MONTRÉAL – Depuis qu’il est arrivé en Suède, Julien Brouillette est témoin de situations inusitées auxquelles même ses huit années d’expérience dans le monde du hockey professionnel nord-américain ne l’avaient pas préparé.

Il y a deux semaines, par exemple, son entraîneur Per Hanberg a décidé de dépouiller le vétéran Tom Linder du titre de capitaine pour le donner à Brouillette, l’un de ses trois joueurs étrangers. Comme ça, au beau milieu de la saison.

« Pour la moitié de l’équipe, ça a été un peu plus dur à accepter, mais Tom a quand même bien pris ça et a bien passé le message. Il demeure un membre important de l’équipe et je vais avoir besoin de lui pour le reste de la saison. On va se le dire tout de suite, mon Suédois n’est pas sur la coche! », confie le défenseur Québécois.

Brouillette, qui goûtait à la LNH il y a à peine deux ans, a beau s’habituer peu à peu à son nouvel environnement, la stabilité ne fait présentement pas partie de sa vie professionnelle. Quand on le questionne sur l’identité de son partenaire à la ligne bleue, il finit par passer aux aveux après une longue hésitation rompue par un fou rire. 

« J’ai passé les deux derniers matchs à jouer avec un attaquant. On a eu des blessés, mais il y a aussi des joueurs pour qui ça va plus ou moins bien. On essaie de créer des choses qui sortent un peu de l’ordinaire parce que notre situation n’est vraiment pas facile. »

Ça ne va effectivement pas très bien au Karlskrona HK. À sa toute première saison en Ligue élite, le club n’a gagné que trois de ses 23 premiers matchs et croupit dans la cave du classement avec seulement 11 points. Jeudi dernier, il a perdu une avance de deux buts pour s’incliner en prolongation contre Örebro, une équipe de milieu de peloton. La défaite a fait mal, mais Brouillette y voyait l’une des bonnes performances de son équipe depuis le début de l’année. Et son optimisme a été justifié deux jours plus tard, quand ses coéquipiers et lui ont comblé un déficit de trois buts pour renverser Linköping au compte de 4-3!

« On est une jeune organisation avec un petit budget. On ne peut pas se permettre d’aller chercher trois ou quatre nouveaux joueurs sur un coup de tête, alors il faut essayer de trouver des solutions à l’interne et ça crée parfois des situations un peu loufoques. »

Celui qui célèbrera dans quelques jours son 29e anniversaire de naissance dit ne pas regretter d’avoir quitté ses repères pour poursuivre sa carrière dans ce qu’il juge être la troisième meilleure ligue au monde. Oui, l’adaptation a été un peu plus longue qu’il ne l’anticipait et quatre mois après son arrivée, il lui arrive encore de ressentir le poids de la solitude. Mais jamais il n’a remis sa décision en question.

« J’avais vécu pas mal tout ce que j’avais voulu vivre en Amérique et j’étais fatigué des horaires de la Ligue américaine. C’est sûr que c’est dur d’avoir du fun à tous les jours dans la situation où on est au classement, mais je n’ai pas de regret. Si on gagnait un peu plus, ça rendrait les choses un peu plus faciles, mais j’apprends à tous les jours ici. »

Un sentiment d’accomplissement

Un ancien des Saguenéens de Chicoutimi, Brouillette a défié les probabilités depuis sa sortie du junior majeur. À partir de la ECHL, il a gravi les échelons jusqu’à la Ligue nationale. Il a disputé dix matchs avec les Capitals de Washington en 2013-2014 - récoltant une passe à son premier match et un but à son deuxième -  et un autre avec les Jets de Winnipeg la saison suivante.

Au printemps dernier, il a dressé un bilan réaliste de sa carrière et jugé que le temps était venu pour lui de s’exiler, de vivre autre chose.

« Avec les quelques matchs que j’avais joués dans la Ligue nationale, j’avais atteint un sentiment d’accomplissement. Jamais repêché, j’avais pris le long chemin pour me rendre en haut et j’avais pas mal accompli ce que je voulais. Tous ceux dans le passé qui m’avaient dit que je ne jouerais pas au plus haut niveau, je leur avais prouvé qu’ils avaient tort. »

Le natif de Saint-Esprit, dans la région de Lanaudière, a donc demandé à son agent d’explorer les options outre-mer et un contact a rapidement été établi par le directeur général du Karlskrona HK, qui avait occupé un poste de dépisteur dans l’organisation des Jets l’année précédente. Une offre concrète est arrivée en mai, bien avant l’ouverture du marché des joueurs autonome en Amérique du Nord. Une décision devait être prise.

« Je devais mettre une croix sur le 1er juillet. Ça a été un peu difficile, mais j’étais à l’aise avec ça. J’ai seulement demandé une dernière petite chose à mon agent. Comme j’avais joué à St. John’s l’année précédente et que le club-école du Canadien était rendu là, je voulais m’assurer que Montréal n’était pas intéressé à avoir un vétéran pour ses jeunes. Mais le timing n’était pas bon. C’est le dernier questionnement que j’ai eu par rapport au hockey nord-américain. »

Les hockeyeurs québécois ne sont pas légion en Suède. Maxim Lapierre vit l’expérience au MODO, Kevin Marshall au Rögle BK et Jacob Lagacé est à Lulea. C’est à peu près tout. À Karlskrona, une petite ville d’environ 35 000 habitants sise sur les berges de la mer Baltique, Brouillette est rapidement devenu l’un des visages du club de hockey local. Les « importés », comme il désigne lui-même les joueurs internationaux, arrivent avec de grandes attentes en Ligue élite.

« On est quand même un petit marché, alors au niveau médiatique, ce n’est pas si pire. Mais au début de l’année, j’ai reçu un ou deux appels de journalistes qui voulaient savoir ce qui se passait avec l’avantage numérique. Mon différentiel était dans le rouge et on me demandait ce que je pensais du fait que j’étais sur la glace pour le plus grand nombre de buts encaissés dans la Ligue. Comme l’équipe a une saison difficile, c’est plus facile de venir picosser sur les statistiques personnelles. Mais en venant ici, tu sais dans quoi tu t’embarques. »

S’il parvient à se faire remarquer à Karlskrona, notamment en aidant l’organisation à éviter la relégation en première division, il ajoutera une bonne mention à ce qu’il appelle son « C.V. Hockey ».

« Je regarde vers l’avenir avec un plan de trois ou quatre ans. Je me verrais passer une autre année en Suède, mais l’objectif serait de passer en Ligue nationale A en Suisse pour la qualité de vie. »