MONTRÉAL – « Tu devrais écrire un article sur les équipes de la LNH qui n’ont pas de dépisteur attitré à la LHJMQ. »

 

La suggestion vient d’un vétéran recruteur et on sent que le sujet l’agace depuis longtemps.

 

Lorsque ça fait des années - voire des décennies - que tu te démènes pour faire respecter la qualité des joueurs en provenance de ton coin de pays, ce combat éternel ne peut que te déranger.

 

Cela dit, la situation s’est améliorée avec l’insistance des piliers québécois du recrutement que sont les Simon Nolet, Gilles Côté, Denis Fugère, Luc Gauthier, Mario Marois et compagnie. Ils ont ouvert la porte de ce métier à une nouvelle génération qui mise notamment sur Jean-Philippe Glaude, Raphaël Pouliot, Jérôme Mésonéro, Yanick Lemay, Martin Gendron, Stéphane Pilotte etc.

 

Malgré tout, la LHJMQ doit encore composer avec des préjugés défavorables.

 

« On sait que cette mentalité tend à changer, mais on peut dire que 50 % des équipes dans la LNH croient encore que la LHJMQ présente un calibre de jeu inférieur à l’Ontario, à l’Ouest canadien ou bien aux écoles américaines », n’a pu que constater l’agent André Ruel de la firme CAA Hockey de Pat Brisson.

 

« Le recruteur au Québec doit travailler fort pour être capable de laisser tomber ce mythe », a-t-il ajouté.

 

Le repêchage à DallasLe portrait n’est tout de même pas si alarmant. On parle de 29 équipes sur 31 qui délèguent au moins un employé pour épier les joueurs de la LHJMQ. Les Hurricanes de la Caroline et les Panthers de la Floride sont celles qui demeurent à l’écart.

 

« On en avait un auparavant, mais notre ancien régime a procédé à une purge si on peut dire. On est en train de rebâtir notre structure. Notre dépisteur de la Nouvelle-Angleterre (Bill Ryan) se rend au Québec à l’occasion et nos autres recruteurs contribuent aussi. On obtient une bonne couverture. Je ne trouve pas que cette situation a affecté notre couverture », a justifié Dale Tallon, président des opérations hockey et directeur général des Panthers quand on lui a soulevé cette situation.

 

Il faut ajouter à cette donnée qu’environ 9 de ces 29 équipes se fient sur un recruteur qui ne demeure pas en sol québécois. La plupart du temps, il s’agit d’un dépisteur établi dans les Maritimes sauf que d’autres clubs se tournent vers un employé qui réside en Ontario ou dans le nord-est des États-Unis.

 

« En général, on est satisfaits de la couverture, mais c’est fatigant de voir que des équipes n’ont pas de recruteur au niveau de notre ligue. On devrait en avoir », a commenté Pierre Leduc qui occupait le poste de directeur des opérations hockey de la LHJMQ jusqu’à tout récemment.

 

« Je trouve ça un peu déplorable que des équipes de la LNH n’aient pas encore de recruteur à temps plein au Québec surtout après toutes les victoires de la LHJMQ à la Coupe Memorial depuis 15-20 ans », a admis un recruteur d’expérience du Québec qui a été sondé la semaine dernière.

 

La référence est intéressante puisque la LHJMQ a obtenu ce trophée huit fois à partir de 1996 soit autant de championnats que l’OHL et un de plus que la WHL.

 

Ce qu’il faut donc retenir c’est que les joueurs du circuit Courteau n’obtiennent pas autant de visibilité que leurs confrères du reste du Canada et des États-Unis. Des joueurs de la LHJMQ seront ainsi vus une, deux ou trois fois par quelques équipes comparativement à huit ou dix reprises pour des espoirs du reste de l’Amérique du Nord.

 

« Ce qui fait mal, c’est dans la profondeur. Ça fait que les joueurs de soutien, les espoirs à partir de la troisième ronde, se font moins voir jouer et ils se font moins repêcher. Tu dois les voir souvent pour déceler quelque chose en eux. C’est pour ça que des gars comme les Alex Burrows et Jonathan Marchessault ont réussi sans avoir été repêchés », a témoigné le recruteur qui a accepté de commenter ce dossier sous le couvert de l’anonymat.

