MONTRÉAL – Armé de son « gros suit » et de son «  gun à vapeur », Thomas Bordeleau travaille quelques jours par semaine pour se changer les idées. Sur la glace, son coffre à outils est plus vaste si bien qu’un dépisteur croit qu’il aurait été nettement mieux classé s’il avait évolué dans la LHJMQ. 

Ce recruteur ne voulait aucunement critiquer le programme de développement américain – le choix privilégié par Thomas – qui a permis l’éclosion d’athlètes talentueux comme les frères Quinn et Jack Hughes, Trevor Zegras, Alex Turcotte et Cole Caufield. 

C’est plutôt que Bordeleau aurait davantage retenu l’attention dans le circuit québécois cette année. 

« S’il avait joué dans la LHJMQ, il serait classé plus haut. Ça ne fait aucun doute pour moi. Il aurait fait autour de 80 points et il serait sûrement le deuxième Québécois après (Alexis) Lafrenière (dans les prévisions du repêchage). C’est un bon joueur de hockey, tu comprends ce que je veux dire. On voit que son père lui a enseigné de bonnes valeurs en tant que joueur », a déduit avec conviction ce recruteur d’une organisation de la LNH. 

Avant d’aller plus loin dans les explications, on a relayé cette affirmation à un autre recruteur. 

« Possiblement que c’est vrai. C’est quand un joueur a quelque chose de spécial à cette grandeur (cinq pied neuf pouces) que les équipes vont foncer et le prendre plus tôt. Pour l’instant, il est plus un bon joueur sans être spécial. Ce n’est pas un gars avec une habileté extraordinaire qui se démarque, mais il est bon dans tous les aspects », a commenté ce dépisteur d’un club de l’Est. 

Ça se comprend facilement, mais le directeur de la Centrale de recrutement de la LNH, Dan Marr, n’a pas voulu adhérer à cette idée. 

« Je pense plus qu’il joue de manière très fiable et responsable et qu’il a une belle valeur », a-t-il réagi. 

Quant au principal intéressé, il connaît très bien les joueurs de sa cuvée et particulièrement ceux du Québec qu’ils respectent au plus haut point. Lorsqu’il regarde les prévisions, il préfère se dire que le temps lui donnera raison.  

« Je n’enlève rien à personne, il y a des joueurs incroyables dans la cuvée cette année. Mais je sais quel est mon potentiel, de quelle manière je pourrai contribuer dans une organisation. Plusieurs listes sortent, mais j’essaie d’en faire abstraction. Je suis très confiant dans la vie et je vais laisser les choses se dérouler », a confié Thomas qui est classé au 29e échelon derrière les Hendrix Lapierre, Jérémie Poirier et Mavrik Bourque. 

Bordeleau a opté pour l’avenue américaine parce qu’il désire raffiner ses atouts en fréquentant une université américaine, chose qu’il fera dès que possible avec les Wolverines de Michigan. 

Pour l’instant, plusieurs nuances de son arsenal évoquent déjà l’influence de son père (Sébastien) et de son grand-père (Paulin) qui ont chacun accompli l’exploit de jouer dans la LNH avant lui. Sans être le plus flamboyant, il est très agile sur patins, il excelle à fabriquer des jeux et il a également développé ses habiletés de tireur. On a le goût de dire qu’il pourrait devenir un joueur plus offensif que Sébastien et Paulin dans la LNH, mais il devra le prouver. 

« Avant tout, il comprend très bien le jeu. Il s’ajuste et s’adapte aux différentes situations comme protéger une avance. Ses entraîneurs ont une immense confiance envers lui et il trouve des manières de générer des chances de marquer », a synthétisé Dan Marr.

Le jeu devenait aussi amusant de demander la description prônée par son père compte tenu de son passé. 

« Ce n’est pas le plus grand, ni le plus gros, ni le plus vite. Il n’est pas une fusée atomique, mais c’est un patineur très agile et fluide. Parfois, tu le regardes patiner et tu as l’impression qu’il est couché sur la glace tellement il est capable d’être penché pour réussir des jeux. Sa plus grosse qualité, c’est son intelligence du hockey avec et sans la rondelle. Ce qui le faisait se démarquer le plus, c’est que, peu importe avec qui il joue, le trio est meilleur sur la glace. Il utilise tout le monde sur la glace et ça lui a permis de se démarquer tout de suite dans le programme », a exposé son père qui a remarqué son évolution de tireur depuis deux ans. 

Même s’il n’est pas imposant, Bordeleau démontre une solidité sur ses patins. Il remercie d’ailleurs son père qui a « toujours su ce que ça prend pour pousser mon jeu à un autre niveau. » On sent justement une belle ouverture entre les deux pour repousser les limites.  

