TROIS-RIVIÈRES – Le 13 février 1955, Sam Pollock, alors recruteur en chef pour le Canadien de Montréal, a fait le chemin jusqu’à Providence (au Rhode Island) pour conclure une transaction afin d’acquérir les services de Jean-Guy Gendron, un jeune et prometteur attaquant de 20 ans, en retour de six joueurs !

 

Après avoir excellé dans le junior à Trois-Rivières, Gendron connaît un début de saison retentissant dans la Ligue américaine avec une vingtaine de buts au sein des Reds de Providence.

 

Pollock doit l’épier une dernière fois avant d’officialiser l’entente et le ramener en train, à Montréal. Le plan est de lui faire vivre son baptême de la LNH, le 17 février, au Forum, contre les Red Wings de Detroit, un mois jour pour jour avant l’émeute qui allait être déclenchée en soutien à Maurice Richard.

 

L'article du 14 février 1955 du journal The Evening Bulletin, de Providence.Toutefois, le destin réservait un autre chemin pour ce Québécois dont le nom aurait été plus connu sans ce revirement de situation. Tôt dans la partie contre les Hornets de Pittsburgh, Gendron se blesse au poignet gauche et il quitte à l’hôpital. Pollock et les dirigeants de Providence concluent que le marché avorte si l’examen décèle une fracture. Au grand désarroi de Pollock, Gendron et les dirigeants de Providence, ce scénario se confirme et Gendron voit sa chance de joindre le Canadien tomber à l’eau.

 

Gendron a précieusement conservé l’article (cliquer sur l'image de gauche pour agrandir) du Evening Bulletin de Providence qui a rapporté ces informations le lendemain sous la plume de Barney Madden et l’histoire a été reprise la journée suivante dans le Montréal-Matin (cliquer sur l'image de droite pour agrandir).

 

L’histoire ne le dira jamais, mais Gendron aurait pu participer à l’épopée du Canadien qui a remporté la coupe Stanley cinq années consécutives (de 1956 à 1960) grâce aux frères Maurice et Henri Richard, Jean Béliveau, Bernard Geoffrion et compagnie.

 

Au lieu de cela, il a dû se contenter d’un bref séjour de 43 parties avec le Canadien en 1960-1961. Oui, une seule saison après cette séquence historique et une seule saison après la retraite du Rocket.

 

À 84 ans, Gendron a vu sa mémoire effacer quelques détails de son parcours, mais il n’a jamais oublié cette soirée du 13 février et il se souvient bien de la scène qui a causé sa fracture. Cette fracture qui l’a peut-être empêché de soulever la coupe Stanley, un exploit qu’il n’a pas pu réussir en 15 saisons et près de 900 matchs dans la LNH.

 

« J’aurais tellement aimé ça, maudite affaire ! Mais je n’y peux rien, il y a quand même plusieurs bons joueurs dans la même situation que moi. Il faut dire que, dans mon temps, le Canadien l’a gagnée souvent », a-t-il confié avec une grande énergie pour son âge.

 

« Mais on ne sait jamais ce qui aurait pu arriver. Peut-être que la situation aurait viré pour le pire, que je n’aurais pas fait l’affaire à Montréal et qu’on m’aurait sacré dehors un an après », a lancé Gendron avec modestie et réalisme. L'article du Montréal-Matin, le 15 février 1955

 

Le sympathique sportif, qui joue encore au golf quatre fois par semaine l’hiver en Floride, a dévoilé cette histoire de la transaction avortée à la toute fin d’une conversation de plus de 45 minutes. Il prétend qu’il a rarement parlé de ce fait marquant de sa carrière. Quelques personnes de son entourage risquent même de l’apprendre en lisant cet article.

 

Gendron agit de cette manière parce qu’il n’est pas du style à se morfondre. Bon vivant doté d’un grand sens de l’humour, il assure qu’il a adoré ses années avec les Rangers, les Bruins, les Flyers, les As et les Nordiques de Québec.

 

Il faut dire que débarquer dans le vestiaire du Canadien – quand l’équipe vient de savourer cinq championnats – n’était pas qu’une partie de plaisir.

 

« Ce n’était pas facile de faire sa place. Ma saison n’avait pas été terrible (9 buts, 12 passes avec Montréal en 43 parties) », a exposé celui qui était alors ennuyé par un problème de santé. Ils avaient toute une équipe et je ne me sentais pas tellement intégré. Le club venait de gagner cinq fois et je me sentais un peu comme un intrus. On n’aurait dit que je n’étais pas dans la gang », a admis celui dont l’idole était Henri Richard.

 

Heureusement pour lui, Gendron a trouvé le bonheur ailleurs. À voir le sourire dans son visage et à entendre la joie dans sa voix, on comprend que le plaisir était au rendez-vous pour ce Montréalais d’origine qui était à l’aise de jouer loin de la maison.  

