Qu'est-ce qu'il y a de si particulier dans le dossard numéro 5 du Canadien pour que les choses deviennent si compliquées quand vient le moment de rendre hommage à une légende qui l'a porté avec fierté et honneur?

Bernard Geoffrion a attendu 42 ans pour qu'on se décide enfin à retirer son chandail. Quand on l'a fait, il était malheureusement trop tard pour qu'il puisse l'apprécier puisqu'il est décédé le jour même de l'événement. Boum Boum avait tellement rêvé de ce moment. Ses proches disent qu'il en parlait peu à la maison, mais il n'avait jamais caché qu'il tenait à cet hommage.

Lors de sa toute première sortie avec celle qui allait devenir son épouse, il l'avait invitée à une soirée de boxe au Forum. Il en avait profité pour lui faire une promesse. « Tu vois la bannière numéro 7 de ton père (Howie Morenz) dans les hauteurs de l'édifice, bien, un jour, j'aurai mon nom à côté du sien », avait-il dit.

Si cela ne s'était pas produit, Geoffrion, un compétiteur enragé, aurait sans doute jugé sa carrière incomplète.

« Ça va réjouir les partisans »

Pour Guy Lapointe, c'est très différent. Il était un membre en règle du « Big Three » sans qui le Canadien n'aurait pas engrangé autant de coupes Stanley durant les années 70. Encore aujourd'hui, Scotty Bowman affirme que la Ligue nationale n'a jamais connu un autre trio de défenseurs de la qualité de Serge Savard, de Larry Robinson et de Lapointe.

Le chandail de Savard a été retiré en 2006 et celui de Robinson en 2007. Pas besoin d'être Einstein pour imaginer toute la déception qu'a ressentie Lapointe quand on l'a empêché de fouler le tapis rouge à son tour. Comme les deux autres, il avait connu une carrière exceptionnelle. Comme les deux autres, il avait aligné les coupes Stanley sur le manteau de son foyer. Et comme les deux autres, il était au Panthéon de la renommée du hockey.

Un peu comme le Boomer, Lapointe n'affichait pas sa déception publiquement. Le dossard de Savard a été retiré il y a huit ans. Le numéro 19 l'a rejoint il y a sept ans. On a une bonne idée de tout ce qu'il a pu refouler comme questionnement depuis ce temps. Pourquoi eux et pas moi?

Il n'a jamais pu obtenir une réponse logique. Les médias non plus, d'ailleurs. Encore moins les amateurs de hockey qui n'ont pas oublié son style et ses exploits. Quand on a retiré le numéro 5 de Geoffrion, il y a fort à parier que Lapointe ne croyait plus en ses chances d'être honoré, sinon on aurait hissé les deux numéros 5 le même jour, comme on l'a déjà fait pour les numéros 12 de Dickie Moore et d'Yvan Cournoyer.

Pourtant, ça s'oublie difficilement une carrière comme la sienne. Il a marqué 15 buts à sa première saison dans la ligue. De mémoire, je ne me souviens pas d'un autre défenseur recrue ayant enregistré 15 buts sans avoir remporté le trophée Calder (Bobby Orr en avait marqué 13). Le trophée était allé à une autre légende, Gilbert Perreault.

Il a connu trois saisons de plus de 20 buts et une autre de 19 buts. À six occasions, il a amassé plus de 50 points dans une saison. En 1973, il a perdu le trophée Norris aux mains de Orr tout en partageant la première équipe d'étoiles avec lui.

Il doit aujourd'hui une fière chandelle à Geoff Molson qui vient de régler un dossier plutôt nébuleux. Comme quoi il n'est jamais trop tard pour réparer une injustice.

Sa carrière, Lapointe la doit en bonne partie à son père qui l'a obligé à persévérer dans le hockey. Lapointe rêvait d'une carrière de pompier ou de policier. Il avait même rempli un formulaire d'emploi dans le but d'y faire carrière. Son père lui a toutefois conseillé d'aller d'abord au bout de ses capacités dans le hockey.

