MONTRÉAL – Si la pause prolongée de la LNH suscite son lot de défis pour les joueurs, les entraîneurs, les dirigeants et même les propriétaires des équipes, il ne faudrait pas oublier les préparateurs physiques des organisations qui doivent amoindrir les conséquences de ce bouleversement. 

De nos jours, on compare souvent les athlètes professionnels les plus rigoureux à une Formule Un puisqu’ils sont réglés au quart de tour afin de produire des performances optimales. Le contexte actuel exige cependant une multitude d’ajustements pour arriver à un résultat similaire. 

En plus de devoir composer avec un camp d’entraînement réduit, plusieurs joueurs de la LNH ne peuvent pas – ou que partiellement - fouler la glace présentement. C’est sans compter que le calendrier sera compressé pour intégrer l’objectif de 56 parties. De plus, une panoplie d’athlètes doivent se soumettre à une quarantaine à leur retour en Amérique du Nord et elle s’effectue souvent dans une chambre d’hôtel qui prend des airs d’un gymnase éphémère. 

C’est ici que l’équipe de sciences et performances du Tricolore, qui est dirigée par Pierre Allard, entre en scène. Son rôle est crucial pour maximiser la préparation des athlètes tout en limitant le nombre de blessures associées. 

Heureusement, Allard, qui en est à sa 11e année avec l’organisation montréalaise, peut se fier sur une tonne de données compilées antérieurement. Lui et ses adjoints Patrick Delisle-Houde et Stéfano Lanni pourront aussi s’appuyer sur l’expérience comparable qui a mené à la bulle à Toronto. 

« On est contents de voir que tout le travail accompli en amont pour récupérer les données des joueurs nous a servi grandement pour ce retour. Ça nous aidera encore plus cette fois », a pointé Allard qui sonnait donc assez optimiste. 

« On est confiants qu’ils seront près physiquement du niveau quand ils arrivent au camp d’entraînement », a-t-il ajouté. 

Toutefois, il admet que le bémol concerne l’accès complexe à la patinoire. Ce privilège varie selon les régions et il s’est rétréci dans l’Ouest canadien avec l’éclosion des cas de la COVID-19. 

« Ce qui manque, pour certains, c’est l’aspect de la glace. On recommande habituellement aux joueurs, en contexte idéal, d’avoir une vingtaine d’heures accumulées avant le camp. Ça permet de réduire les possibilités de blessures », a-t-il indiqué pendant une visioconférence fort intéressante. 

Scientifique dans l’âme, Allard aborde la préparation physique avec un grand sérieux. Confronté à cette contrainte, la prudence est requise, mais c’est surtout le bon dosage qui devient la clé. 

« Le fait de ne pas avoir accumulé ce nombre d’heures, c’est notre travail, au département de sciences et performances, de donner la bonne information aux entraîneurs par rapport à la charge recommandée pour chaque entraînement », a spécifié Allard qui a d’ailleurs entamé un doctorat, axé sur les mouvements des gardiens, à l’Université de Montréal. 

« On s’assure de prévoir les séances en conséquence. On réévalue le plan en cours de route avec l’équipe médicale et les entraîneurs. On a fait de petits ajustements lors du dernier retour (pour la bulle à Toronto). On est beaucoup plus précis dans notre façon de travailler avec les joueurs », a précisé Allard. 

Inévitablement, les joueurs doivent s’acquitter de leur part du mandat avant de retrouver leurs coéquipiers. C’est encore plus vrai avec un camp d’entraînement écourté. 

Pour y parvenir, la créativité sauve la mise. Prenons l’exemple d’Alexander Romanov qui doit respecter une période confinement dans une chambre d’hôtel. Le Canadien s’assure d’y faire livrer un vélo stationnaire, des poids et des élastiques notamment. 

« Il faut avoir beaucoup d’imagination. On peut attacher les élastiques à une patte de lit par exemple. Dans son cas, il a vécu cette expérience à Toronto donc ce n’est pas nouveau pour lui. C’est notre défi de s’ajuster, de reconnaître la réalité du joueur et d’avoir l’équipement approprié pour couvrir un minimum. On peut couvrir beaucoup de choses dans un espace assez restreint. Voilà ce que la situation actuelle a pu nous apprendre », a convenu Allard qui se tourne vers les entraînements par intervalles pour reproduire les demandes du hockey. 

