MONTRÉAL – Son père devait être son héros, son inspiration. Eugene Lewis a plutôt été privé de ce privilège de petit garçon parce que son père a sombré dans la déchéance après avoir été repêché en deuxième ronde, en 1989, par le Jazz de l’Utah.

 

Junie Lewis a touché le fond du baril à une vitesse fulgurante. Lorsque le Jazz a déchiré son contrat devant ses yeux, il a plongé dans une spirale négative. Expatrié de l’autre côté de l’Atlantique pour jouer au basketball professionnel pendant quelques années, il a développé une dépendance à la drogue et à l’alcool.

 

De retour aux États-Unis, ses problèmes n’ont fait qu’empirer le menant jusqu’à la consommation de crack, la vie de sans-abri et la prison.

 

Pendant ce temps, Eugene Lewis a été élevé par sa mère. Celle qui a tout mis en oeuvre pour que ses enfants puissent tout faire dans la vie, sauf suivre l’exemple de leur père.Eugene Lewis

 

« Les choses ont commencé à mal virer quand j’étais enfant, il est devenu bien enfoncé dans la drogue et l’alcool. Je le voyais seulement à l’occasion, il était dans la rue. J’étais avec ma mère, mes deux frères et ma sœur. Elle avait deux emplois pour qu’on s’en sorte. C’est vraiment elle qui a bâti les fondations de mon existence. Elle m’a enseigné les bonnes choses à faire. C’était essentiel parce que ma vie aurait pu mal tourner d’un millier de façons », a raconté Eugene Lewis au RDS.ca avec une ouverture visant à lancer un message.

 

« Au départ, je ne voulais rien savoir de lui et de ses problèmes. Je ne comprenais tout simplement pas pourquoi il faisait ça. J’étais si jeune, c’était impossible de comprendre », a exposé Lewis qui est né en 1993 en Pennsylvanie.

 

Sa mère n’a eu d’autre choix que de le tenir loin de son père jusqu’à l’âge de 12 ans. À partir de ce moment, Junie Lewis a rebondi dans le droit chemin. Dans son cas, c’est grâce à un sermon d’un pasteur qu’il a eu le déclic et qu’il a pu retrouver une place dans le cœur de ses enfants.

 

« C’est là que les choses ont commencé à bien aller pour lui. Je suis déménagé avec mon père quand j’étais en septième année. Il s’est marié avec une autre femme, il a eu de nouveaux enfants et il est devenu pasteur à son tour », a expliqué le receveur des Alouettes de Montréal.

 

Aujourd’hui, Lewis est fier de son père qui aurait pu s’enfoncer encore plus profondément. Toutefois, il ressent un pincement au cœur quand il repense à son enfance. Cette époque a été terriblement pénible alors que tous les jeunes méritent de s’amuser et d’être aimés.

 

« Évidemment, c’était très difficile. En grandissant, j’ai réalisé à quel point une figure paternelle est importante pour le développement d’un enfant. Ma mère a fait de son mieux, mais elle ne pouvait rien pour ça. Quand mon père a replacé sa vie, il m’a instauré une certaine discipline pour que je puisse me rendre où je suis maintenant », a-t-il témoigné.

 

À défaut d’avoir pu compter sur son père pendant les onze premières années de son existence, il se console en pensant au bien que celui-ci a fait par la suite.

 

« J’avais beaucoup d’amis à l’école secondaire qui n’avaient pas leur père auprès d’eux. Mon père essayait donc d’aider de son mieux. C’est difficile de ne pas avoir son père dans sa vie, ça explique souvent pourquoi des jeunes finissent par mal tourner », a raconté le numéro 87.

