J'ai passé un merveilleux moment parmi les membres de la famille de Bernard Geoffrion dans la région d'Atlanta au cours de l'été en vue de l'enregistrement de l'émission des 25 ans d'émotion qui sera présentée à 19h00, ce soir, à l'antenne de RDS.

Ils sont tous venus faire un tour dans la chaleureuse maison de Marlene Geoffrion, veuve du légendaire Boum Boum, à Woodstock, en banlieue d'Atlanta.

Linda, qui veille sur sa mère, habite la porte voisine en compagnie de son mari et ex-porte-couleurs du Canadien junior, Hartland Monahan, qui a aussi endossé les chandails des Rangers, de Washington, de Los Angeles, de Pittsburgh et de St-Louis dans la Ligue nationale. Danny habite Brentwood, au Tennessee, et Robert, qui réside à quelques kilomètres de la résidence maternelle, sont aussi venus enrichir l'enregistrement à leur façon.

Cette émission tourne autour du triste retrait du dossard de Geoffrion survenu dans des circonstances on ne peut plus dramatiques, le 11 mars 2006. Celui qui devait être le héros de cette cérémonie est décédé dans la nuit précédant l'événement. Comme il avait fait promettre à sa femme et à ses enfants d'être là si jamais sa santé l'empêchait d'y participer, ils ont respecté cet engagement. Danny et Robert étaient déjà à Montréal quand on leur a appris le décès de leur père. Marlene et sa fille, la mort dans l'âme, ont pris l'avion vers Montréal au petit matin où la direction du Canadien a pris tout le monde en charge avec toute la classe qui caractérise l'organisation. Le soir même, on a assisté à l'un des moments les plus émotifs dans l'histoire du Centre Bell quand Marlene, subitement devenue la chef du clan Geoffrion, est apparue sur la patinoire, solide et digne, suivie de ses enfants. La foule émue leur a accordé une vibrante ovation.

À ce jour, le retour de Saku Koivu, à la suite d'un cancer qui aurait pu l'emporter, et cette soirée posthume en hommage à Bernard Geoffrion sont les événements qui ont fait le plus vibrer l'édifice émotivement.

Marlene est une femme courageuse qui a été profondément marquée par le destin tragique des Geoffrion. Elle est la fille de Howie Morenz qui est décédé sur un lit d'hôpital à la suite d'une très vilaine blessure à une jambe qui a provoqué un caillot qui lui a été fatal. Elle est la veuve de Bernard, un autre immortel du Canadien. Elle est aussi la grand-mère de Blake Geoffrion dont la carrière a pris fin à la suite d'une fracture du crâne dans un match de la Ligue américaine disputé exceptionnellement au Centre Bell, il y a deux ans. Ajoutez à cela la perforation de la rate subie sur la glace par son mari et qui l'a laissé entre la vie et la mort pendant un moment.

« J'avais trois ans quand mon père est décédé, rappelle-t-elle. Il avait subi une quadruple fracture de la jambe sur la glace, ce qui l'avait obligé à passer trois mois la jambe surélevée à l'hôpital. C'était très différent de ce qu'on voit aujourd'hui comme traitement. Quand ma mère est allée le chercher pour le ramener à la maison, on lui a dit que le prêtre voulait lui parler. L'aumonier lui a appris qu'il venait tout juste de mourir. »

Elle ignorait tout de la carrière de son père. Elle était trop jeune pour assister à ses funérailles célébrées sur la glace du Forum. C'est à l'occasion d'une Bernard Geoffrionpremière sortie avec Bernard, qui l'avait invitée à une soirée de boxe au Forum, qu'elle a su qu'il y avait une bannière portant le nom de son père dans les hauteurs de l'édifice. Elle avait 17 ou 18 ans et n'avait aucun intérêt pour le hockey. Bernard lui a appris que le chandail de son célèbre père avait été retiré à jamais.

«Je me souviens fort bien de ce moment, rappelle-t-elle. Il m'a dit que mon père avait marqué 271 buts dans la Ligue nationale et qu'il ferait mieux que lui encore. Je le trouvais un peu arrogant, mais il l'a fait.»