Lapointe se considérait comme un joueur de hockey moyen, mais son père lui a fait comprendre que la détermination et la persévérance sont la fondation de n'importe quelle carrière. Il a donc tenu compte de cette remarque. Près de 40 ans plus tard, il croulera sous l'ovation qu'on lui accordera quand il obtiendra sa soirée longtemps espérée.

Une fin regrettable

Comme d'autres grands joueurs du Canadien avant lui, il a connu un divorce douloureux avec l'organisation. D'ailleurs, les trois membres du « Big Three », qui auraient mérité de jouer toute leur carrière à Montréal, l'ont tous terminée ailleurs. Savard à Winnipeg, Robinson avec les Kings et Lapointe avec Saint Louis.

« Pointu » a amorcé son déclin en 1981, l'année où le Canadien a été sérieusement malmené par ses fans après avoir préféré Doug Wickenheiser à Denis Savard au repêchage. Lapointe avait subi une blessure ligamentaire sérieuse qui l'avait gardé à l'écart du jeu durant une quarantaine de matchs. À son retour, Claude Ruel lui avait fait passer une soirée sur la galerie de presse et un second match sur le banc. Ce fut la fin d'une relation professionnelle au cours de laquelle Ruel, qui l'avait recommandé au Canadien à l'époque de son stage junior, avait fait de lui un meilleur défenseur jour après jour durant les entraînements. Profondément humilié par ce traitement pour le moins sévère, on raconte qu'il avait traité Ruel de tous les noms. 

« Je suis très content pour Guy »

Un an plus tard, à sa demande, il a été échangé aux Blues en retour d'un second choix au repêchage qui a valu au Canadien de réclamer Sergio Momesso. Il y est resté une saison complète avant de se voir offrir un contrat par les Bruins de Boston à titre de joueur autonome. Il n'y a joué que durant un an avant d'annoncer sa retraite.

« Il n'y a aucune doute dans mon esprit que Guy était encore un élément majeur de notre défense quand c'est arrivé, précise Larry Robinson dans un livre qu'il a écrit conjointement avec le journaliste Chrys Goyens. Si la direction de l'époque (Irving Grundman) ne reconnaissait plus ce qu'il pouvait encore apporter à l'équipe, ce n'était pas le cas de plusieurs équipes qui s'étaient intéressées à Guy, notamment les Flyers de Philadelphie. Finalement, il s'est retrouvé à St Louis. »

Un Glorieux qui passait dans le camp des Bruins n'était pas une image dont on voulait se souvenir dans le temps. Il serait facile de prétendre qu'on lui en a fait payer le prix en le laissant poireauter de cette façon, mais ce n'est sûrement pas le cas. Après tout, depuis son bref passage chez les Bruins, le Canadien a connu trois propriétaires, autant de présidents et six directeurs généraux. Cette histoire était donc enterrée depuis longtemps quand Geoff Molson a pris la décision de le ramener à la maison.

Populaire et respecté

Peu de joueurs ont autant animé un vestiaire que Guy Lapointe. Dans les moments de grande tension, il savait alléger l'ambiance en y allant de tours pendables aux dépens de ses coéquipiers. Il était populaire dans la chambre et flamboyant sur la glace par sa façon d'appuyer le jeu des attaquants et grâce à son tir retentissant de la ligne bleue qu'il gardait souvent bas pour compliquer la vie des gardiens.

Comme plusieurs joueurs avant lui, Lapointe revient aujourd'hui par la grande porte. La boucle sera bouclée quand sa bannière ira rejoindre celles des grands dans les hauteurs de l'édifice, 32 ans après son dernier match au Forum.

Il n'a jamais été policier dans la vie, mais il l'a été sur la glace, comme l'indique ses quelque 900 minutes au banc des pénalités. Dommage que son père Gérard ne soit plus là pour lui rappeler qu'il a eu raison de l'écouter. Un policier sur deux lames, Lapointe a patiné jusqu'au Panthéon.