Section Repêchage 2020

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MONTRÉAL – Lorsqu’il est arrivé à Mannheim afin d’y poursuivre sa carrière de joueur au milieu des années 1990, Stéphane Richer s’est retrouvé dans le même vestiaire qu’un jeune attaquant de 18 ans du nom de Jochen Hecht.

Quelques mois plus tôt, Hecht avait été repêché en deuxième ronde par les Blues de St. Louis. Son présent était peut-être en Allemagne, mais son avenir était clairement dans la Ligue nationale, ce qui n’était pas chose commune à l’époque.  

« Jochen, c’était une exception, corrobore Richer. Il y avait tout le temps une exception. Il y avait aussi Marco Sturm qui était à Landshut quand je suis arrivé. Tu en avais un ici et là, mais ce n’était pas comme maintenant. »

L’Allemagne n’a jamais été reconnue comme une grande productrice de hockeyeurs d’élite. Selon le site Quant Hockey, 19 joueurs qui en sont natifs ont joué un minimum de 100 matchs dans la LNH*. Les années 1970 en ont fourni quatre, dont Sturm et Hecht. Sept sont nés dans les années 1980 et quatre autres dans la décennie suivante. L’an dernier, neuf Allemands ont pris part à au moins un match dans le circuit Bettman : une grande vedette (Leon Draisaitl), une recrue prometteuse (Dominik Kahun), deux gardiens et une collection de joueurs de soutien.

Mais une petite révolution semble en train de s’opérer. Un Allemand a été sélectionné en première ronde à chacun des deux derniers repêchages de la LNH. En 2018, l’attaquant Dominik Bokk a été choisi au 25e rang par les Blues de St. Louis. L’année suivante, les Red Wings de Detroit ont causé une certaine surprise en prenant le défenseur Moritz Seider au sixième rang.

Et l’encan de cette année s’annonce encore plus exceptionnel. D’abord parce que Tim Stuetzle, un flamboyant ailier gauche des Eagles de Mannheim, pourrait patienter encore moins longtemps que ne l’avait fait Draisaitl lorsqu’il était sorti au troisième rang en 2014. Mais surtout parce que Stuetzle pourrait être rejoint dans la meilleure ligue au monde par deux compatriotes, John-Jason Peterka et Lukas Reichel, avant la fin de la première ronde.

À l’exception de Bokk, qui a décidé de s’exiler en Suède avant son année de repêchage, ces espoirs prometteurs ont en commun d’avoir joué à 17 ans dans une première division allemande au calibre plus relevé que ce qu’ont connu Hecht et Sturm à leurs premières armes dans le hockey professionnel.

« Ça fait 25 ans que je suis en Allemagne et je n’ai jamais vu autant de dépisteurs à nos parties », remarque Richer, qui occupe, à 54 ans, le poste de directeur sportif du Eisbären de Berlin.

Aux yeux de cet expatrié québécois, le rayonnement actuel de la Deutschen Eishockey Liga (DEL) est plus qu’un cycle passager. Il est le fruit de mesures prises par la Fédération allemande de hockey sur glace afin de favoriser le développement et la rétention du talent local.

« Il y a cinq ou six ans, la Fédération a quelque peu modifié sa structure et a demandé aux clubs professionnels de s’impliquer davantage dans le hockey mineur, explique Richer. À chaque année, toutes les équipes reçoivent un catalogue avec des points à respecter. L’un de ceux-là, par exemple, est de d’assurer d’avoir des entraîneurs qualifiés dans le hockey mineur de sa ville. »

« Ça marche par étoile, poursuit-il. Si tu as cinq étoiles, tu reçois un petit montant de la Fédération. Si tu as seulement trois étoiles, tu dois payer une pénalité. C’est pour inciter tout le monde à faire son effort. Avant, tu avais des clubs comme Mannheim, Berlin et Cologne qui investissaient beaucoup, mais après, ça descendait. »

« À partir de l’âge de 12 ans, les joueurs sont vraiment bien encadrés. C’est beaucoup mieux que si on recule de sept ou huit ans », approuve l’Abitibien Serge Aubin, qui était de retour dans la DEL à titre d’entraîneur cette année, huit ans après y avoir terminé sa carrière de joueur.

La DEL a aussi innové en obligeant ses équipes à inclure au moins deux joueurs de moins de 23 ans dans sa formation pour chaque match. Une équipe qui ne peut respecter cette règle est forcée de jouer avec un alignement réduit.