 

« Ça ne me dérangeait pas du tout!  Boston, j’ai vraiment aimé ça, on avait une super de bonne gang, on avait du fun ensemble même si on n’a pas gagné de championnat. Dans le temps des Fêtes, les gens ne te connaissaient même pas et ils te donnaient des bouteilles de gin! Les gens de Boston ont été tellement gentils avec moi », a décrit Gendron sur la terrasse de sa maison de Trois-Rivières où il habite depuis environ deux ans.

 

« J’ai aussi bien aimé New York. Imagine, je venais d’avoir 21 ans. Je ne parlais pas trop anglais et j’étais le seul francophone sur le club. Les gars me barouettaient partout, on a eu du fun au boutte! », a ajouté Gendron qui se souvient du vieux Madison Square Garden et de l’entraîneur Phil Watson qui était « un peu rigide, mais bien correct ».

 

« À Philadelphie aussi, on a eu bien du plaisir avec la nouvelle équipe », a précisé Gendron qui a ironiquement eu le plaisir de compter son premier but en carrière contre le Canadien et Jacques Plante.

 

Une chance que Gendron n’avait pas de misère à s’adapter. À son époque, plusieurs joueurs parvenaient à disputer toute leur carrière dans le même uniforme. Dans son cas, c’est tout le contraire. On parle de deux séjours distincts avec les Rangers, idem avec les Bruins, une courte association avec le Canadien, quatre années avec les As de Québec, quatre saisons avec les Flyers et deux saisons avec les Nordiques!

 

« Oui, c’est particulier. Je ne sais pas pourquoi New York et Boston me reprenaient tout le temps », répond, en riant de bon cœur, le père de deux hommes et grand-père de trois petits-enfants.

 

« Je n’étais pas un gros joueur, mais j’étais travaillant en masse par contre. Je n’étais pas une étoile, plus un joueur ordinaire dans la LNH. Bien des gars avaient plus de talent que moi et ils n’ont jamais fait la LNH », a voulu décrire Gendron avec humilité car il a tout de même récolté près de 400 points en 863 parties régulières dans la LNH.

 

Jean-Guy GendronUne après-carrière bien planifiée grâce au golf

 

En raison de son statut précaire, Gendron a rapidement compris qu’il devait assurer ses arrières. Déjà que les salaires n’étaient pas extraordinaires (7500$ dans ses premières années), il savait que sa carrière pouvait prendre fin subitement à la suite d’une blessure.

 

La réalité de cette époque forçait les joueurs à choisir un autre métier pendant la saison estivale et il a trouvé la solution parfaite pour lui : le golf. C’est plutôt fascinant de constater que sa carrière professionnelle au golf (37 ans) a été plus longue que celle au hockey (21 saisons).

 

Il agissait justement comme professionnel du club de golf de Rimouski à l’été 1972 quand les Nordiques l’ont contacté. Après quatre bonnes saisons avec les Flyers, il se dirigeait vers la retraite.

 

« Je ne voulais plus jouer, j’avais 38 ans. Mais Marius Fortier m’a appelé un de ces jours quand les Nordiques ont commencé. Je lui ai dit que je ne pouvais pas aller le voir parce que je travaillais. Il a loué un petit avion et il s’est déplacé. Finalement, il m’a offert un contrat avec plus d’argent que je faisais dans la LNH. Ça m’intéressait tout d’un coup! », a rigolé Gendron qui a accompli des saisons de 50 et 19 points avec les Nordiques.

 

Prêt à retourner sur les allées pour de bon, il s’est laissé convaincre de tenter l’aventure du coaching à Québec. « Je n’avais jamais fait ça, mais j’ai accepté. »

 

Après deux saisons avec des fiches plutôt intéressantes, il a conclu qu’il était mieux de se consacrer au golf et à son entreprise (des magasins de sport) à temps plein.

 

Cette deuxième carrière dans le golf a été judicieuse pour ses « vieux jours ». Avec ce deuxième emploi, il pouvait se permettre d’investir sa pension de LNH contrairement à plusieurs de ses anciens coéquipiers. Le règlement du dossier d’Alan Eagleson a également contribué à sa retraite. Jean-Guy Gendron, à droite

 

Il en est bien heureux car il se rappelle qu’il était loin d’avoir le gros bout du bâton durant sa carrière de joueur.

 

« Quand t’arrivais devant le directeur général, il te disait ‘On va te donner une augmentation, on va te donner 500$’. Là, tu chialais un peu et il répondait bien vite ‘Si t’es pas content, on va en prendre un autre’. C’est vraiment comme ça que ça marchait », a témoigné Gendron qui avait vu Henri Richard se contenter de 7000$ à sa première saison.