 

À la rescousse des autres à un jeune âge

 

Dépossédé de la naïveté de son enfance très rapidement, Lewis a naturellement senti le besoin de venir à la rescousse de plusieurs camarades. Sa maturité s’est manifestée grâce aux conseils de sa mère.Eugene Lewis

 

« Puisque j’ai été entouré de personnes qui ont emprunté le mauvais chemin, j’ai toujours été prêt à faire n’importe quoi en mon pouvoir pour aider mes amis qui étaient dans le besoin. Ça pouvait aller jusqu’à les héberger chez moi tant que c’était nécessaire. Je le voyais, ces jeunes essayaient de trouver une manière de bien faire dans la vie, mais c’était comme s’il y avait trop de barrières sur le chemin. Ils étaient incapables de les franchir ou de les faire tomber. Ils finissent par ne pas avoir les mêmes opportunités que les autres, c’est injuste », a déclaré Lewis.

 

Tout s’explique quand il raconte que l’école secondaire a été un passage déterminant pour lui. Cette étape de sa vie ne consistait pas uniquement à s’amuser et à étudier. C’est là que sa « famille » s’est agrandie. 

 

« Le football au secondaire a permis de tisser des liens très forts avec mes coéquipiers. C’est l’âge auquel tu grandis beaucoup, on était vraiment une famille. Plusieurs joueurs traversaient des épreuves, je leur disais que j’étais là pour eux et qu’ils pouvaient avoir confiance en moi. " Si tu fais ta part, je vais faire la mienne pour t’aider ". C’est comme ça qu’on a pu s’en tirer. Quand t’as la confiance d’un autre, c’est l’une des meilleures sensations au monde », s’est rappelé le sympathique jeune homme au ton posé.

 

La vie ne lui a pas fait de cadeau, mais Lewis se considère tout de même chanceux d’avoir repoussé les dépendances qui ont gangrené son paternel. Ce n’est malheureusement pas rare de voir un enfant reproduire les erreurs de ses parents.

 

« Il y avait toujours une partie de moi pour me rappeler que je voulais une meilleure vie que ça. J’ai vu les conséquences alors qu’il y a tellement de belles choses à faire dans la vie et de beaux endroits à visiter. Je n’ai jamais eu la chance d’aller à Disney World », a lancé Lewis comme si c’était l’enfant au fond de lui qui s’exprimait.  

 

« Souvent, les gens qui sont coincés dans leurs problèmes, ils ne réalisent pas tout ce qu’il y a de beau à leur portée. Ils ne parviennent pas à voir au-delà des murs. C’est tout ce qu’ils connaissent », a relaté avec son côté rêveur l’homme qui se verrait agir comme conseiller social après sa carrière.

 

À 25 ans, Eugene Lewis est si jeune pour avoir traversé un tel parcours. Il n’est pas encore arrivé à l’étape d’avoir des enfants, mais il sait très bien ce qu’il veut et ce qu’il ne veut pas pour eux.

 

« Quand je vais avoir des enfants, je veux m’assurer qu’ils auront de plus belles opportunités que moi quand j’étais jeune. Mes parents ont quand même tout fait ce qu’ils ont pu pour moi. Au final, leurs efforts ont fonctionné parce que je suis ici. Je suis reconnaissant et je ne tiens rien pour acquis. J’apprécie tout ce que j’ai dans la vie. Si je n’avais pas traversé ces épreuves, je ne serais pas la même personne », a évalué celui qui a joué avec les deux premiers choix au repêchage de la NFL en 2018 (Baker Mayfield et Saquan Barkley) lors de ses passages avec Oklahoma et Penn State.

 

Parlant d’obstacles, on comprend facilement que Lewis n’a pas songé à abandonner quand il a rongé son frein à sa première année, en 2017, avec les Alouettes. Résilient, il a enfin la chance de démontrer ses atouts cette saison et il a été le complice préféré de Johnny Manziel à ses débuts dans la LCF.

 

Si son père lui a involontairement subtilisé ses rêves quand il était tout jeune, Lewis peut désormais atteindre celui de grand garçon : s’établir comme athlète professionnel. Ce rêve qui a ironiquement échappé à son père.

Lewis s’empresse d’ailleurs de préciser qu’il ne sera peut-être pas le seul enfant de son père à y parvenir. Comme la vie fait parfois bien les choses.