« Ça a incité les équipes à donner une chance aux jeunes, a remarqué Richer. Si on recule de cinq, six ou sept ans, Stuetzle, Reichel et Peterka n’auraient peut-être pas eu la chance de jouer dans notre ligue. Mais les mentalités ont changé et les résultats sont probants. L’année dernière, Seider était considéré comme le septième défenseur de Mannheim en début de saison, mais il s’est amélioré au point d’être le meilleur joueur de l’équipe allemande quelques mois plus tard au championnat du monde. »

Trois joyaux

À plus petite échelle, Aubin et Richer ont observé au cours des derniers mois le même phénomène avec Lukas Reichel.  

« Lorsque j’ai eu le boulot à Berlin, on me parlait de lui mais je n’avais pas eu la chance de le voir en personne. Quand il est arrivé au camp d’entraînement, j’avais dit à Stéphane qu’on lui ferait une place s’il était prêt, mais que je préférais qu’on lui donne une autre année au niveau inférieur s’il ne l’était pas », se souvient Aubin.

« En début de saison, tout était nouveau pour lui. Je sentais qu’il avait le potentiel, le talent, mais je le sentais un peu gêné sur la patinoire. Ce sentiment a persisté pendant les trois ou quatre premiers matchs. Puis gentiment, il a gagné en confiance. Il s’est rendu compte qu’il était plus rapide que la plupart des joueurs dans l’équipe. Il était peut-être moins développé physiquement, mais ses qualités avec la rondelle le plaçaient facilement parmi les meilleurs de notre club. »

Jumelé à l’ancien du Canadien Maxim Lapierre, qui a rempli un rôle de mentor et de protecteur à ses côtés, Reichel a terminé la saison avec douze buts et 24 points en 42 parties, tout ça avant de fêter son 18e anniversaire.

« C’est un joueur offensif, catégorise Richer. Vision du jeu exceptionnelle, rapidité, bon patineur. Si tu le compares aux deux autres, il n’a pas la même maturité corporelle. Quand il est arrivé avec notre équipe junior, il faisait 165 livres détrempé. Présentement, on essaie de l’avoir à 185 livres pour le prochain camp d’entraînement et je pense que c’est un gars qui peut se rendre à 6 pieds 1 pouce. Les dépisteurs se questionnent sur son implication physique. Ça ne sera jamais sa force, mais on l’a vu s’engager davantage dans les batailles pour la rondelle en cours de saison. Je pense que ça va venir à mesure qu’il gagnera en maturité. »

La Centrale de recrutement de la LNH classe Reichel au onzième rang de sa liste des plus beaux espoirs en provenance d’Europe. Le joyau de ce palmarès est Stuetzle, que plusieurs voient se faufiler entre Alexis Lafrenière et Quinton Byfield dans le top-3 du repêchage. L’ailier gauche a amassé 34 points en 41 matchs cette saison en DEL.

« Il dominait dans notre ligue, n’hésite pas à dire Richer. Il est confiant et n’a pas peur de le montrer. Jouer contre des hommes, ça ne l‘intimidait pas du tout. À Mannheim, c’est lui qui avait la rondelle sur l’avantage numérique. Physiquement, c’est déjà un homme. Il est massif, il est fort. Dans les coins de patinoire, il est solide sur ses patins. Moi je pense qu’il est prêt pour la Ligue nationale l’année prochaine. »

« Il a démontré cette année qu’il avait une longueur d’avance sur les autres, ajoute Aubin. Il a un sens du jeu extraordinaire et je ne serais pas surpris de le voir partir au deuxième rang dans la LNH. C’est mon opinion personnelle. Il y avait des moments où il dominait complètement dans notre ligue, contre des hommes qui ont eu une carrière en Amérique du Nord. Il a une superbe vision du jeu et il veut la rondelle constamment. »

Entre les deux se loge Peterka, un ailier droit costaud qui a eu un peu moins de chance de se faire valoir au sein de la formation de l’EHC Munich, l’équipe championne au terme du calendrier régulier. Il n’a récolté que onze points, dont sept buts, en 42 matchs. L’organe d’évaluation de la LNH le voit comme le septième plus bel espoir du Vieux Continent.

« C’est un power forward, tranche Richer. Il a un très bon lancer et comme on dit dans le jargon, il joue nord-sud. Il va au filet et s’il joue avec quelqu’un qui peut lui passer la rondelle, il va compter des buts. »

*Dany Heatley et Mikhaïl Grabovsky, qui sont nés en Allemagne mais qui n’y ont pas été développés, ont été volontairement écartés du calcul.