » pour décrire son expérience, Larry Smith se souvient plutôt de la liasse de 20 $ qui a constitué son boni de 1000 $. Immersion dans l’univers de ce repêchage qui avait beaucoup de retard à rattraper.

 

Année après année, les histoires captivantes entourant le repêchage de la NFL ou de la LNH affluent dans les médias. Ça ne veut pas dire qu’elles sont inexistantes dans l’univers modeste de la LCF.

 

Getzlaf demeure sans doute le mieux placé pour comparer ces deux planètes. En 2003, son frère Ryan avait vécu l’immensité d’une sélection en première ronde devant des milliers de personnes. Quatre ans plus tard, Chris a failli apprendre la nouvelle, seul, au volant de son auto.

 

« Je me déplaçais vers la Californie pour aller voir mon frère. J’avais environ une heure de route à parcourir en auto entre l’aéroport et sa maison. J’étais au téléphone avec un bon ami qui me refilait les détails des sélections. Je m’attendais à sortir dans les deux premières rondes, mais le temps a passé et je me demandais quand ça finirait par arriver. C’est plutôt drôle, parce que j’ai finalement eu le temps de me rendre chez mon frère et j’ai pu apercevoir mon nom apparaître sur internet avec lui à mes côtés », s’est souvenu celui dont la déception a été amoindrie par le fait même.

 

Si l’on remonte un peu plus loin, en 1999, on constate que ce processus a effectué des pas de géant. Près de 20 ans plus tard, Lapointe demeure étonné par le contexte qui prévalait à l’époque.

 

« J’étais à la maison avec sept amis. Ce n’était pas télévisé, c’était vraiment broche à foin, tu attendais que ça sorte sur internet, mais un internet ultra slow. Un moment donné, j’ai reçu un appel d’Edmonton », a raconté Lapointe.

 

L’ancien porteur de ballon se souvient aussi que les étapes précédant le repêchage n’avaient rien de très sophistiqué. Aujourd’hui, le Combine (les tests physiques et sur le terrain) est nettement mieux ficelé. 

 

« C’était drôlement organisé à l’époque, il n’y avait aucune préparation psychologique non plus. On te lançait à froid du style "Tu te mets en bedaine et va sur le bench press" », a illustré Lapointe qui se souvient aussi d’avoir reçu la visite de deux représentants des Redskins et des Dolphins sans être familier avec les exercices à exécuter devant eux.

 

Même s’il avait mérité le trophée Hec-Crighton (le joueur par excellence du football universitaire canadien) à deux reprises, Lapointe a dû patienter jusqu’en troisième ronde. Le scénario était différent pour Éric Deslauriers en 2006. Receveur à l’Université Eastern Michigan, il n’avait pas de grandes attentes puisqu’il avait signifié son intérêt de poursuivre ses études et de tenter sa chance dans la NFL.

 

« On avait un entraînement et, quand je suis revenu au vestiaire, j’ai remarqué que j’avais manqué plusieurs appels. J’ai vu que mon père avait appelé quelque chose comme cinq fois. Je l’ai rappelé et il m’a appris la nouvelle. J’avais aussi un message des Alouettes », a expliqué Deslauriers sur lequel les Alouettes ont investi un choix de première ronde puisque rien ne pressait avec un certain Ben Cahoon dans la formation.

 

Mais, c’est en remontant encore plus dans le temps que l’on découvre les histoires les plus particulières. En 1972, Smith avait été choisi au premier rang et il n’a pas oublié l’appel d’un journaliste américain.

 

« Il me demandait de parler des similitudes entre ma situation et celle de Walt Patulski qui venait d’être le premier choix de la NFL. Je lui ai dit que ça ne se comparait pas, il a obtenu un boni de 100 000 $ contre 1000 $ pour moi », s’est souvenu Smith, en riant, qui était accompagné de son père pour la signature de son entente.

 

« Les clubs avaient un immense contrôle sur les joueurs à cette époque. On nous disait toujours qu’on allait nous échanger en Saskatchewan si on n’acceptait pas les offres qu’on recevait contrat après contrat », a lancé Smith qui était heureux de suivre les traces de ses idoles, Don Clark et George Dixon.

 

Rebondir quand on glisse au dernier rang

 

Comme dans n’importe quelle ligue professionnelle, le rang de sélection ne garantit rien. Luc Brodeur-Jourdain s’est tellement bâti une belle réputation en neuf ans de carrière que plusieurs partisans croient qu’il a été choisi dans le haut de sa cuvée en 2008.

 

Il a pourtant été le 48e et... dernier choix.

 

« J’avais eu une bonne carrière universitaire et j’étais classé dans les espoirs de la deuxième ou troisième ronde. Lors des évaluations à Toronto, j’avais été parmi les meilleurs à ma position dans tous les tests. Mais mes confrontations un contre un avaient été désastreuses donc on remettait en doute mes capacités à bouger et m’adapter à la vitesse de la LCF », a expliqué l’ancien garde qui a su adapter son arsenal et son physique en plus d’apprendre la position de centre.

