Journée printanière comme les autres pour plusieurs, le 6 mai 2013 sera à jamais une pierre angulaire dans la vie et la carrière du receveur de passe Seydou Junior Haïdara.

Avec un restaurant sportif de Québec comme toile de fond, le jeune gradué de l’Université Laval allait connaître la ville qui allait l’accueillir pour la prochaine étape de sa carrière : ses débuts chez les pros dans la LCF. À ses côtés, notamment, sa sœur ainée Kadidja Haïdara qui le suit et l’encourage depuis toujours dans sa quête d’atteindre les rangs professionnels canadiens.

Une témoin privilégiée, une muse, une meilleure amie, une complice.

Kadidja et Seydou Junior entretiennent une relation très étroite. Le jour du repêchage, c’est d’ailleurs elle qui tirait les ficelles au niveau de l’organisation.

« Plusieurs personnes voulaient écouter le repêchage avec Junior, » me confiait-elle. « J’ai réservé un restaurant pour inclure tout le monde et ensuite les médias ont demandé d’y être. »

Fort d’un classement favorable avant le repêchage, 11e espoir au total et premier chez les receveurs de passes, Seydou Junior se doutait bien qu’il n’allait pas attendre trop longtemps avant de recevoir le coup de fil qui allait changer sa vie. Le suspense ne résidait pas dans le changement à venir, mais plutôt dans la destination à connaître. Les médias s’intéressaient particulièrement à son destin car il allait devenir le premier joueur en provenance d’une université québécoise à entendre son nom dans la bouche du commissaire de la LCF, Mark Cohon, lors du repêchage de 2013.

Au cours de la journée du repêchage, Kadidja occupait le siège aux côtés de son frère. La proximité de la fratrie, inaltérable, malgré l’œil scrupuleux des médias autour.

« J’étais assise aux côtés de Junior pendant le repêchage, » raconte sa sœur. « Pas pour le rassurer lui, mais pour m’empêcher de perdre mes moyens. Je savais que l’équipe qui le sélectionnerait l’appellerait juste avant. »

Le téléphone de Seydou Junior sonna rapidement, très rapidement même. Les Lions de la Colombie-Britannique ont jeté leur dévolu sur le receveur de l’Université Laval en utilisant le 12e choix au total pour le sélectionner. Si l’appel d’une vie est passé inaperçu pour la plupart des gens présents autour du jeune joueur, sa sœur n’avait pas besoin d’explications pour comprendre l’amplitude de la courte conversation.

« Quand il a raccroché, j’ai tout de suite compris et je l’ai serré dans mes bras, » se souvient-elle, émotive. « À ce stade-ci, je ne pleurais pas encore, mais quand le commissaire a annoncé le choix au micro, j’ai complètement perdu le contrôle. Je n’étais plus capable de m’arrêter, je n’ai jamais ressenti autant de fierté de toute ma vie. »

Parce que la carrière de Seydou Junior, bien qu’elle lui appartienne, est intimement liée à la vie de ses proches, particulièrement celle de sa sœur qui n’est jamais très loin quand son grand frère foule le terrain.

Seydou Junior HaïdaraUn investissement à long terme

Comme à peu près tous les jeunes Québécois, Seydou Junior a d’abord eu la fièvre du hockey plus jeune. Le football est venu plus tard et les deux sports coexistaient bien jusqu’à ce qu’un choix s’impose : le hockey ou le football.

« Quand mon frère a eu la piqûre du football, il était un très bon joueur de hockey, » souligne Kadidja. « Il a fallu qu’il choisisse entre les deux sports. Comme je n’aimais pas trop passer mes samedis après-midi sous les néons aliénants des arénas, je lui ai fait la promesse d’aller à tous ses matchs s’il choisissait le football. »

Seydou Junior a pris sa sœur aux mots et les pelouses troubles du football l’ont remporté sur les glaces balafrées des arénas mal éclairés. Il avait 11 ans à l’époque et depuis, sa sœur a raté trois ou quatre matchs, tout au plus.

Pour encourager son frère, elle a parcouru des dizaines de milliers de kilomètres et souvent elle devait s’époumoner pour tous les absents qui ne meublaient pas les estrades vides lors des jours de pluies ou de neiges. Sa promesse n’avait visiblement pas de limites et son support depuis dépasse la simple promesse infantile.

De l’amour inconditionnel, la genèse d’un rêve nourri par l’effort et les compromis.

« L’an dernier, je suis allé voir Junior au East-West Bowl qui se déroulait à l’Université de Western Ontario (à London), » raconte Kadidja. « Sur le chemin du retour, un accident a causé un bouchon monstre qui a complètement paralysé la circulation. Ça m’a pris 11 heures faire Toronto-Montréal, mais c’est encore mon plus beau voyage en voiture à ce jour. »

Une route à plusieurs voies

Bien que la carrière de Seydou Junior soit au centre de la vie de sa grande sœur, elle n’a jamais dérogé de son amour pour l’écriture. Scénariste de cœur, de profession, Kadidja partage la détermination de son frère et malgré son quotidien meublé d’estrades boueuses, elle n’est jamais tombée dans l’ombre du sport qui l’unit à son frère.

Par contre, il serait faux de croire que toutes ces heures passées dans les estrades n’ont pas teinté son imaginaire, sa plume. La web-série fictive qu’elle a scénarisée, Les Béliers, s’intéressent au parcours de jeunes adolescents mordus de football.