 

« On a été assez arnaqués. C’est pour ça que, maintenant, quand je vois un joueur qui signe un contrat de près de 100 millions, je me dis ‘Vas-y ! Ne te gêne pas.’ Mais on a eu beaucoup de plaisir quand même », s’empresse-t-il d’ajouter avec toute sa sincérité.

 

Quelques sujets en rafale

 

Est-ce que vous suivez encore le hockey avec un grand intérêt ?

-J’ai délaissé ça beaucoup. Il faut dire que je passe trois mois et demi en Floride durant l’hiver et on ne regarde pas les matchs. Les joueurs du Canadien arriveraient ici et j’en reconnaîtrais probablement juste deux ou trois. Je ne vais plus aux matchs à Montréal parce que j’ai été opéré deux fois à un œil et ce serait dangereux de conduire le soir.

 

Est-ce que vos amis savent que vous avez joué dans la LNH ?

-Ça fait juste un an et demi que je suis ici. Ils sont au courant un peu, mais je ne parle pas trop de ça. Mais eux, ils parlent du Canadien en masse! Bergevin se fait ramasser pas à peu près. Les gars blaguaient qu’il va ramener Scott Gomez après Tomas Plekanec.

 

Al Arbour et Jean-Guy GendronLes journalistes étaient bien moins nombreux dans votre temps :

- Ce n’est pas facile pour l’entraîneur aujourd’hui. Chaque jour, il doit parler et il ne doit plus savoir quoi dire. Ce n’est pas lui qui compte les buts, il fait de son mieux avec ce qu’il a devant lui. Mais je suis content des nouveaux adjoints, il y a de bons gars prometteurs.

 

Votre réaction à l’émeute pour Maurice Richard, une année avant vos débuts dans la LNH :

-C’était vraiment gros. Les gens de Montréal, le hockey, surtout dans ce temps-là, c’était tout. Maurice avait du caractère, il ne se laissait pas faire. Le seul qui pouvait le faire rire, c’est Jean-Guy Talbot, il jouait des tonnes de tours.

 

Outre votre poignet cassé, avez-vous subi d’autres blessures graves ?

-Non, mais je me suis fait briser le nez 6 fois ! On n’avait rien pour protéger notre visage. Ça ne prenait qu’un coup de coude.

 

Les voyages en train, c’était comment ?

-On partait souvent le soir, on dormait dans le train. On pouvait partir de New York vers Montréal en fin de soirée et on arrivait vers 8h le lendemain matin. Ce n’était pas trop dur sur le corps. Mais Montréal était la pire ville pour partir. Quand on allait à Chicago, on partait vers 22h ou 23h après un match, on arrivait le lendemain à 18h et la partie commençait à 19h30. On reprenait le train après et on arrivait le lendemain soir !

 

Le meilleur joueur que vous avez eu comme coéquipier ?

-À Montréal, c’était Jean Béliveau et Henri Richard. À New York, Andy Bathgate. À Boston, Johnny Bucyk, Vic Stasiuk, Don McKenney et Jerry Toppazzini.

 

Un adversaire que vous n’aimiez pas ?

-Il y en a un que j’ai détesté toute ma vie, c’est John McKenzie. Il m’avait sacré un double-échec au visage quand je n’avais même pas la rondelle, je voulais lui arracher la tête. Il est décédé récemment. Quand j’étais entraîneur, il est venu jouer dans l’AMH et j’avais un gars vraiment fort dans l’équipe, Gord Gallant. Je ne lui demandais rien, mais je lui disais juste que je détestais ce joueur. Ce n’était pas long, il partait après! (RIRES)

 

Vos années dans le hockey mineur avec les Reds de Trois-Rivières :

-J’ai bien aimé ça, le junior était fort à cette époque. C’était la dernière saison de Jean-Guy Talbot et ma première. Il y avait le Canadien junior, les Citadelles de Québec et des gars comme Camille Henry, Talbot, Claude Provost, Phil Goyette... On jouait devant de bonnes foules.

 

D’autres beaux moments de votre carrière :

-Ma mémoire ne m’aide pas pour ça. Mais je me souviens que j’étais content pas à peu près la première fois que j’ai compté 20 buts dans la LNH (c’est arrivé 5 fois).

 

Est-ce que vos parents ont pu vous voir jouer ?

-Mes parents n’étaient pas de grands fervents de sport, ils sont venus quelques fois à Montréal, mais jamais ailleurs. Mon père est aussi décédé jeune à 52 ans, donc j’avais 25 ou 26 ans, c’était tôt dans ma carrière. Mon frère était marin et il est mort à 38 ans. Mes deux sœurs sont également décédées.

Jean-Guy Gendron et Henri Richard