« À 34-35 ans, j’apprenais encore à devenir un meilleur joueur donc je pense que lui, à 17-18 ans, il a encore des croûtes à manger », a admis Sébastien sans détour. 

Découvrir la vraie vie avant de se consacrer au hockey

Si vous en doutiez encore, la vie de Thomas, c’est le hockey. À 67 ans, son grand-père en est toujours autant passionné tellement qu’il rêve de retourner donner un coup de main dans la LNH. Ensuite, il y a son père qui veille désormais au développement de la relève des espoirs des Predators de Nashville. 

Thomas BordeleauMais avant de s’y consacrer à son tour à temps plein, Thomas goûte au marché du travail pendant la pandémie et c’est loin de déplaire à son père qui sait bien que ça ne fera que mieux le préparer pour les rigueurs du hockey professionnel. 

« Il découvre la vraie vie si on peut dire. Il était un peu tanné de tourner en rond, a admis Sébastien en riant. Même s’il s’entraîne à la maison, ça reste que ça finissait par devenir long. » 

Présentement, le centre de 18 ans du programme de développement américain aurait plutôt dû se préparer à savourer, dans moins d’un mois, la récompense de plusieurs années de dévouement sportif avec le repêchage qui s’annonçait mémorable pour lui au Centre Bell. 

« C’est sûr que l’étape du repêchage aurait été très agréable. Après tout, c’était à Montréal. Je ne te cacherai pas qu’on aurait été au-dessus de 200 personnes à y assister avec nos amis, notre famille. On est une famille de hockey, on connaît bien des gens qui auraient été là étant donné que ça devait être à Montréal. En plus, il y a plein d’autres Québécois cette année avec Lapierre, Lafrenière, Bourque et compagnie. Ç’aurait été un beau moment pour le hockey au Québec », a raconté Sébastien. 

En voyant les annulations se multiplier à travers la planète, Thomas a déduit que le repêchage n’y échapperait pas.  

« Je ne vais pas mentir, c’est plate. J’aurais aimé vivre cette expérience, mais je me dis maintenant que je ne veux pas me plaindre. Bien des gens vivent des situations plus graves. Des personnes vont perdre leur entreprise. J’essaie de le voir de cette façon, d’être reconnaissant de ma situation », a compris le jeune homme après le choc de la déception. 

Il a sans doute mieux saisi le tout en parlant avec ses parents qui sentaient que son moral en prenait un coup. 

« Parfois, on a l’impression qu’il est marabout. On essaie d’être compréhensifs parce que ce sont des déceptions à encaisser et je le laisse vivre ses émotions, mais je lui ai rappelé que d’autres joueurs ont fini leur parcours au hockey sur cette note. Certains ont perdu la chance d’aller à la Coupe Memorial ou au Frozen Four et ils ne joueront plus jamais. Pour lui, c’est plate, mais il va continuer sa carrière », a raconté Sébastien. 

Le travail est donc devenu une manière précieuse de se changer les idées. 

« C’est juste que je m’ennuyais. Je m’entraînais, mais on disait que je ne faisais rien d’autre. Je travaille pour une entreprise de décontamination et on nettoie surtout des taxis », a révélé Thomas, un gaucher qui a amassé 46 points en 47 parties cette année. 

La bonne nouvelle, c’est que Thomas a appris à s’adapter tout au long de sa vie alors qu’il a grandi en Suisse où son père a évolué pendant 10 saisons. 

« À l’extérieur de la glace, ça m’a permis d’être très ouvert d’esprit. J’ai été obligé de me faire des amis un peu partout. Sur la glace, ça m’a donné tellement de sources différentes, des entraîneurs avec des visions différentes aussi. Ils pimpaient tous un peu mon jeu avec leurs petits conseils », a reconnu Thomas. 

Les prochaines années permettront de récolter les dividendes. La plus grande serait, assurément, de voir une troisième génération de Bordeleau s’implanter dans la LNH. 

« C’est le fun, mais, pour l’instant, je pense que c’est plus symbolique pour mon père que pour Thomas ou moi », a avoué Sébastien qui perçoit l’étape actuelle davantage comme un début qu’une finalité. 

Ça ne s’explique pas uniquement par l’âge. Après tout, la passion du clan Bordeleau, elle provient du grand-père. 

« Il était petit, mais c’était tout un joueur et j’ai entendu bien des histoires pour décrire son grand amour du hockey. Il était tellement compétitif. En fait, ça se voit encore aujourd’hui, il n’a pas vraiment changé », a conclu Thomas en riant. 

La famille Bordeleau vit de beaux moments depuis deux ans