Si la saison prenait fin aujourd’hui, le Canadien participerait, à la surprise générale, aux séries éliminatoires. La ville serait excitée et les médias s’amuseraient à prédire intensément la suite des choses. Claude Julien serait dans la course au titre d’entraîneur de l’année pendant que Marc Bergevin vivrait l’un de ses moments les plus détendus depuis qu’il a succédé à Pierre Gauthier.

Il y a un an à peine, l’équipe n’allait nulle part. La dégringolade était si prononcée que l’avenir ne s’annonçait pas intéressant à court ou à moyen terme. Les cotes d’écoute télévisées étaient sérieusement à la baisse et les nombreux bancs vides au Centre Bell constituaient une clochette d’alarme que les propriétaires de l’équipe ne pouvaient ignorer. Son public, pourtant reconnu pour sa fidélité, sautait du train en marche en réclamant une reconstruction de fond en comble. Ils étaient nombreux à suggérer à Geoff Molson de remercier son directeur général et de le remplacer par quelqu’un capable de réparer tout ce qui avait été brisé.

Le propriétaire, sans doute plus inquiet qu’il le laissait paraître, a choisi d’accorder un sursis à son homme de hockey, tout en lui faisant savoir, dans le cadre d’un bilan de fin de saison télévisé, qu’il n’accepterait plus de revivre une situation aussi embarrassante. Le ton ne manquait pas de fermeté. Bergevin a compris que le message lui était adressé. Si un problème d’attitude minait le vestiaire, c’était à lui d’y voir. S’il y avait des malheureux, ils n’allaient pas porter ce chandail plus longtemps.

Bergevin est rapidement passé du gars dont la tête était mise à prix à un homme de hockey dont la troupe est en voie d’effectuer l’un des retours les plus spectaculaires de la présente saison. Ce qui lui vaut de profiter actuellement d’une période d’accalmie qu’il n’aurait jamais cru possible il y a quelques mois. Il a passé un très dur moment, faut-il le dire. Les attaques à sa réputation de directeur général ont été virulentes, voire vicieuses à certaines occasions. Après tout, faire du Canadien une organisation respectable était sa responsabilité première. Dans ce marché sans merci, il n’avait pas le droit à la moindre indulgence, au moindre pardon, pendant que l’équipe piquait dangereusement du nez.

Ce qui se passe actuellement dans la vie de Bergevin est un peu le reflet de ce qu’a été son parcours dans le hockey. Dans l’adversité, celui qui a porté huit chandails différents dans la Ligue nationale s’est toujours accroché. Il n’est jamais passé d’une formation à une autre en entretenant l’idée que la fin était proche. Au bas mot, c’est un survivant.

À 17 ans, il a quitté le quartier de Pointe-Saint-Charles pour aller jouer au Saguenay, avec les Saguenéens. Il tenait à faire son chemin dans le hockey, car les études n’étaient pas sa tasse de thé. Heureusement que les Blackhawks de Chicago l’ont remarqué, car sur le plan académique, son parcours n’est pas allé plus loin que le Cégep de Chicoutimi. Un choix de troisième tour des Blackhawks, il a tenu bon dans la Ligue nationale durant 20 ans et 1191 parties. Mine de rien, c’est seulement 193 matchs de moins que Larry Robinson qui est au Panthéon du hockey et dont le dossard est retiré. C’est 151 matchs de plus que Serge Savard, un des plus illustres Glorieux qui a joué un rôle prépondérant dans son embauche à Montréal. Un défenseur marginal, il n’a jamais amassé plus de 24 points en une saison.

Il a passé une carrière entière à courir après la coupe Stanley. Il n’était jamais au bon endroit au bon moment. En 1997, un an après avoir quitté les Red Wings, ils ont remporté la coupe. Le Lightning de Tampa Bay y est parvenu un an après son départ en 2004. Il l’a finalement remportée à Chicago en 2010 dans le rôle de directeur du personnel des joueurs.

