François Allaire, un entraîneur qui a révolutionné l’art de garder les buts, appartient à la nouvelle cuvée du Panthéon de la Ligue de hockey junior majeur du Québec.

C’est arrivé comme une énorme surprise pour lui. Contrairement aux autres élus, Mario Tremblay, Jean-Jacques Daigneault, Stéphane Fiset et l’actuel directeur général des Ducks d’Anaheim, Bob Murray, il n’a pas brillé au hockey junior. Il a plutôt passé deux saisons au sein du Canadien junior de Verdun, la première année à titre de responsable du conditionnement et de l’évaluation et la seconde comme entraîneur des gardiens de but. Il est ainsi devenu le tout premier conseiller des athlètes aux grosses jambières que le Québec a connu. Un poste comme le sien n’existait pas avant qu’il le crée. Verdun a donc été sa porte d’entrée pour le hockey junior après qu’il se soit fait timidement la main dans le circuit midget AAA.

« Personne ne reste très longtemps dans le hockey junior. À moins d’être un coach qui y gagne sa vie durant 10 ou 12 ans, la plupart des gens n’y sont que de passage », dit-il pour justifier l’honneur que le circuit Gilles Courteau vient de lui faire.

L’entraîneur du Canadien junior, Pierre Creamer, qui lui a donné sa première chance à Verdun, l’a plus tard invité à le suivre quand il a été promu derrière le banc des Canadiens de Sherbrooke, filiale du Tricolore. Le hasard a voulu qu’Allaire hérite d’un élève talentueux et combatif qui a lui a permis de gagner rapidement en crédibilité. Après avoir été le héros de la coupe Calder, emblème du championnat de la Ligue américaine, Patrick Roy a vite eu sa chance au Forum. Quand Allaire l’a rejoint à Montréal, ils sont devenus comme les deux doigts de la main.

Allaire est depuis peu un retraité du hockey. Il a quitté l’Avalanche du Colorado un an après le départ fracassant de Roy, en août 2016, à la suite d’un différend philosophique avec son patron, Joe Sakic. L’entraîneur des gardiens venait de parapher une nouvelle entente d’un an à la demande de Roy. Quand Casseau a repris la route du Québec, Allaire a terminé cette entente avant d’annoncer sa retraite définitive.

« Sans Patrick à mes côté, j’avais moins de plaisir, explique-t-il. J’étais allé au Colorado parce qu’il m’y avait invité. D’autres possibilités s’offraient à moi dans le temps, mais c’est une offre que je ne pouvais pas décliner. J’y voyais aussi une occasion de prolonger ma carrière de quelques saisons. On ne sait jamais où ce genre de décision peut nous mener. Avec le Canadien, mon aventure a duré 12 ans. Avec Anaheim, j’ai accepté un contrat d’un an et j’y suis resté 13 ans. Toutefois, quand Patrick est parti, j’ai eu l’impression d’avoir fait le tour du jardin. J’aurais pu continuer; j’ai quand même fait ce métier durant 32 ans. Toutefois, j’ai décidé de penser à moi et d’aller faire des choses que je n’avais pas eu le temps d’accomplir jusque-là. Ma décision a été mûrement réfléchie. Comme j’ai confirmé publiquement ma retraite, le téléphone n’a plus sonné. »

Les moments marquants de sa carrière

Allaire en a fait du chemin depuis qu’il a quitté son poste de responsable au service des sports de la ville de Mirabel pour se consacrer à sa passion, il y a près de 35 ans. Une semaine après avoir gagné la coupe Calder, il avait avisé ses patrons qu’il n’avait pas l’intention de se prévaloir du congé sans solde qu’on lui avait accordé au moment de suivre Creamer à Sherbrooke. Une décision qu’il n’a jamais regrettée et qui lui vaut aujourd’hui de posséder trois bagues de la coupe Stanley, deux à Montréal et la troisième à Anaheim en 2007.

Pas facile pour lui de relever tous les évènements qui ont marqué son merveilleux voyage dans le hockey professionnel. En insistant un peu, il en mentionne quelques-uns.

1 - La coupe Calder à Sherbrooke a été l’évènement qui a vraiment donné naissance sa carrière.

2 - La coupe Stanley de 1986 reste inoubliable. Dès son arrivée avec le Canadien, l’entraîneur Jean Perron lui avait demandé de s’occuper exclusivement de Roy. En voyant son élève remporter la coupe et le trophée Conn Smythe à 20 ans, l’exploit s’est avéré émotivement très fort pour lui.

3 - Comment pourrait-il oublier la série finale de 2003 au cours de laquelle Jean-Sébastien Giguère s’est vu remettre le trophée Conn Smythe dans une cause perdante contre les Devils du New Jersey.

