*Mercredi, le RDS.ca vous racontera de nombreuses anecdotes savoureuses au sujet de Mike Pringle, Elfrid Payton et Doug Petersen en lien avec ce retour en 1996. 

MONTRÉAL – À la fin janvier 1996, pour sa première impression à titre de propriétaire des Alouettes de Montréal, Jim Speros est arrivé à l’aéroport en trimballant la coupe Grey dans un sac de poubelle. Une image qui aura été annonciatrice de la renaissance cahoteuse de cette équipe. 

L’histoire des Alouettes n’a jamais été un fleuve tranquille comme le démontre la disparition du club en 1987, ce retour périlleux en 1996 qui a mené à une faillite, le déménagement au stade Percival-Molson, les péripéties de la vente récente au propriétaire actuel et les répercussions de la COVID-19. 

Dans le cadre du 25e anniversaire de la relance des Alouettes, le RDS.ca s’est plongé le bec dans le parcours de 1996 pour vous raconter quelques péripéties. Heureusement, comme le veut l’interprétation répandue de la phrase célèbre de Nietzsche, ce qui ne tue pas rend plus fort.

Champions de la LCF en 1995, les Stallions de Baltimore ont dégrisé rapidement puisqu’ils devaient déménager en raison du retour d’une équipe de la NFL dans cette ville. 

« C’était comme un éléphant qui arrivait et qui écrasait une petite souris! C’était fini pour nous aux États-Unis », a imagé le Sénateur Larry Smith qui agissait à titre de commissaire de la LCF à cette époque.

Smith a d’ailleurs joué un rôle clé pour que les Stallions aboutissent à Montréal. Toutefois, il n’avait aucune idée de la galère dans laquelle il venait de se lancer avec Speros et son partenaire effacé, le docteur Michael Gelfand. Ceux-ci se fiaient beaucoup sur des prêts de plus d’un million, qui n’ont jamais aboutis, de la ville de Montréal et du gouvernement du Québec. 

« Bob Wetenhall a sauvé Montréal »

« Juste avant le début de la saison, Jim Speros m’a appelé pour me dire que lui et son partenaire n’avaient pas les ressources pour investir le montant qu’ils s’étaient engagés à fournir. Comme commissaire de la LCF, ce n’était pas les nouvelles que je souhaitais relayer aux propriétaires des autres équipes, on avait déjà nos propres problèmes », a raconté Smith avec ouverture. 

Jeune journaliste sportif en 1996, David Arsenault a hérité de la couverture des Alouettes en faisant le saut à RDS. Comme il le dit si bien, c’est dommage qu’il ait dû passer plus de temps à couvrir les péripéties administratives que les performances sur le terrain. 

La fragilité était si évidente que, dès que l’équipe a entamé la saison avec un dossier de 0-3, des informations ont commencé à circuler selon lesquelles le club pourrait s’éteindre avant la fin de l’année. 

« Au troisième match, c’est le massacre, 62-22, contre Calgary. Tranquillement, les gens se demandaient si les Alouettes allaient finir la saison. On sentait une énorme pression de gagner et c’est arrivé la semaine suivante, ce fut un gros soupir de soulagement », a rappelé Arsenault qui décrit désormais les matchs. 

Sur le plan financier, le portrait ne devient pas plus vert pour autant avec des foules modestes. Ainsi, pour le match suivant au Stade olympique, Speros décide de tout miser. 

« Il y est allé d’un gros coup de poker, il a garanti la victoire en plus d’offrir deux billets pour le prix d’un pour ce match crucial », a évoqué Arsenault alors que les Alouettes ont aisément vaincu Winnipeg, 36-10, ce jour-là devant 32 364 partisans. 

Tel un ‘vendeur d’autos usagées’ qui se promène en limousine

Force est d’admettre que Speros était tout un personnage. Disons qu’il n’a pas laissé un souvenir positif à bien des gens. Arsenault se rappelle même de lui avoir déjà dit, avec son anglais moins affûté du moment, qu’il sonnait comme un ‘bullshiter’. 

« Pour ceux qui ne le connaissent pas, Speros faisait très ‘vendeur d’autos usagées’. Au quatrième quart, il s’est promené sur un abri des joueurs de baseball avec une pancarte Merci Montréal. C’était déjà planifié, il voulait marquer des points dans le cœur des gens. Ce fut un moment important et sous-estimé dans l’histoire des Alouettes. Les gens ont progressivement embarqué davantage dans l’aventure », a décrit Arsenault. 

« Sauf qu’il y avait plein d'histoires qui sortaient dans les médias pour raconter que l’équipe devait de l'argent à ses créanciers. Je courais souvent après Speros que ce soit au Stade olympique ou à son bureau du centre-ville. Ce n’était pas très agréable », a-t-il précisé. 