 

La déception était donc considérable, mais imaginez quand vous devez vous préparer pour un examen universitaire en fin de journée.

 

« Il ne faut pas oublier que, pour la plupart des joueurs universitaires, le repêchage survient en fin de session. J’étais installé dans un local et je suivais le déroulement avec une fenêtre ouverte sur mon ordinateur. Je voyais les noms sortir et disons que l’euphorie ambiante baissait au fur et à mesure que ça continuait d’avancer », a évoqué le vétéran de 35 ans.

 

Brodeur-Jourdain rappelle d’ailleurs que Pierre-Luc Labbé, sélectionné juste avant lui au 47e rang, avait choisi le numéro 47 pour prouver qu’il aurait dû sortir plus vite. 

 

L’expérience avait été plus réjouissante pour Matthieu Proulx et Pierre Lavertu, deux autres anciens du Rouge et Or de l’Université Laval.

 

En 2014, Lavertu a été le tout premier choix, mais ça n’a pas empêché ses parents de ressentir un pincement au cœur.

 

« Ils étaient vraiment contents pour moi. D’un autre côté, le premier choix appartenait à Ottawa donc mes parents s’attendaient à ce que je poursuive ma carrière près de la maison, mais finalement, Calgary avait fait une transaction pour me sélectionner », a rappelé Lavertu qui a été forcé d’annoncer sa retraite en raison d’une grave blessure à une cheville. Au moins, il aura eu le temps de soulever la coupe Grey une fois et d’y participer à trois occasions.

 

Quant à Proulx, son nom a été prononcé dès le cinquième rang.

 

« C’est, très certainement, l’un des plus beaux jours de ma vie, le 28 avril 2005. Non seulement j’ai été repêché le matin, mais j’ai fini mon baccalauréat en droit en après-midi », a mentionné Proulx qui avait partagé ce moment avec l’un de ses meilleurs amis, Phillip Gauthier, que les Alouettes ont sélectionné au 16e échelon.

 

En 2005, la LCF ne publiait pas de classement des espoirs en vue du repêchage. Proulx ignorait donc que son niveau se classait parmi l’élite du pays. Il ne l’a découvert qu’aux évaluations nationales et les Alouettes ont procédé à une transaction pour le ravir aux Lions de la Colombie-Britannique qui avait discuté avec lui pendant une heure le matin du repêchage.

 

« J’aurais aimé jouer à Vancouver, mais c’était le plus beau cadeau du ciel que de pouvoir être repêché par les Alouettes. Ultimement, ils me permettent de vivre de ce métier, parce que j’ai joué à Montréal », a noté Proulx qui a délaissé le droit pour l’univers médiatique.

 

Les parents et l’entourage de Brodeur-Jourdain ont également savouré le dénouement.

 

« Ils étaient euphoriques et heureux que ça se produise à Montréal. C’est une bénédiction de la vie quand tu es repêché dans ton coin et de pouvoir jouer au sport que tu aimes tant sans devoir vivre un exil, une vie à temps partiel loin de chez toi. C’est une chance de la vie en tant que joueur. Pour moi, c’est encore exceptionnel à mes yeux de jouer pour les Alouettes, je n’ai jamais tenu ça pour acquis », a exprimé LBJ avec franchise.

 

Un encadrement parfois déficient

 

Tous les intervenants consultés ont reconnu que le plus grand choc survient après le repêchage. Du jour au lendemain, les joueurs sont laissés à eux-mêmes en faisant le saut chez les professionnels et un encadrement plus rigoureux serait sans doute bénéfique.

 

La réalité a frappé encore plus fort pour Lapointe étant donné qu’un nouvel entraîneur, Don Matthews, s’est amené avec Edmonton après le repêchage.

ContentId(3.1275519):Les 5 meilleurs espoirs au repêchage de la LCF 2018 selon le classement de la centrale de recrutement.
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« Je suis arrivé en pensant que j’étais leur choix, mais je n’étais pas celui de Don. J’attendais sur le bord du terrain et j’ai été placé comme cinquième centre arrière, ce qui n’était même pas ma position. J’avais des épaulettes trop larges pour moi et un chandail qui ne convenait pas non plus. Ces trois semaines-là, quand tu te sens ignoré, abandonné et dans l’incertitude complète, elles sont une de mes pires périodes à vie. Heureusement, Ron Lancaster est venu me chercher et tout s’est transformé en rêve. Je suis passé de ma pire situation à vie à ma plus belle quand on a gagné la coupe Grey en 1999 avec les Tiger-Cats », a confié Lapointe.

 

Les anciens joueurs sont également unanimes par rapport au développement de ce repêchage qui est maintenant partiellement présenté à la télévision. Ils s’entendent tous pour dire que la prochaine génération y gagnera, mais l’évolution ne doit pas s’arrêter là.

 

« À mon époque, en 1978, les recrues recevaient 21 $ par semaine durant le camp d’entraînement et c’est encore le même montant aujourd’hui », s’est amusé à soulever Miles Gorrell qui a été intronisé au Temple de la renommée du football canadien en 2013.

 

Avec la collaboration de Jean-Luc Legendre