Boum Boum s'est fait beaucoup plus discret en route vers une carrière de 393 buts. «On ne parlait presque pas de hockey à la maison, dit-elle. Ce que je savais sur l'équipe, je l'apprenais des femmes des joueurs. Avec lui, ce qui se passait dans l'équipe devait rester dans l'équipe.»

Elle était à l'hôpital Sacré-Coeur de Cartierville pour donner naissance à Danny quand on lui a appris que Bernard avait subi un grave accident sur la patinoire. Il avait eu la rate perforé par un bâton. Quand il s'est écroulé sur la glace, ses coéquipier croyaient qu'il avait perdu le souffle. En lui pompant le ventre pour lui permettre de mieux respirer, ils ignoraient qu'ils aggravaient sa situation. Il a été hospitalisé à l'hôpital Général de Montréal pendant qu'elle était à l'autre bout de la ville, à Cartierville, incapable de le soutenir moralement dans cette épreuve.

Boum Boum : 2e partie

« J'ignorais qu'il était entre la vie et la mort et qu'on lui avait même donné les derniers sacrements. Avec la complicité d'une amie, j'ai tenté de m'échapper de l'hôpital pour aller le voir, mais on m'a interceptée. On m'a vite ramenée à ma chambre en me donnant une injection pour me calmer », rappelle-t-elle.
Blake mal en point.

La blessure subie par son petit-fils, le troisième membre de la génération Geoffrion à porter les couleurs du Canadien, a été la cause d'un profond chagrin. Âgé de 24 ans, Blake Geoffrion avait connu une brillante carrière durant ses quatre années à l'Université du Wisconsin. Il avait même gagné le trophée Hobey Baker remis annuellement au joueur universitaire par excellence aux États-Unis. Rempli d'espoir en portant le chandail du Canadien, Blake avait choisi un numéro qui lui porterait chance, croyait-il. Il avait opté pour le 57, représentant le 5 de son père et le 7 de son grand-père. Malheureusement, il ne pouvait pas savoir qu'un autre numéro, identifié à la malchance celui-là, allait se mettre en travers de son chemin. Il n'a joué que 13 parties avec l'équipe de son arrière-grand-père, de son grand-père et de son père.

À la suite d'une percutante mise en échec de Jean-Philippe Côté, il a subi une fracture du crâne sous les yeux de son père, Danny, ex-premier choix au repêchage du Canadien et des Nordiques, dans l'Association mondiale. Conduit à l'hôpital, il a demandé à son père si cette blessure grave n'était pas un message de Dieu. L'histoire des Geoffrion avait commencé à Montréal et il fallait peut-être qu'elle se termine au même endroit, lui a-t-il dit.

« Ce que j'ai trouvé terrible, c'est que toute sa vie a changé dans un instant, affirme sa grand-mère. C'est un bon petit gars qui n'a jamais causé de problèmes à personne. Le hockey est devenu un sport si dangereux. Les joueurs sont tellement gros, tellement rapides. Quand je réfléchis à tout cela, je me dis que beaucoup de mauvaises choses nous sont arrivées à cause du hockey, mais aussi beaucoup de belles choses. »

Boum Boum : 3e partie

Elle s'inquiète encore pour Blake. Elle souhaite que les choses se passent bien et qu'il ne conserve pas de séquelles de cet accident. Heureusement, il ne s'est pas apitoyé sur son sort. Il savait qu'il lui fallait prendre une autre direction et c'est ce qu'il a fait.

Aujourd'hui, Marlene Geoffrion, qui a subi une opération à la glande parathyroïde en septembre, écoule une vie harmonieuse entourée de ses enfants. Les grands drames semblent derrière elle à tout jamais. Du moins, elle le souhaite.

« Je n'ai pas eu une vie vraiment tranquille. Elle a été parsemée d'inquiétude parce qu'il survenait toujours quelque chose d'inquiétant, souligne-t-elle. Le hockey a représenté une belle vie pour les femmes. C'était difficile par moment parce que les joueurs, qui voyageaient en train, était souvent absents de la maison, mais il y avait aussi des moments excitants. »

Néanmoins, une saison de 50 buts, deux championnats des marqueurs, six coupes Stanley, une intronisation au Panthéon du hockey et un chandail retiré dans le cas de son mari ne lui font pas oublier que le hockey lui a coûté un père et qu'il a failli emporter son époux et son petit-fils.