Ce récit économique fait perdre la joie qui s’entend toujours dans la voix de Larry Smith. 

« Ils n'ont pas respecté leur obligation et la Ligue a dû couvrir environ la moitié des coûts d'opération. [...] Pendant la saison, on a repris le contrôle du club, Speros est sorti du portrait et c'était vraiment la folie furieuse pour trouver le prochain propriétaire (Bob Wetenhall) », a-t-il dévoilé.  

Sur le terrain, la présence de Speros ne changeait pas grand-chose. L’équipe de Tracy Ham, Mike Pringle et compagnie s’était admirablement relevée des trois défaites initiales.

« Payé ou non, j'étais jeune, j'étais heureux, j'étais excité! »

« Les rares fois qu’on voyait Speros en ville, on l’apercevait en limousine avec des gardes du corps. Des choses vraiment bizarres qu’on ne voit pas dans la LCF et même pas tant dans la NFL », a mentionné Danny Maciocia qui faisait ses débuts dans le circuit canadien comme bénévole au sein du personnel d’entraîneurs. 

De fidèles employés ont joué un rôle crucial 

Les plus grandes victimes étaient les employés. Après tout, les propriétaires ne pouvaient pas se permettre de ne pas payer les joueurs. C’est donc le reste du personnel qui a écopé pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois. 

« Quand tu rentrais le matin, il y avait du monde qui n’était pas vraiment de bonne humeur », a confirmé Maciocia. 

D’ailleurs, ce sort a même été réservé au directeur général Jim Popp et au directeur du marketing, Mark Weightman.

« J’étais sur le même programme qu’eux concernant le paiement, a rigolé Maciocia. Ça me fatiguait un peu moins parce que je savais que je ne me faisais pas payer. J'étais jeune et heureux de revoir une équipe professionnelle dans ma ville natale. J’étais en train de vivre mon rêve. » 

Sauf que ça allait si loin que Popp devait parfois payer quelques dépenses de sa poche sans être remboursé. Tout ce scénario était loin de plaire à la LCF. 

« C'était une négociation quotidienne de demander à Speros combien d'argent il lui restait et s’il allait payer les employés. Disons que ça ne s’est pas fini de manière positive. C'était vraiment étape par étape, comme un bateau qui coule tranquillement. À la fin, Speros n’avait plus d’argent et il m’avait appelé pour me dire ‘Larry, nous sommes finis, bye’ », a témoigné Smith. 

« Les foules se limitaient quelques fois à 5000 ou 6000 personnes dans le Stade olympique donc Speros n’avait pas d’argent. Il était très agressif avec nous, mais on anticipait que ce serait le cas puisqu’il était en mode survie », a-t-il ajouté. 

La LCF a tenté de minimiser les conséquences auprès des employés.  

« Ce n’était pas facile et ça prenait beaucoup de sagesse et d’énergie pour garder tout le monde la tête hors de l’eau. Voilà ce que nous avons fait, mais il n'y a pas beaucoup de gens qui sont au courant », a admis Smith. 

Heureusement que l’organisation pouvait déjà compter sur un noyau d’employés fidèles et passionnés dont Popp, Weightman, Maciocia et Annie Larouche qui chapeautait les cheerleaders et le volet communautaire. 

« C'était un sprint de tout organiser pour la saison »

« À Baltimore, Speros avait été un peu le sauveur, il a rendu le tout possible et c’était une belle réussite. Mais ça n’a pas été facile pour l'ensemble de l'équipe de bâtir quelque chose aussi rapidement avec certaines personnes qui étaient en terrain inconnu », a ciblé Weightman. 

« Je crois que les propriétaires ont sous-évalué l'impact de déménager dans une nouvelle ville et de repartir à zéro. Ils avaient aussi des attentes élevées avec un stade majeur comme le Stade olympique. [...] La première année a même été plus difficile que bien des gens auraient pu l'anticiper », a conclu Weightman qui a été l’un des fidèles à ne pas quitter le navire pendant la tempête. 

Après la faillite de l’entité qui gérait les Alouettes en 1996, l’entrée en scène de Bob Wetenhall a tranquillement relancé l’organisation et le déménagement à Percival-Molson demeure l’élément déclencheur. Ce n’est pas pour rien que Smith répète souvent que Wetenhall, qui vient de décéder, et David Braley (qui a été propriétaire des Lions et des Argonauts) ont sauvé la Ligue canadienne de football.    

Le cycle fragile de la LCF a été heurté de plein fouet par les conséquences financières de la COVID-19 ce qui force désormais Gary Stern, le nouveau propriétaire des Alouettes, à maintenir le bateau à flot à son tour. 

*Avec la collaboration de Mikaël Filion pour l'idée

« Ma famille me trouvait folle de rejoindre les Alouettes »