4 - Finalement, la coupe de 2007, remportée par les Ducks contre Ottawa, reste un triomphe marquant à ses yeux.

« Je suis très heureux de la carrière que j’ai connue, admet-il. Le coaching n’est pas toujours un long fleuve tranquille, mais je suis content de ce que j’ai accompli. Les gardiens que j’ai dirigés ne changent pas de trottoir pour éviter de me parler quand ils me rencontrent. »

Qui sera reconnu comme le meilleur gardien du Canadien?

Pendant que Carey Price gravit lentement les échelons dans le classement des meilleurs gardiens de l’organisation, une question se pose. Qui sera reconnu un jour comme le meilleur gardien parmi ceux qu’une bonne partie du public a vu jouer : Jacques Plante, Ken Dryden, Patrick Roy ou Carey Price?

Même si Price est celui qui a disputé le plus de matchs (563), qu’il a récemment devancé Roy sur le plan des victoires (293) et qu’il s’approche des 314 victoires de Plante, il s’en trouvera sans doute très peu pour l’inclure dans la même catégorie que les trois autres en ce moment. Pourquoi? C’est une évidence; parce qu’il n’a encore rien gagné.

Habitué d’analyser le comportement des gardiens de but, Allaire est probablement l’expert le plus crédible quand vient le moment d’offrir une opinion éclairée sur un sujet aussi délicat que celui-là. Puisqu’on parle d’époques différentes, il est particulièrement difficile de les départager tout en essayant d’identifier le plus grand?

« J’ai vu jouer Plante, Dryden et Price et j’ai travaillé avec Patrick, souligne-t-il. Ce qui a rendu Patrick différent des autres, c’est qu’il a mené à la victoire des équipes qui ne devaient pas gagner. Je ne veux rien enlever à Plante et à Dryden, mais ils évoluaient au sein de formations très puissantes. Elles étaient supposées gagner et ils les ont fait gagner. »

Le critère qui fait foi de tout est la coupe Stanley. Selon lui, celui qui remporte la dernière victoire d’une saison voit son statut changer à jamais.

« J’offre parfois en exemple le cas du gardien Ed Belfour, précise-t-il. Tout le monde le considère comme un gagnant parce qu’il a remporté le dernier match de la finale entre Dallas et Buffalo en 1999. Pourtant, il lui a fallu attendre 12 ans et il a encaissé 270 défaites avant d’en arriver là. Dès qu’il l’a fait, il est devenu un gagnant. Dominik Hasek, de son côté, a été un gardien incroyable, mais il a remporté la coupe à sa 16e saison dans le circuit, à Detroit. Il est ainsi devenu une légende et on l’a intronisé au Panthéon du hockey quelques années plus tard. Quant à Price, il est un grand gardien. S’il gagne un jour le dernier match d’une saison, il méritera sûrement de joindre Plante, Dryden et Roy parmi l’élite des gardiens du Canadien. »

À l’instar de Roy, Price n’évolue pas au sein d’une grande équipe. Cependant, Roy a réussi à faire gagner la sienne alors que Price est toujours en quête d’une première présence en finale.

En définitive, Allaire ne tranche pas dans ce débat. Il laisse plutôt les performances individuelles de ces quatre gardiens forger leur classement dans l’histoire.

Sa rupture avec le Canadien

Curieusement, Roy et son entraîneur personnel auraient pu tous les deux effectuer un très long séjour au sein de l’organisation du Canadien. Roy est parti à la suite d’un différend avec son entraîneur. Allaire a quitté les lieux quelques mois plus tard en étant incapable de s’entendre sur les modalités d’un nouveau contrat.

Quand Jocelyn Thibault est venu chausser les patins de Roy, Allaire a jugé qu’il avait besoin de temps pour peaufiner le style du talentueux gardien de 21 ans. Il a donc exigé un contrat de quatre ans alors qu’on lui a offert une entente de deux ans. Il venait de terminer un accord de quatre ans et on en lui en offrait subitement la moitié.

« Jusque-là, j’avais toujours travaillé avec les mêmes personnes : Serge Savard, André Boudrias, Jacques Lemaire, Jacques Laperrière, Charles Thiffault, etc. Puis, on a assisté à un changement de la garde (avec l’arrivée de Réjean Houle et de Mario Tremblay). J’estimais qu’une période de deux ans n’était pas suffisante pour me permettre de connaître du succès avec Thibault. Ce n’était pas une question d’argent car Réjean Houle m’a offert un très bon contrat. J’ai préféré partir plutôt que d’accepter une proposition qui m’aurait limité dans mon travail. Deux ans plus tard, tout le monde a été congédié. J’aurais probablement passé dans le tordeur comme tous les autres », croit-il.

Pour Roy comme pour Allaire, cet exil a donné un nouvel élan à leur carrière.