MONTRÉAL – Sylvain Favreau a l’habitude de croiser des recruteurs de la Ligue nationale à Halifax. Dans ses quatre premières années au sein du personnel d’entraîneurs des Mooseheads, huit joueurs de l’équipe ont été repêchés par une équipe de la LNH, dont trois en première ronde et trois autres en deuxième.

Cette saison, rien ne laissait présager un achalandage hors du commun sur la galerie de presse du Scotiabank Centre. Les Mooseheads devaient aligner quelques patineurs qui avaient bien fait à leur année recrue, à 16 ans, mais aucun n’était étiqueté comme un espoir à ne pas manquer.

La situation a évolué. Favreau le constate à la quantité d’observateurs qui ont passé la porte de son bureau dans les derniers mois pour s’informer au sujet de Jordan Dumais, un jeune attaquant qu’il est devenu impossible d’ignorer.

« Je pense que les recruteurs de la LNH, au début, se disaient "Ok, je me rappelle de lui l’année passée, c’est un bon petit joueur", mais là je pense qu’il fait écarquiller des yeux pas mal, avance le pilote des Mooseheads. Notre équipe est la plus jeune de la ligue. Si on surprend au point d’être classés deuxièmes dans notre division, ça a beaucoup à voir avec Jordan Dumais. »

À la pause des Fêtes, l’attaquant de L’Île-Bizard fait partie d’une quadruple égalité au deuxième rang du classement des marqueurs de la LHJMQ. Ses 31 mentions d’aide le placent au deuxième rang à ce chapitre derrière l’espoir du Canadien Xavier Simoneau. Sa récolte de huit points à ses trois derniers matchs lui a valu le titre de joueur de la semaine dans le circuit Courteau et une place sur l’équipe d’étoiles de la semaine au Canada.

Ses 47 points après 30 matchs lui permettent aussi de se comparer avantageusement à ceux qui l’ont précédé dans la capitale de la Nouvelle-Écosse. Nico Hischier en avait le même nombre au même point de référence à son année de 17 ans. Filip Zadina et Nikolaj Ehlers ne peuvent en dire autant.

Dumais a été bien entouré dès le début de cette année cruciale pour son développement. Son joueur de centre principal a été Elliot Desnoyers, un espoir des Flyers de Philadelphie qui est présentement parti représenter son pays au Mondial junior. Il a aussi eu beaucoup de glace avec le choix de première ronde des Predators de Nashville Zachary L’Heureux. Mais les témoins de ses accomplissements assurent qu’il n’est pas tributaire de son bon entourage.

« Il a vraiment des habiletés offensives qui sont un peu plus élevées que la moyenne, assure un recruteur d’une équipe de l’Association ouest de la LNH. Il marque des buts qu’il n’y a pas beaucoup de gars qui peuvent marquer. Il a un très bon tir et une touche autour du filet qui est vraiment spéciale. Et en plus de ça, il peut faire des jeux offensivement. C’est un gars qui est complet. »

« Je l’entends souvent : "Ah, c’est parce qu’il a joué avec Desnoyers", se désole Favreau. C’est sûr qu’il a joué avec Desnoyers. Mais quand on a voulu relancer Bobby Orr, par exemple, on l’a mis avec Dumais et je pense que ses quatre premiers buts, ce sont des jeux créés par Jordan. »

Après vérification, Orr est effectivement sorti d’une longue léthargie en marquant six buts en quatre matchs à la mi-novembre. Dumais a récolté la passe décisive sur les deux premiers, Desnoyers sur trois autres.

D’autres chiffres supportent la thèse de la grande autonomie du jeune ailier. Par exemple, il est intéressant de constater que Dumais a amassé dix points en cinq matchs depuis le départ de Desnoyers en équipe nationale.

« C’est un gars qui crée plein de choses par lui-même, insiste Favreau. Il n’a pas besoin des autres joueurs pour le faire aller. C’est sûr et certain que c’est un gars qui est capable de mener le jeu. »

« Ce n’est pas un paresseux, un gars qui va juste attendre que les choses arrivent, approuve notre recruteur. D’après moi, il va se ramasser sur n’importe quel trio et il va être capable de contribuer et rendre les autres meilleurs. »

Une couleuvre de 165 livres

Les entraîneurs au niveau junior sont parfois réticents à couvrir un jeune joueur de compliments. Parfois, c’est leur façon subtile de nous faire comprendre que l’enthousiasme à son égard n’est pas totalement justifié. D’autres fois, on croit lire entre les lignes qu’ils craignent qu’un surplus d’éloges gonflerait démesurément l’égo de leur protégé.

Favreau ne s’est pas enfargé dans ce genre de préoccupations lorsqu’il a su qu’on souhaitait parler de Jordan Dumais. Sa réponse à notre première question a duré précisément quatre minutes et quinze secondes et n’a été interrompue que parce que le directeur général des Mooseheads, Cam Russell, l’appelait sur une autre ligne.

Dans son soliloque, l’entraîneur franco-ontarien décrit Dumais comme un « marqueur naturel » qui possède un tir du poignet dans une classe à part. « C’est un gars qui peut te placer une rondelle dans n’importe quel coin à n’importe quel moment », dit-il. Il vante aussi la vision du jeu de son ailier droit, notant qu’il est le meneur de son équipe au niveau des passes qui mènent directement à un but.

La récolte de statistiques avancées des Mooseheads permet aussi de constater qu’il est le plus efficace des siens pour provoquer des revirements et reprendre la rondelle à l’adversaire. « Tu vois que c’est un gars acharné. Il veut la rondelle sur sa palette. Il est assidu sans la rondelle et comprend très bien la game ».  

Le seul astérisque à la fiche de Dumais apparaît à côté de son gabarit. Le site officiel de la LHJMQ le répertorie à 5 pieds 9 pouces et 165 livres. Dans le hockey moderne, des mensurations comme celles-là ne vous placent plus automatiquement sur la voie d’évitement, mais elles demeurent un obstacle de plus à surmonter.

Favreau concède que le jeu plus physique ne tombait pas nécessairement dans les cordes de Dumais à sa saison recrue, mais il est épaté par le progrès qui a été accompli dans ce secteur. En plus de gagner naturellement du muscle durant l’été, l’adolescent a amélioré des détails techniques dans sa façon d’approcher les duels.

« C’est un kid qui n’a pas froid aux yeux, mais vraiment pas. Il va être premier dans les coins, il va absorber des mises en échec. Il est un peu comme une couleuvre. C’est difficile de se positionner pour lui asséner une mise en échec et le garder en échec. »

« Des fois, ces joueurs-là peuvent frapper un mur quand ils avancent dans les échelons. Ceux qui vont passer seront ceux qui vont être capables de trouver d’autres façons de rendre leur coach heureux, de rendre leurs coéquipiers meilleurs. Il a démontré qu’il est capable d’aller chercher la rondelle, d’être premier sur la rondelle, de faire des jeux dans le trafic », corrobore notre espion.

Lors du dévoilement de la liste préliminaire des espoirs à surveiller par la Centrale de recrutement de la LNH, en octobre, le nom de Dumais y était accompagné de la cote « C » signifiant qu’on le considérait alors comme un joueur susceptible d’être repêché à partir de la quatrième ronde. De plus en plus d’observateurs avertis le placent cependant comme un possible choix de deuxième ronde.