Un seul facteur pouvait permettre au Canadien de rester vivant dans la série. Il fallait absolument que certains joueurs très silencieux jusque-là fassent leur part. Ce n'était pas en traînant autant de passagers dans une situation sans lendemain qu'on allait pouvoir vaincre un adversaire qui se disait pressé d'en finir.

Il y a eu beaucoup moins de passagers et beaucoup plus de conducteurs de train cette fois. La randonnée n'a pas été facile, mais au moins, le train est toujours sur les rails. Destination New York.

Les passagers des derniers matchs avaient déjà été identifiés : Pacioretty, Bourque, Plekanec, Subban, Eller, Gionta, Vanek et Emelin. Par passagers, on sous-entendait des éléments qui n'apportaient à peu près rien sur le plan des statistiques ou qui se prenaient carrément le moine pendant qu'un petit groupe de coéquipiers, toujours les mêmes, se tuaient à l'ouvrage.

Or, contre toute attente, Bourque a éclaté pour trois buts. Pacioretty est sorti de sa torpeur avec un but et une passe. On s'est souvenu que Plekanec existait toujours quand il a placé l'équipe en avant 2-1. Subban, pas très productif jusque-là, est redevenu un facteur important en préparant le premier but, tout en constituant une menace comme il est habituellement capable de le faire. Eller, qui n'avait rien amassé depuis la première rencontre, a disputé un fort match tout en pavant la voie à deux buts. Deux vétérans qui en arrachent, Gionta et Vanek, ont timidement obtenu une mention d'assistance, ce qui est encore trop peu. Quant à Emelin, qu'on dit blessé à un pied, il serait peut-être resté dans la formation si son nom avait été Markov. Michel Therrien a sans doute jugé que l'équipe avait de meilleures chances de survivre avec le jeune Nathan Beaulieu en uniforme.

Quelle série bizarre quand on y pense! Les Rangers ont passé le Canadien à tabac dans le premier match (7-2) et, après les trois parties chaudement disputées qui ont suivi, ce fut au tour du Canadien d'en mettre plein la gueule à leurs adversaires (7-4), tout en se permettant au passage de sortir Henrik Lundqvist de la partie. C'est une bonne chose que le match n'ait pas échappé au Canadien en troisième période car les occasions de marquer quatre buts aux dépens de l'un des meilleurs gardiens de la ligue ne passent pas souvent.

L'énigmatique Rene Bourque a eu le soubresaut d'énergie le plus spectaculaire de sa carrière. Il n'y a pas si longtemps, voilà un joueur que Therrien traînait à son pied comme un boulet. S'il n'était pas aussi costaud et si on ne lui reconnaissait pas un talent de marqueur malgré ses fréquentes périodes d'hibernation, ce gros ours qui ne grogne pas, qui ne saute pas au plafond dans ses moments de gloire et qui encaisse toutes les critiques comme s'il avait une roche à la place du coeur, aurait peut-être été laissé de côté par l'entraîneur pour la durée des séries. Mais voilà, on ne sait jamais quand ce frappeur de puissance en constante léthargie tranchera le débat à grands coups de circuits.

Bourque, qui explose et qui s'endort sans qu'on ne sache trop pourquoi, vient d'en frapper trois de l'autre côté de la clôture dans ce qui avait l'allure d'un match crucial des Séries mondiales. Il fallait le voir pendant que les préposés du Centre Bell ramassaient les casquettes qui ont volé dans les airs à la suite de son tour du chapeau. Appuyé avec un brin de nonchalance sur la bande devant le banc des joueurs, sa physionomie ne traduisait pas la moindre émotion. Pourtant, une sorte de fierté personnelle devait lui parcourir le corps. S'il avait pu, il se serait emparé d'un microphone pour dire à la foule : «Vous le voyez bien que j'ai du talent ».