« Je n’aurais jamais pensé écrire Les Béliers si mon frère avait eu un autre parcours, » avoue-t-elle. « Quand il a déménagé à Lennoxville pour jouer au football collégial, j’ai tout de suite trouvé qu’il y avait quelque chose de vraiment spécial avec cette équipe-là. Comme j’étais proche de Junior, j’ai suivi de près le quotidien de ces jeunes et je trouvais cela extraordinaire de les voir vivre loin du nid familial pour leur sport. »

Le football n’est pas le choix de carrière de Kadidja, mais l’amour qu’elle entretient pour son frère transparait dans son regard qu’elle lance sur ces jeunes mordus. Au-delà du sport, l’esprit de famille et de communauté que vit ces jeunes a inspiré la scénariste qui, le temps d’une fiction, a couché sur papier la réalité de son frère qui ne fait pas que jouer au football – il vit de football, à toutes heures du jour, et ce depuis son plus jeune âge.

Une condition qui ne vient pas sans sacrifice.

Le football, centre de tout

Avant d’entendre son nom lors du repêchage de la LCF, Seydou Junior a longtemps usé ses crampons à vivre pour le sport qui allume sa flamme au quotidien.

C’est à Lennoxville que le rêve de la LCF s’est mis à germer. Seydou Junior avait choisi de poursuivre son apprentissage au College Champlain, loin de sa famille. Depuis, le football est une partie intrinsèque de son quotidien et les sacrifices, au fil des ans, sont incalculables.

Entraînements quotidiens, régimes draconiens, distance et isolement, toutes des notions qui feraient frémir la plupart des adolescents. Sauf que Seydou Junior n’a jamais bronché devant l’effort, lui qui n’a pas encore trouvé de finalité dans ses accomplissements sur le terrain.

La LCF n’était qu’un objectif parmi tant d’autres.

« Lors des dernières vacances des fêtes, Junior s’entraînait pendant que tout le monde faisait la fête, » m’expliquait sa sœur en parlant du processus avant le repêchage. « Il était seul au gymnase le 24 décembre, il voulait se préparer pour les épreuves de sélection en Mars. »

Si certains recruteurs ont été surpris par les démonstrations athlétiques de Seydou Junior, sa sœur elle se doutait bien que les efforts de son cadet allaient porter ses fruits.

« Je savais pertinemment qu’il allait impressionner tout le monde. »

Premier receveur de passes sélectionné au cours de la cuvée 2013, aucun doute que Seydou Junior Haïdara ait fait une bonne impression auprès des dirigeants des Lions.

Une surprise qui n’en est pas une pour le jeune homme qui fera le saut chez les pros à la suite d’une convaincante conquête de la Coupe Vanier avec ses anciens coéquipiers du Rouge et Or de l’Université Laval.

Seydou Junior et Kadidja HaïdaraLa suite des choses

Les Lions de la Colombie-Britannique ont ouvert leur camp d’entraînement cette semaine et Seydou Junior s’est envolé vers sa nouvelle ville d’adoption. Kadidja l’a reconduit à l’aéroport, une façon particulière de bien saisir la nouvelle réalité de son frère.

Son passage à l’âge adulte, d’une certaine façon.

« Quand on s’est réveillé ce matin, il y avait de la fébrilité dans l’air, » confiait-elle à son retour de l’aéroport. « Depuis quelques jours, il était plutôt zen à propos de son déménagement. Moi j’avais un peu de difficulté à fonctionner tellement j’étais excitée pour lui, mais lui il faisait ses petites choses comme si de rien était. Encore hier, il était dans une école primaire pour rencontrer des élèves et jaser de football. »

Kadidja et son frère se parlent à tous les jours, inséparables. Des jumeaux avec cinq ans d’écart aux dires de leur mère.

Si la proximité des deux risque d’être affectée par le départ de Seydou Junior, la complicité, elle, est saine et sauve.

« Souvent, on sait ce que l’autre va dire avant d’ouvrir la bouche, » souligne Kadidja. « On s’est toujours encouragé et nous avons choisi des carrières qui ne sont pas évidentes à démarrer. Je ne sais pas si on aurait persévéré sans la présence de l’autre. »

À la blague, Kadidja cite son frère comme étant sa muse. Sauf que l’inspiration va dans les deux sens, alors que la grande sœur veille au grain sur les aléas de son petit frère qui devra désormais côtoyer des hommes de métier, certains même qu’il admirait plus jeune.

Mike Washington, membre de l’équipe d’entraîneurs des Lions, aura la surprise de voir son nouveau receveur avec une photo de lui dans ses bagages.

« Junior a apporté une photo de lui aux côtés de Mike Washington lors de son premier camp de football, » précise sa sœur.

Comme quoi le rêve ne se matérialise pas instantanément,

Seydou Junior a gagné son pari de se voir offrir un contrat par une équipe de la Ligue canadienne. Sa sœur est sûre que l’aventure ne fait que commencer pour le receveur qui n’a pas encore atteint son plein potentiel. C’est difficile de ne pas la croire sur parole, elle qui était présente lors de tous les moments importants de la carrière de son petit frère.

Le temps, dans cette optique, est l’allié de Seydou Junior. Qui plus est, il aura toujours quelqu’un au bout du fil en cas de besoin. La promesse d’une grande sœur n’expire pas quand le rêve se concrétise, bien au contraire.

La fierté s’ajoute à l’investissement initial.

« Personne n’a encore rien vu »

Si la grande sœur de Seydou Junior le dit, je vais la croire.