Dans la vibrante ovation qu'on a accordée aux survivants de Jean Béliveau, il y avait une tonne de remerciements pour l'élégance et la générosité avec laquelle les quatre femmes de sa vie ont laissé des admirateurs de tous les âges entrer dans leur intimité à l'occasion des deux journées de chapelle ardente.

Elles ont gagné l'admiration des Québécois en refoulant leur chagrin pour accueillir tous ceux qui ont admiré, aimé et respecté  l'homme qui a profondément marqué leur vie. Elles ont donné des poignées de main jusqu'à épuisement avec dignité, sans jamais craquer malgré la peine ressentie à la suite du décès d'un mari, d'un père et d'un grand-père.

Un hommage vibrant au Centre Bell

Élise Béliveau a croulé pour la première fois sous l'émotion durant l'ovation. C'en était trop pour elle dans cette période de deuil qui dure depuis plusieurs jours déjà. En pleurs, elle a levé les bras pour remercier la foule en lui lançant des « mercis » et des « thank you » très lisibles sur ses lèvres.

« Nous avons tellement reçu de beaux témoignages durant la chapelle ardente, a souligné sa fille, Hélène. C'était parfois très touchant. J'ai demandé à mon père de nous guider et de nous soutenir dans tout cela. »

En se présentant au Centre Bell, près de trois heures avant le match, elles étaient détendues et sereines. Le marathon d'émotion, dans lequel elles sont impliquées, ne se terminera pas avant la fin de la célébration liturgique de mercredi après-midi. Elles disaient en souriant qu'elles ressentaient toutes une petite douleur à la main droite après avoir serré des dizaines de milliers de mains, mais le moral, lui, tenait bon.

Leur comportement à l'occasion de la chapelle ardente a été à l'image du disparu. Jean Béliveau était reconnu comme un homme qui ne prenait pas de pauses durant sa seconde carrière qui l'a tenu plus occupé encore que la première.

Certains jours, s'il l'avait voulu, il aurait pu éviter la cohue en empruntant une sortie, côté jardin. Il ne lui est jamais venu à l'esprit de se défiler. À son image, elles tenaient tellement à rencontrer tout le monde qu'on ne laissait personne entrer dans l'enceinte quand elles s'accordaient un peu de repos. Dans la seule journée de lundi, plus occupée que celle de dimanche, elles ont limité leurs absences à trois périodes de 15 minutes, entre 10 heures et 18 heures.

Béliveau a déjà dit que chaque soir, en allant dormir, il remerciait Dieu de lui avoir donné le talent qui lui a permis de jouir d'une brillante carrière et d'une existence magnifique. Après avoir reçu de très beaux élans d'amour durant la cérémonie d'avant partie, elles ont peut-être remercié le ciel à leur tour d'avoir pu écouler un grand pan de leur vie aux côtés de celui qui a passé symboliquement la soirée en leur compagnie par le biais de son siège inoccupé qui était toujours enveloppé de son légendaire chandail numéro 4.

En 1970, Béliveau avait pris la décision de se retirer parce qu'il désirait quitter le hockey sur une belle note. À 39 ans, il avait marqué 19 buts, une performance remarquable pour un athlète de son âge. À la demande de Sam Pollock, qui avait besoin de lui pour faire la transition avec les jeunes qui s'amenaient au sein de l'équipe, il était resté une saison de plus. Il en avait profité pour faire mieux encore grâce à une performance de 76 points en 70 matchs, soit trois points devant Yvan Cournoyer, âgé de 28 ans. Ce fut une fin de carrière comme tous les athlètes professionnels n'oseraient même pas en rêver.

Grâce à l'amour et au respect de ses fans, qui l'ont applaudi à tout rompre pour la dernière fois, il a réussi une autre grande sortie ce soir. À sa manière, Béliveau a quitté le Centre Bell à jamais.

Pour la circonstance, on a assisté à une première quand l'annonceur-maison Michel Lacroix n'y est pas allé de son traditionnel « Accueillons nos Canadiens », laissant ainsi toute la place à la mémoire du disparu. Durant le match, la musique est venue exclusivement de l'orgue, rappelant ainsi l'époque du disparu.

Quelques instants auparavant, les spectateurs avaient visionné dans un silence quasi religieux les nombreuses images de sa carrière qu'on avait laissé défiler sur la glace. On aurait pu entendre voler un moustique durant le moment de silence. Ce qu'on demande au public au nom du Grand Jean, on l'obtient aisément.

Comment les joueurs du Canadien auraient-ils pu ne pas avoir le goût de jouer durant ce match? Les images étaient éloquentes. L'histoire de sa carrière l'était davantage. Béliveau ne sera jamais oublié parce qu'il a joué au hockey avec passion. Il était animé par un profond désir de gagner et d'être le meilleur. De surcroît, ses qualités de gentilhomme n'ont pas échappé à ses adversaires les plus acharnés.

Des témoignages

Jacques Lemaire l'a exprimé à sa façon cette semaine. « Dans notre temps, on détestait nos adversaires et nos adversaires nous détestaient. Pourtant, j'avais l'impression qu'ils aimaient Béliveau », a-t-il dit.

Andy Bathgate a déclaré un jour que Béliveau était si grand et si fort qu'il aurait pu leur faire mal s'il n'avait pas joué aussi proprement. Vivement le trophée Jean-Béliveau pour remplacer le Lady Bing.

La meilleure anecdote d'un rival est toutefois venue de Brad Park, un défenseur étoile avec les Rangers, les Bruins et les Red Wings. « Jean était le favori de ma mère, a-t-il mentionné. Un jour, je lui ai servi une dure mise en échec avec la hanche. Ma mère ne m'a pas adressé la parole durant un mois. »

Béliveau a meublé les plus beaux souvenirs des hommes, des femmes, des jeunes comme des personnes âgées pour des raisons qui leur sont propres. Ce serait bien si les joueurs qui ont assisté à cet hommage s'en inspiraient pour éviter les soirs de congé. Après tout, s'ils sont tous si bien nantis aujourd'hui, ils le doivent à tous les Béliveau de ce monde qui leur ont pavé la voie et qui ont fait du Canadien l'organisation prestigieuse qu'elle est devenue.

Ceux qui s'en vont...
Un silence élogieux