Moins de voyages, enfin du positif

Il ne serait pas tant surprenant que certains joueurs doivent composer avec un rattrapage physique. Allard essaie de prévenir le tout. 

« Si un joueur ne peut pas aller sur la glace, il y a des exercices avec lesquels on peut recréer le tout. On se tourne vers la pliométrie, des sauts, des changements de direction... La situation nous a mené à mettre en place un éventail de choix d’exercices pour répondre aux besoins des joueurs. Dans notre plate-forme, les joueurs ont un programme individualisé pour chaque journée », a précisé Allard.

Bien entendu, pour atteindre une préparation adéquate, un athlète doit être dans un état d’esprit sain. La longueur de la pandémie peut créer de l’obstruction mentale. 

« Il faut rester en contact avec les joueurs et Patrick et Stéfano ont fait un travail remarquable. Des joueurs sont plus chanceux dans un contexte familial avec des enfants, ça leur donne d’autres occupations. Pour des jeunes qui ne sont pas dans cette situation, on s’assure d’avoir plus de contacts avec eux. Notre psychologue Dr. Scott est constamment en lien avec eux s’ils en ressentent le besoin. On sait que ce n’est pas facile pour personne et encore plus pour les personnes seules », a déclaré Allard. 

Force est d’admettre que peu d’éléments de cette pandémie vont faciliter la préparation physique. Allard en décèle tout de même un alors que le calendrier s’inspirerait du Baseball majeur dans le sens que les équipes vont s’installer dans une ville, ou une région, pendant quelques jours pour y disputer quelques matchs. 

« De moins voyager, ça fait en sorte qu’on peut mieux planifier le sommeil des joueurs. Pour nous, d’être dans le même espace, ça permet de travailler encore mieux avec les joueurs. On l’a vu à Toronto avec Patrick, c’était très facile de s’installer à un endroit », a cerné Allard qui est donc favorable à cette approche logique. 

Le fruit des efforts pour Kotkaniemi

La définition de tâches de l’équipe d’Allard comporte également l’intégration des nouveaux joueurs et des espoirs du club dans la vision de préparation physique du CH. Le lien a ainsi été établi avec les Josh Anderson, Tyler Toffoli, Joel Edmundson et Jake Allen. 

Dans le cas de Romanov, Allard s’ajoute aux membres du Tricolore qui emballés.  

« Il a une merveilleuse attitude. Physiquement, il travaille très fort et il se situe exactement où il devrait être. Ce que j’aime aussi de lui, c’est qu’il veut comprendre notre approche d’entraînement », a-t-il répondu. 

Quant à l’espoir Cole Caufield, le suivi s’effectue et le défi réside surtout dans la rigueur d’un calendrier de la LNH. 

« Les jeunes n’ont pas cette connaissance de jouer trois à quatre matchs par semaine. Tu peux te préparer tant que tu veux, mais tant que tu ne l’as pas vécu, c’est difficile à imaginer. C’est aussi d’avoir un haut niveau de performances pour chaque rencontre », a souligné Allard en ajoutant que Tomas Plekanec s’était adressé, à ce sujet, aux espoirs du club durant un webinaire. 

Bref, il s’agit d’un cheminement et ça expliquerait les performances convaincantes de Jesperi Kotkaniemi dans la bulle à Toronto. 

« C’est un processus qui a commencé il y a une ou deux années. Il est allé à Laval où l’équipe a eu plus de temps pour travailler avec lui et il est retourné en Finlande ensuite. Il était nettement plus concentré et on a vu la différence à son retour à Montréal. Comme les autres espoirs, il a besoin de temps. Il est arrivé plus mature physiquement en tant qu’athlète. C’est le résultat de plusieurs années de travail avec lui », a proposé Allard. 

En ce qui concerne son doctorat, on s’excuse de simplifier le tout en quelques lignes, mais le groupe dont il fait partie a pu installer des accéléromètres sur des gardiens du centre d’Olivier Michaud pour mesurer l’énergie nécessaire derrière chaque mouvement. Ils ont filmé leurs actions pendant 100 heures. Ensuite, le travail consistera à synchroniser les données pour classer chaque mouvement. Ceci devrait permettre à des machines spécialisées de détecter, de manière automatique, chaque déplacement effectué par un gardien. Par la suite, l’idée serait de pouvoir calculer la charge de travail d’un gardien autant dans un entraînement qu’un match. L’objectif serait, ultimement, d’implanter cette approche au niveau professionnel pour arriver au compromis procurant le meilleur rendement.