C'est Pacioretty qui s'est chargé de faire son éloge avec une tirade tirée par les cheveux. « Il est un joueur extraordinaire, a-t-il dit. Sa rapidité et son lancer sont de classe mondiale. » Heureusement, Pacioretty est meilleur marqueur qu'analyste.

Quand la saison a pris fin, Bourque était sur la liste des joueurs à échanger ou à racheter par le directeur général Marc Bergevin. Le jeune patron du Tricolore adore les joueurs qui se donnent à l'équipe. Dans les circonstances, sans vouloir parler pour lui, Bourque ne faisait sûrement pas partie de son équipe d'étoiles. Sa saison a été misérable. Il a traversé des périodes léthargiques respectives de 13, 9 et 9 matchs. Un joueur de son talent et de son salaire a aussi passé neuf parties dans les gradins. Mais plus important encore, il a marqué un seul petit but à ses 19 derniers matchs de la saison.

Comment pouvait-on logiquement compter sur lui pour les séries? Pourtant, quand le beau voyage du Canadien sera terminé, Bourque aura probablement été son meilleur franc-tireur. Alors, la question se pose, pourra- t-on se débarrasser d'un joueur qui a déjà marqué huit buts en séries et qui en a peut-être un ou deux autres en banque d'ici la fin? Heureusement que Bergevin est richement payé pour prendre ce genre de décision.

Même quand Tokarski est chancelant…

Les perdants tiennent toujours le même discours. « Nous allons rentrer à la maison où nous serons pas mal meilleurs que nous l'avons été ce soir », ont dit les Rangers après cette défaite qui a probablement ébranlé leurs convictions et leur confiance.

Lundqvist pourrait vouloir trop en faire

La vérité, c'est que leur gardien de but, déjà nommé sept fois le joueur de l'année, a été sorti d'un match qu'il avait l'obligation de gagner. Si les Rangers étaient confiants de remporter cette série, c'est parce qu'ils comptaient sur Lundqvist pour faire la différence. Autre facteur pas négligeable, ils ont perdu même si Dustin Tokarski a démontré ses premiers signes de faiblesse depuis son entrée en séries. Quand il te faut éviter un dangereux sixième duel à la maison et que tu ne peux profiter du fait que le troisième gardien de l'organisation du Canadien n'est pas à son mieux, hum, disons que ce n'est pas bon signe.

Dans quelles mains les bâtons seront-ils les plus lourds demain soir? Dans celles des Rangers, bien sûr. Qui entrera dans la Madison Square Garden en pensant qu'il est pas mal plus difficile de battre les Bruins que les Rangers dans un sixième match? Inutile de répondre à cela.

Plus que jamais, il faudra que tous les joueurs du Canadien sautent dans le train. Therrien souhaite qu'ils aient tous le goût de voyager en première classe. Bien sûr, il leur faudra marquer quelques buts, mais ils devront aussi mieux soutenir leur gardien recrue. Mardi, quand Josh Gorges a fait dévier une rondelle dans son propre filet, c'était la troisième fois dans cette série que Tokarski voyait un coéquipier lui jouer ce mauvais tour, deux fois par Gorges et une fois par Emelin.

Tokarski, qui n'a pas été moins bon que Lundqvist jusqu'ici, est bien prêt à faire une différence, mais il ne peut pas à la fois avoir un oeil sur les Rangers et sur ses propres compagnons de jeu.

C'est du donnant donnant

Faut-il que les partisans du Canadien aiment leur équipe pour lancer sur la glace des casquettes qui se vendent 35 $ l'unité à la boutique de souvenirs. Même en période d'austérité, quand on conseille quotidiennement aux gens de se serrer la ceinture, c'est au diable la dépense quand le Canadien gagne. C'est du donnant donnant, en fait. Donnez-leur un tour du chapeau et ils retourneront à la boutique avec le sourire pour engraisser encore un peu plus l'organisation en se procurant une casquette toute neuve. Le vieux slogan « La ville est hockey » est loin d'être mort.