 

« Si ça tombe que le dépisteur en chef vient faire un tour et que le joueur connaît un match moins fort, ça devient sa troisième prise et ils vont préférer un gars qu’ils ont vu plus de fois. Pour les joueurs de soutien, à talent égal, les équipes vont souvent prendre le gars de l’Ontario, de l’Ouest canadien ou des États-Unis devant celui du Québec qui n’aura pas été assez vu », a-t-il poursuivi.

 

Quoi de mieux qu’un exemple pour appuyer ses dires. Blessé au début de la saison 2014-2015, Philippe Myers, un défenseur des Huskies de Rouyn-Noranda, n’avait pas été classé très haut en début d’année. Ainsi, quelques équipes n’ont pas poussé pour le surveiller et ce recruteur a peiné à attirer ses collègues au Québec pour venir confirmer son évaluation.

 

« La journée du repêchage, je voulais absolument le prendre, mais ils ont fini par choisir un joueur local même s’il était classé après Philippe sur notre liste finale. J’ai tout fait pour le pousser, mais il avait manqué de visibilité pour que ça passe. L’année d’après, Philippe était parmi les meilleurs au pays tandis que l’autre n’a jamais signé de contrat... », s’est souvenu ce recruteur.

 

« Pour un Québécois, on dirait que c’est toujours plus difficile de pousser pour un gars du Québec. Il faut vraiment que tu tiennes ton bout et que tu forces tes collègues à venir les voir jouer plus qu’une fois ou deux. »

 

Les recruteurs québécois doivent hausser leur influence
 

Tous les intervenants consultés ont tenu à préciser que le plus grand enjeu, à leurs yeux, concerne le poids trop faible des recruteurs québécois auprès de leur équipe respective de la LNH.

 

Au sens propre comme au sens figuré, ces recruteurs sont souvent assis au coin de la table. De plus, ils sont peu fréquents à être délégués pour faire du recrutement crossover qui permet de comparer la qualité des joueurs d’une ligue à l’autre.

 

« Le meilleur vendeur sera toujours le recruteur qui suit son territoire, il doit être capable de convaincre ses supérieurs que les joueurs qu’il veut choisir vont faire la job.

 

« Même chez le Canadien, ils ont deux recruteurs au Québec (Serge Boisvert et Donald Audette), mais ils ne repêchent pas plus de joueurs ici. L’organisation peut bien dire qu’elle n’a pas eu beaucoup de choix au total dans les années précédentes, mais le taux de joueurs d’ici est bas comparé à Nashville, Anaheim ou New Jersey par exemple. C’est plus là que ça se joue à mon avis », a relevé Ruel.

 

« Évidemment, les équipes ne vont pas manquer les Lemieux et Lecavalier. Mais on se souvient que la sélection de (Pierre-Luc) Dubois au troisième rang avait été une surprise (en 2016). On entendait souvent qu’il pognait plus de points parce qu’il jouait au Québec. C’est comme une veille mentalité qu’ils ont de dire ça. C’est plate, mais c’est ça », a ajouté le recruteur.

 

« C’est plus l’influence, il n’y a pas tant de recruteurs d’ici qui sont assis près   des boss. La plupart des équipes ont de 12 à 16 recruteurs à travers le monde et ils tirent tous de leur bord », a décrit Leduc en indiquant que Dallas, Washington, Los Angeles, Buffalo, Edmonton, Toronto et Floride sont ceux qui repêchent le moins souvent dans la LHJMQ dans les dernières années.

 

Les Hurricanes parviennent à compenser d’une autre manière comme le précise Ruel.

 

« Je vois Tony MacDonald, leur dépisteur chef, et Sheldon Ferguson (le patron de leurs recruteurs en Amérique du Nord) de temps à autre dans les arénas d’ici. D’un côté, c’est dommage qu’ils n’aient pas de représentant au Québec, mais Tony a plus de poids et de pouvoir qu’un recruteur au Québec », a-t-il fait remarquer.

 

Puisque le portrait n’est pas idéal, les agents et la LHJMQ se retrouvent à exercer un rôle important pour mousser les joueurs de la province. Chacun à leur façon, ils exercent un lobbying essentiel surtout que les équipes sabrent souvent du côté des dépisteurs.

 

« Ce qui arrive dans notre milieu, c’est qu’ils vont donner un, deux ou trois millions de trop à un joueur, mais ils vont couper 50 000$ dans le recrutement », a conclu cette source anonyme avec un argument difficile à contredire.