À l’heure de la retraite, en 2004, il était déterminé à garder sa place dans le hockey professionnel. Il a offert ses services à des directeurs généraux avec lesquels il avait développé de bonnes relations durant ses deux décennies sur patins. L’ancien patron des Blackhawks, Dale Tallon, lui a offert un job de recruteur tout en confiant à son adjoint Rick Dudley la responsabilité de lui enseigner le métier. Le hockey professionnel est un petit monde. Sitôt nommé directeur général à Montréal, Bergevin a retourné l’ascenseur à son mentor en faisant de Dudley son premier adjoint.

Cinquante-huit transactions plus tard...

Un survivant, Bergevin? Pas de doute. Ce qui s’est passé durant la chute vertigineuse du Canadien a sans doute été la période la plus difficile de ses 30 ans dans le hockey. Si Geoff Molson n’avait pas résisté aux pressions exercées sur lui pour le remercier, qui sait s’il aurait pu s’asseoir un jour dans la même chaise ailleurs? Un échec à la barre d’une organisation aussi auréolée que le Canadien, ça laisse des traces. Grâce à la compréhension de son propriétaire, il a survécu à une situation qui n’annonçait rien de bon.

Bergevin a démontré qu’il est tout un encaisseur. Il ne s’est pas effondré publiquement quand il a été attaqué de toutes parts par les journalistes et dans les médias sociaux. Contrairement à son prédécesseur, il ne semble pas entretenir de rancune envers les médias qui l’ont sévèrement critiqué et avec lesquels il cohabite assez bien malgré tout.

Durant ses expériences aux niveaux pee-wee et bantam, il n’a jamais cru qu’il patinerait un jour dans la Ligue nationale. De même, il n’a jamais rêvé de l’emploi qu’il occupe en ce moment. S’il y est parvenu, c’est surtout parce qu’il a fait sérieusement ses classes en franchissant toutes les étapes dans une équipe originale à Chicago. Un intéressant coup du sort l’a ramené dans sa ville natale après le congédiement de Pierre Gauthier. Le duo Molson-Savard, chargé d’identifier le prochain directeur général, a rapidement vu en lui un homme prêt pour relever cet immense défi.

Après avoir rencontré quatre candidats, ils ont mis fin à leurs recherches dès leur second entretien avec lui. Bergevin satisfaisait tous les critères. Il était Montréalais et possédait un solide bagage d’expérience. Ce qui ne veut pas dire que Savard, qui a été à l’emploi du Canadien pendant 33 ans et qui a remporté 10 coupes Stanley, dont huit sur la glace, n’a pas douté de son choix quand l’équipe n’allait nulle part.

Tout n’est pas gagné pour Bergevin qui, en six saisons et demie, a nommé deux entraîneurs en chef, effectué 58 transactions, embauché six joueurs autonomes, acquis trois joueurs au ballottage et perdu deux joueurs de la même façon. Il a tout avantage à profiter de cette lune de miel passagère. Il y a tant à faire encore avant d’atteindre l’objectif ultime d’une participation aux séries ce printemps et qui sait, d’une coupe Stanley avant la fin de son mandat. On lui accorde tout le crédit pour les transactions impliquant Max Pacioretty et Alex Galchenyuk, mais leur départ a contribué à créer un vide en supériorité numérique. Il lui faudra trouver au plus tôt une solution à court terme pour revamper la plus mauvaise attaque massive du circuit.

Quand un directeur général, un entraîneur en chef et ses quatre adjoints sont sans solution pour régler ce problème, c’est sans doute qu’il manque au moins un élément se rapprochant du calibre de ceux qui sont partis.

Comme l’écrivait souvent avec un brin de sarcasme le regretté Red Fisher, ces gens-là sont richement payés pour trouver des solutions. En souhaitant que Bergevin, de son côté, ait encore quelques bonnes idées en tête.